Le FORMINDEP a été invité par le président de la Haute Autorité de Santé à une rencontre de discussion autour de la problématique des conflits d’intérêts. Cette invitation fait suite à plusieurs courriers du FORMINDEP, depuis avril 2023, pointant ce que nous jugions être des insuffisances dans les déclarations d’intérêts de responsables du groupe de travail sur les recommandations « hypothyroïdies » ; insatisfaits des réponses du président de la HAS, nous avions sollicité en janvier 2024 le déontologue de la HAS, qui nous a répondu en février 2024 (courriers).

La rencontre a eu lieu le 28 mars 2024, le FORMINDEP était représenté par Jacques Birgé, Jean-Benoît Chenique et Christian Guy-Coichard ; côté HAS étaient présents Lionel Collet (Président), Robert Gelli (Déontologue), Jean Lessi (Directeur Général), Pierre Gabach (Responsable du pôle Bonnes Pratiques), Jacques Dauberton (Conseiller technique), Claire Compagnon (membre du Collège).

Liens d’intérêts des experts des groupes de travail.

Il nous a été précisé que les déclarations publiques d’intérêts (DPI) obligatoires des experts ou membres des groupes de travail ne recoupaient pas les mêmes catégories que les déclarations de la base Transparence Santé (TS), mais que tous ces éléments étaient pris en compte par le Comité de Validation des Déclarations d’intérêt de la HAS (CVDI) pour valider ou non la participation des experts aux groupes de travail. Les critères de validation sont précisés dans le Guide de déclarations et de gestion des conflits d’intérêt de la HAS. Cependant, cette réponse ne nous satisfait que partiellement, puisque les séances du CVDI et le détail des conclusions ne sont pas à disposition, ce qui ne permet pas d’avoir une vision claire des liens d’intérêt en cause.

Pour le FORMINDEP, tout lien d’intérêt est déjà un conflit d’intérêt, et il semble indispensable d’avoir une vision complète de ces liens, et des raisons qui ont présidé à les juger suffisamment « faibles » pour ne pas écarter un expert ; pour exemple, le Conseil Supérieur de la Santé belge rend publics les compte rendus des discussions sur les liens d’intérêts des experts (http://www.health.belgium.be/fr/conflits-dintérêts) ;  le FORMINDEP revendique un droit de critique sur les débats du CVDI, au nom de la transparence, et donc de la crédibilité des travaux et recommandations de la HAS.

La frontière entre liens et conflits d’intérêts

La distinction entre liens et conflits d’intérêts est une particularité très française, elle n’apparaît pas ou peu dans la littérature anglophone ; cette distinction permet, selon nous, une déculpabilisation facile (j’ai des liens, pas de conflit, surtout si j’en ai beaucoup) ; nous avons insisté sur cette frontière artificielle, qui permet de distinguer assez arbitrairement des liens « faibles » et « forts », sans que les critères de distinction soient très clairs ; nous avons souhaité une clarification sur plusieurs points : la prise en compte de liens remontant à plus de cinq ans (limite actuelle des déclarations), de liens ni financiers ni professionnels (tout le monde se connaît dans le petit monde des experts), de liens plus insidieux (aide au déroulement de carrière) ; par ailleurs, plusieurs études ont montré que les liens les plus forts ne sont pas toujours les plus rémunérateurs, et la « faible intensité » supposée  des liens est illusoire; il y a probablement nécessité de revoir et préciser les critères utilisés ; mais la HAS nous a clairement exprimé les limites imposées par la loi, qui encadre très fermement la procédure ; un décret européen est attendu sur le sujet en 2024 : sera-t-il une source d’évolution ?

Le choix des experts

On nous répond toujours : « trouver des experts sans lien d’intérêt est impossible, il faut faire avec ». C’est sans doute vrai actuellement dans beaucoup de cas, mais il nous semble important de faire quelques propositions pour tenter de modifier cette situation.

  • Inclure plus de médecins généralistes dans les groupes de travail de la HAS ; de nombreux généralistes, et notamment des professeurs de médecine générale et des chefs de clinique, n’ont pas de conflits d’intérêt, prescrivant essentiellement des génériques; la HAS répond qu’elle fait systématiquement des appels d’offres de ce type, sans grand succès, auprès des collèges ou sociétés savantes.
  • Des critères déontologiques plus restrictifs, pour un sevrage plus rapide du « il faut faire avec ».
  • Les experts qui ont des liens d’intérêt (quel que soit leur niveau) ne devraient pas participer à l’écriture des recommandations, mais seulement aux auditions.
  • Une transparence accrue dans les comptes rendus et les recommandations, pour une prise de conscience progressive de la problématique par le corps médical.

La labellisation par la HAS des recommandations des sociétés savantes

La quasi-totalité des sociétés savantes nage dans un conflit d’intérêts majeur, une bonne part de leur fonctionnement dépend souvent des subsides des entreprises de santé ; la HAS a mis en place une « labellisation » , soutenue par un « guide méthodologique », incluant des éléments déontologiques, et en particulier sur le plan des liens d’intérêts des membres des groupes de travail.

Malheureusement, plusieurs problématiques plombent un peu cette démarche :

  • La labellisation est demandée par les promoteurs, ce qui les incite à une sélection, dont la conséquence est le faible nombre actuel de demandes ; nous avons demandé que la HAS s’engage dans une politique de labellisation (positive ou négative) de toutes les recommandations émises par des sociétés savantes (cf  initiative allemande des associations  Mezis,  NeurologyFirst et Transparency Deutschland: Leitlinienwatch) ; c’est très clairement pour nous le rôle de la HAS, qui doit imposer sa vigilance sur toutes les recommandations, en particulier sur le plan déontologique : pour gagner le droit  d’être la référence, la Haute Autorité de Santé doit être hautement autoritaire ! et doit clairement exprimer que les « recommandations » non labellisées des sociétés savantes ne sont pas des recommandations validées, mais de simples avis. Sur ce plan, le FORMINDEP a bien l’intention de continuer à jouer son rôle de vigile et d’aiguillon.
  • Le rapport d’activité 2022 du déontologue signale que des recommandations formulées par le CVDI, lors d’actualisation de déclarations d’intérêts de membres de groupe de travail fonctionnant sous label, ne sont pas toujours suivies d’effet ; une raison supplémentaire d’être autoritaire si l’on ne veut pas que cet embryon de démarche se dissolve dans le néant (ou le ridicule) avant d’être vraiment en place !

Une bonne nouvelle !

On se souvient que le FORMINDEP avait obtenu le retrait en 2018 d’une recommandation de la HAS sur les dyslipidémies, après une action en Conseil d’État, pointant des déclarations d’intérêts d’experts incomplètes ou absentes ; cette recommandation était d’ailleurs une copie de recommandations de société savante ; depuis cette date, la place était restée vide, au grand dam des prescripteurs pour ces facteurs de risque pourtant fréquents. La HAS a remis en chantier ces recommandations, avec une démarche cette fois ci indépendante et très stricte, tant sur le plan déontologique que méthodologique, nous dit-on, et de nouvelles recommandations devraient paraître en 2024 !

Au total, une impression globalement positive de la volonté, clairement affirmée, de la direction de la HAS d’avancer sur le terrain de la transparence et de l’indépendance, sur la méthodologie des recommandations ; mais aussi la certitude, tout aussi clairement affirmée, que la réglementation et les lois en vigueur ne permettent qu’une marge de manœuvre très réduite sur ce sujet ; le FORMINDEP a exposé des propositions concrètes et reste à disposition pour de prochaines rencontres, que la HAS dit souhaiter.