En 2017, et suite à la publication de notre premier classement des facultés en matière d’indépendance, les conférences de doyens de médecine et d’odontologie avaient publié une charte éthique et déontologique. Nous avions alors salué cette démarche qui allait dans le bon sens. Quelques points avaient retenu notre attention, et nous avions proposé deux principales modifications : l’interdiction totale sur la présence des firmes au sein des campus et l’obligation de rendre public le rapport annuel de la commission de déontologie. 

En 2021, nous avions fait le bilan de l’application de cette charte dans notre 2e classement des facultés, avec un bilan mitigé. Nous avions également réagi sur la lenteur des changements en lien avec les conflits d’intérêt. 

Fin juin 2023, la conférence des doyens de médecine a mis à jour leur charte. Quelles sont les principales modifications ? La Charte remplit-elle son rôle ? 

Nous ne commenterons pas les modifications concernant en particulier le respect de la parité et la durabilité des facultés, domaines ne concernant pas directement le Formindep.


Le Préambule

Le document commence par un préambule, et dès le premier paragraphe, nous avons le droit à une longue note de bas de page qui nous explique ce qu’est un lien d’intérêt, en quoi il est différent d’un conflit d’intérêt et que la collaboration avec l’industrie est indispensable. Il s’agit clairement d’une mauvaise entrée en matière selon nous, et cela laisse présumer que la charte sera édulcorée. 

Pour rappel, la distinction entre liens et conflits d’intérêt est une problématique uniquement française. De plus, il n’existe pas de classification unique et cette distinction est établie de manière arbitraire et floue, ce qui rend la pertinence discutable. Les travaux de la psychologie sociale ont amplement démontré l’influence que pouvaient avoir des liens même très minimes sur nos perceptions et nos décisions. Dans le cas des médecins, les liens d’intérêts peuvent se traduire notamment par une distorsion des recherches, des diagnostics et des prescriptions. 

Pour rappel, l’analyse d’une trentaine d’études scientifiques, a permis de mettre en évidence que les médecins recevant de l’argent d’un laboratoire agissent, consciemment ou inconsciemment, plutôt en faveur de ce laboratoire dans leur activité professionnelle. (1).

La transparence des liens n’annule pas leur influence, elle peut même la renforcer en leur accordant une forme de légitimité. Elle ne saurait donc être considérée comme une fin, mais un simple outil d’information des patients et des citoyens, favorisant l’indépendance des professionnels de santé. 

Ceci fait écho pour nous à ce passage écrit par Marcia Angell professeur d’Harvard et ancienne rédactrice en chef du New England Journal of Medicine (nous soulignons) : 

« Enfin, les médecins ont rarement une raison légitime d’accepter des cadeaux de firmes pharmaceutiques, même les plus petits, et ils devraient payer leurs propres réunions et leur formation continue. Après de nombreux échos médiatiques défavorables, les écoles de médecine et les organisations professionnelles commencent à parler de contrôle des conflits d’intérêts, mais jusqu’à présent, la réponse a été tiède. Ils font systématiquement référence aux conflits d’intérêts « potentiels », comme s’ils étaient différents de la réalité, et à leur divulgation et à leur « gestion », et non à leur interdiction. En bref, il semble y avoir un désir d’éliminer l’odeur de la corruption tout en conservant l’argent. Briser la dépendance du corps médical à l’industrie pharmaceutique demandera plus que la création de commissions et d’autres gesticulations. Il faudra rompre brusquement avec un comportement extrêmement lucratif. Mais si le corps médical ne met pas fin à cette corruption volontairement, il perdra la confiance du public et le gouvernement (pas seulement le sénateur Grassley) interviendra et imposera une réglementation, ce que personne en médecine ne souhaite. » 

Lanceur d’alerte

La notion de lanceur d’alerte est introduite. La faculté s’engage à faire respecter la loi du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte. 

Cette loi a permis de créer un statut spécifique, a simplifié les canaux de signalement et permet d’avoir un meilleur niveau de protection de lanceur. 

Référent à l’intégrité

Notion introduite dans la version de 2017, la modalité de nomination du référent ou de la référente à l’intégrité est modifiée. Cette personne est nommée par le conseil de faculté sur proposition conjointe du Doyen de la Faculté et du Président de la Commission de déontologie et d’intégrité scientifique. Auparavant, elle était élue par ses pairs.

Nous perdons l’aspect démocratique de la démarche et risquons de voir apparaître des personnes choisies pour leurs positions communes avec le conseil de faculté et le ou la doyen.ne et une perte d’indépendance. 

Neutralité des enseignants

“Les enseignants doivent faire preuve de neutralité vis-à-vis de l’entreprise ou de l’institution avec laquelle ils entretiennent un lien.”  

Ce vœu pieux faisait déjà partie de la version de 2017, pas de changement. C’est pourtant méconnaitre les effets potentiels des fameux “liens d’intérêt”. Cela a été développé plus haut dans la partie Préambule. 

Cumul d’activités accessoires 

Des précisions sont données concernant les critères d’appréciation des cumuls d’activité possibles. Les avis donnés par la commission ne semblent être que consultatifs. “L’autorisation n’est donnée que pour une seule mission et pour une durée d’un an maximum, renouvelable.” : cette notion a disparu. Pourquoi ? 

Il est fait notion des formations en immersion financées par un prestataire privé : celles-ci ne doivent pas donner lieu à rémunération et imposent une convention préalable. Elles sont donc autorisées et cela permet de maintenir un lien entre prestataire privé (industrie pharmaceutique ou des dispositifs médicaux) et le personnel soignant… 

La phrase suivante a été retirée : “La participation des enseignants aux activités de marketing/vente des produits de santé est interdite.” Pourquoi ? 

La faculté s’assure que les financements externes n’influencent pas l’indépendance des contenus pédagogiques

Le financement par les fondations est autorisé, il n’y a pas eu de modification depuis la version de 2017. Nous regrettons cela car il n’est pas détaillé que les facultés refusent les fondations financées par l’industrie pharmaceutique, ce qui n’est pas rare.  

Par exemple, la Fondation Alzheimer finance des programmes de recherche et est elle-même, en partie, financée par l’industrie pharmaceutique, des membres de l’industrie sont au Conseil d’administration (dont Servier). La Fondation Alzheimer finance d’ailleurs le Diplôme Inter-Universitaire Diagnostic et Prise en Charge de la Maladie d’Alzheimer et des Maladies Apparentées (DIU MA2) à l’université de Lille.

Liens avec les partenaires du soin 

“Les représentants marketing des industries pharmaceutiques et des produits de santé (au sens très large) ne sont pas autorisés à rencontrer les personnels universitaires dans les zones de soin ou en présence d’étudiants. Cela implique qu’ils ne peuvent pas y organiser des exposés en présence des étudiants.” 

Excellente nouvelle ! Cela veut donc dire qu’il est dorénavant interdit aux étudiants d’assister à des présentations de la part de l’industrie pharmaceutique. Par contre, cela reste possible les soignants diplômés. 

Non respect de la Charte

Pas de modification notable concernant les actions prises en cas du non respect de la charte. Pour rappel, la faculté s’engage à alerter les autorités de tutelle et les ordres professionnels concernés en cas de manquement au respect des points de la Charte qui relèvent d’un texte législatif ou réglementaire.

Il n’existe pas de rapport public des actions prises.  

Des sanctions sont-elles appliquées ? Et si oui, sont-elles partagées ? 

Une étude récente a évalué la connaissance de la charte par les étudiants dans une université parisienne. Le résultat est simple : les étudiants connaissent peu la charte et elle est modestement appliquée. Des sanctions ne sont donc probablement pas courantes – alors qu’elles seraient nécessaires compte tenu des résultats de l’étude. En l’absence de sanction, la charte n’a que peu d’intérêt. (2)


Conclusion 

La charte d’indépendance des facultés de médecine évolue vers certains progrès comme l’interdiction d’organiser des exposés par des représentants marketing des industries pharmaceutiques auprès d’étudiants ou encore l’intégration de la loi sur les lanceurs d’alerte. Néanmoins, ces avancées ne sont pas suffisantes et ne vont pas plus loin que le minimum attendu. Il reste encore une problématique de fond qui n’est visiblement pas comprise par les doyens des facultés de médecine : tous les liens avec les industriels sont sources d’influence et ne devraient pas être présents au sein des facultés.  

Il est plus que jamais nécessaire de prendre des décisions fortes pour une meilleure indépendance du secteur de la formation médicale et de ne plus se contenter de mettre en avant la transparence des liens d’intérêt qui n’est qu’un outil d’information et non pas une fin en soi.