Le verdict du procès Mediator a été rendu hier, condamnant le laboratoire Servier à 2.7 millions d’euros d’amende pour « tromperie aggravée » et « homicides et blessures involontaires », et son numéro 2, Jean-Philippe Seta, à quatre ans de prison avec sursis. L’Agence du médicament, AFSSAPS à l’époque, est reconnue comme ayant « failli dans (son) rôle de police sanitaire et de gendarme du médicament » et condamnée à 303 000 euros d’amende pour « homicides et blessures involontaires » par négligence.

Outre les articles que nous avons publié sur le Mediator (comme ici ou ), nous tenons à signaler l’excellent dossier « Autour du procès Mediator° » (avril 2020) réalisé par la revue Prescrire qui l’a mis en libre accès, avec par exemple :

Avec l’aimable autorisation de Prescrire, nous reproduisons l’un des articles de ce dossier, concernant les médecins. En effet, s’il est juste que Servier et l’agence aient été condamnés, la responsabilité des médecins ayant prescrit le Mediator° ne devrait pas être oubliée. Elle devrait même être une des premières leçons à retenir de ce scandale sanitaire, afin que les médecins décident enfin de s’informer à partir de sources fiables et indépendantes, et qu’ainsi d’autres Mediator° puissent davantage être évités.


La quasi-totalité des prescripteurs de Mediator° épargnés par les conséquences juridiques

En France, parmi les médecins qui ont prescrit Mediator° (benfluorex), très peu ont été mis en cause et condamnés. Il s’agit surtout de sanctions prononcées par l’Ordre des médecins pour prescription à visée anorexigène, hors indication de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). (Avril 2020)

Aucun médecin prescripteur de Mediator° (benfluorex), commercialisé en France de 1976 à 2009, ne figure parmi les prévenus au procès pénal relatif au désastre, en cours jusqu’à fin avril 2020 à Paris (1). La responsabilité de certains prescripteurs a toutefois été évoquée voire reconnue devant diverses instances.

Surtout des sanctions ordinales

Selon un décompte des décisions prononcées par l’Ordre des médecins français de 1998 à 2016, une centaine de médecins, presque tous généralistes, quelques-uns endocrinologues ou gynécologues, ont été sanctionnés pour avoir prescrit Mediator°, le plus souvent par des interdictions temporaires d’exercer (2). En général, dans ces dossiers déclenchés par une plainte de l’assureur maladie obligatoire à l’issue d’un contrôle d’activité du médecin, la prescription de Mediator° concernait plusieurs patients mais n’était pas l’unique motif de mise en cause (2,3).

De nombreux prescripteurs ainsi sanctionnés par l’Ordre ont par la suite été entendus dans le cadre de l’enquête judiciaire sur le désastre du Mediator°, sans être mis en examen (3). Par ailleurs, des médecins ont été impliqués dans une procédure civile, pour déterminer le lien entre la prise de Mediator° et le préjudice subi par les victimes (4,5). La responsabilité d’un médecin prescripteur a en outre été reconnue, à hauteur de 10 % du préjudice (la firme Servier étant reconnue responsable à 90 %), par le collège d’experts de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) (6). Au total, un assureur en responsabilité professionnelle a indiqué en 2012 avoir enregistré 209 mises en cause de médecins dans des dossiers en lien avec une prescription de Mediator°, parmi ses 128 000 médecins sociétaires, les procédures étant engagées à 90 % devant l’Oniam et à 10 % devant des juridictions (6,7).

Des sanctions pour prescription hors AMM

En France, les médecins sont autorisés à prescrire hors autorisation de mise sur le marché (AMM) à condition notamment d’en informer le patient, d’inscrire une mention spécifique sur la prescription (“NR”, pour “non remboursable”, avant 2012) et de le préciser dans le dossier du patient (3). Le motif le plus fréquent de sanction par l’Ordre est d’avoir prescrit Mediator° à des fins d’amaigrissement, c’est-à-dire en dehors des indications de l’AMM et sans données scientifiques étayant cette utilisation (2,3). D’autres ont été condamnés pour avoir prescrit Mediator° sans avoir au préalable fait réaliser les examens biologiques liés à une prescription en tant que traitement adjuvant dans le diabète, ou alors parce que les résultats de ces examens ne justifiaient pas la prescription de Mediator° au regard de l’AMM (2,3).

Des médecins ont été sanctionnés par l’Ordre, sur plainte de l’assureur maladie obligatoire, pour ne pas avoir mentionné sur l’ordonnance la mention “NR”, une des obligations alors en vigueur en cas de prescription hors AMM, et pour avoir par conséquent laissé indûment la part remboursable à la charge de l’Assurance maladie (2,3).

Une prescription de Mediator° alors banalisée et une connaissance diverse de ses effets

Pour leur défense dans le cadre de l’enquête sur le désastre du Mediator° ou devant l’Ordre, des médecins ont affirmé que les effets anorexigènes de Mediator° étaient « bien connus » et qu’ils en avaient pris connaissance par des visiteurs médicaux ou directement par des patients qui leur demandaient de le leur prescrire (2,3).

Certains ont, à l’inverse, affirmé ignorer ces effets, ou fait état de la toxicité prétendument nulle de Mediator°, à la différence d’Isoméride° (dexfenfluramine), anorexigène amphétaminique retiré du marché en raison des risques d’hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathie (3).

D’autres médecins ont reporté la responsabilité sur la firme, à qui a été reproché un défaut d’information sur la nature réelle de Mediator°, et sur l’Agence française du médicament, mise en cause pour n’avoir pas « joué son rôle » (3).

Des prescripteurs se sont justifiés en affirmant que « d’autres médecins » le prescrivaient, l’usage de Mediator° étant « banalisé » (2,3). De façon similaire, un rapport d’expertise utilisé devant l’Oniam a souligné que l’emploi de Mediator° hors AMM dans les surcharges pondérales faisait partie « de la pratique médicale courante de l’époque » (6).

Des mises en cause pour défaut d’information ou refus de donner au patient son dossier médical

Une analyse de la jurisprudence des tribunaux montre que des patients ont déjà mis en cause un médecin traitant ou un établissement devant un tribunal, pour défaut d’information sur les effets cardiorespiratoires graves de Mediator° (8,9). L’un de ces demandeurs a été débouté au motif que le praticien n’avait alors pas été informé officiellement des effets indésirables graves et qu’aucun préjudice en lien direct et certain avec Mediator° n’avait été démontré chez ce patient (8).

Après la révélation publique du désastre, des patients ont témoigné de la réticence voire du refus de leur médecin de leur fournir un document attestant leur prise de Mediator°, nécessaire à l’établissement d’un éventuel lien entre la prise du médicament et la survenue d’une affection (10). Des médecins ont été contraints par la justice à remettre leur dossier médical aux patients auxquels ils avaient prescrit Mediator° (10,11).

Des conséquences sanitaires, mais pas juridiques

En 2011, la mise en cause des médecins prescripteurs dans le désastre du Mediator° avait fait l’objet de débats, le ministre de la Santé de l’époque indiquant que « ce ne sont pas les médecins qui ont produit Mediator°. Ce ne sont pas les médecins qui étaient chargés de la police du médicament » (6,10,12). Mettre hors de cause les médecins prescripteurs a en particulier visé à éviter la destruction par certains d’entre eux des pièces du dossier médical témoignant d’une prescription de Mediator°, nécessaires aux victimes pour la réparation du préjudice (13).

Cent trente-six patients ayant pris Mediator° interrogés dans le cadre d’une thèse ont majoritairement estimé que leur médecin prescripteur n’était pas responsable ; à l’inverse, neuf patients interrogés sur 10 ont considéré que la firme Servier, et Jacques Servier lui-même, étaient « très responsables » (14). La firme, pour sa part, avait-elle intérêt à poursuivre des médecins, susceptibles de prescrire les autres substances qu’elle commercialisait ? Elle avait affirmé, en 2011, être « fermement opposé[e] à ce que les médecins soient impliqués dans les procès concernant Mediator° » (15).

Au final, les prescriptions de Mediator° ont été à l’origine de graves dommages chez des milliers de patients, mais elles ont eu peu de conséquences juridiques à l’encontre des médecins prescripteurs. Nombre de ces médecins s’en sont remis à la seule information fournie par la firme et au contrôle supposé de l’Agence française du médicament, et certains ont parfois simplement répondu à la demande des patients. Non coupables, mais non sans responsabilité dans ce désastre.

©Prescrire Avril 2020

Extraits de la veille documentaire Prescrire
1- Prescrire Rédaction “La firme Servier et l’Agence française du médicament devant le tribunal” Rev Prescrire 2019 ; 39 (431) : 700-701.
2- Recherche et compilation de décisions dans la base de jurisprudence ordinale avec les mots “Mediator” et “benfluorex”. Site www. jurisprudence.ordre.medecin.fr consulté le 18 décembre 2019 : 3 pages.
3- Robinson E et Thépaut C “Réquisitoire définitif de constatation de l’extinction de l’action publique, de non-lieu partiel, de renvoi devant le tribunal correctionnel et de maintien sous contrôle judiciaire” 24 mai 2017 : 597 pages.
4- “Mediator° : très peu d’actions ont été engagées au civil” Dépêche APMnews du 27 avril 2011 : 1 page.
5- “Mediator° : l’Oniam dément la mise en cause des médecins prescripteurs” Dépêche APMnews du 20 juillet 2011 : 1 page.
6- Chardon D “Au moins 200 médecins mis en cause” Le Quotidien du médecin 4 décembre 2012. Site www.lequotidiendumedecin.fr consulté le 19 décembre 2019 : 2 pages.
7- “200 cliniques assurées par le Sou médical en 2012” Dépêche APMnews du 29 novembre 2012 : 2 pages.
8- “Tribunal de grande instance de Lyon, 4e chambre, 25 avril 2016, n°15/03903”. Site www.doctrine.fr consulté le 18 décembre 2019 : 4 pages.
9- “CAA de Bordeaux, 2e chambre (formation à 3), 7 avril 2016, 14BX00807, Inédit au recueil Lebon”. Site www.doctrine.fr consulté le 12 décembre 2019 : 3 pages.
10- Clavreul L “Mediator° : la gêne des médecins prescripteurs” Le Monde 26 juillet 2011. Site www.lemonde.fr consulté le 20 décembre 2019 : 2 pages.
11- Sauveur M “Mediator° : une patiente gagne contre le Dr Dukan” 20 septembre 2011. Site www.europe1.fr consulté le 4 février 2020 : 2 pages.
12- “Xavier Bertrand assure que les médecins n’auront pas à indemniser les victimes de Mediator°” Dépêche APMnews du 9 mai 2011 : 2 pages.
13- Frachon I “Courriel à Prescrire” 2 février 2020 : 2 pages.
14- Lellinger S “Innovation thérapeutique et accident médicamenteux. Socio-genèse du scandale du benfluorex (Mediator°) et conditions de reconnaissance d’une pathologie émergente : les valvulopathies médicamenteuses” Thèse épistémiologie et histoire des sciences et des techniques, Strasbourg, 2018 : 554 pages.
15- “Mediator° : polémique sur la mise en cause des médecins” Dépêche APMnews du 25 août 2011 : 2 pages.