La fille de Brest

 

000000152Le film s’ouvre sur une femme nageant seule, luttant contre les assauts des vagues. On peut y voir une allégorie transparente du combat d’Irène Frachon contre tout un système. Mais la scène rappellera aussi aux lecteurs de son livre « Mediator, combien de morts ? »  l’instant où la pneumologue réalise qu’elle vient de mettre le doigt sur un scandale sanitaire:

« J’arrête, j’ai compris. Je fixe longtemps la nuit à travers ma fenêtre, des gens se noient devant moi, personne ne les voit, sauf moi. Crier maintenant ne sert à rien. Et cela fait trente ans. »

Cette nageuse qui suffoque, c’est autant la lanceuse d’alerte que les victimes de ce médicament, qui étouffent littéralement sous les effets du produit. Tout au long du film transpire par de multiples détails cette profonde continuité dans l’humanité, cette empathie pour les patients qui caractérise Irène Frachon. « Comment ça, « ma péricardite » ? » répond-elle ainsi au téléphone, refusant de réduire sa patiente Corine à sa pathologie.

En ce soir d’avant-première dans le cadre du festival Le Monde, ce 17 septembre 2016, Ceferina, une des victimes survivantes, se tient aux côtés de l’héroïne du jour. C’est la grande victoire d’Irène Frachon que d’avoir révélé les victimes en les dénombrant, mais surtout de leur avoir rendu un nom, un visage, une voix. Et celle d’Emmanuelle Bercot, la réalisatrice, d’avoir su faire d’une affaire complexe un film grand public, “divertissant” comme elle tient à le souligner, qui espérons-le saura être non seulement un bon moment de cinéma mais un catalyseur de changement.

On voit Irène Frachon dans le film égrener sur un plateau de journal télévisé les prénoms des victimes qu’elle suit. Loin d’un effet de manche, cette litanie terrible, qu’elle renouvelle régulièrement, est un rappel salutaire, à l’intention d’un système qui les a trahis.

« Qui défendez-vous ? Les victimes ou votre agence ? ».

L’interpellation d’Irène Frachon à « Mme Luciani » (Fabienne Bartoli était la DG adjointe de l’AFSSAPS) continue hélas d’être d’actualité, tant le conflit entre intérêts économiques, survie de l’institution, et intérêts des patients est inscrit au cœur même du système, gravé dans la loi.

Les considérants du règlement 2001/83, qui régit le fonctionnement des agences du médicament dans toute l’Europe, sont abrupts:

« (2) Toute réglementation en matière de production, de distribution ou d’utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique.

(3) Toutefois ce but doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l’industrie pharmaceutique et les échanges de médicaments au sein de la Communauté. »

 En ce mois de septembre 2016, 7 ans après l’éclatement de l’affaire, les victimes du Mediator attendent toujours que justice leur soit rendue. Aucune date n’a encore été fixée pour le procès pénal.

La fille de Brest, film d’Emmanuelle Bercot, sortie en salle le 23 novembre.

Pour aller plus loin: Le rapport et les vidéos des audiences de la mission d’information du Sénat sont très éclairantes.