En guise de conclusion à la série d’articles publiés en complément de notre 3e classement des facultés de médecine, il nous parait important de préciser certains éléments freinant l’évolution des pratiques en matière d’indépendance dans la formation initiale, près de quatre ans après la publication de la charte éthique de la Conférence des doyens.

En 2009, l’académie de médecine états-unienne publiait le rapport le plus détaillé à ce jour sur les conflits d’intérêts dans la recherche, l’éducation et la clinique. Le professeur Lo, directeur du rapport, dit à cette occasion (nous soulignons) : « Il est temps de mettre fin à un certain nombre de pratiques reconnues de longue date qui créent des conflits d’intérêts inacceptables, menacent l’intégrité de la profession médicale et érodent la confiance du public tout en n’apportant aucun avantage significatif aux patients ou à la société ».

Certaines mesures préconisées par le rapport allaient d’ailleurs au-delà de celles de la charte éthique de la Conférence des doyens (voir le recent article du BMJ Evidence-Based Medicine faisant un bilan du rapport, 10 ans après sa publication).

En France, malgré l’affaire du Mediator et le verdict récent de son procès, notre classement montre que ce changement culturel reste encore à faire :

  • En 2018, les organisations étudiantes nous faisaient remonter que dans différents conseils de faculté, le vote de la charte était réalisé dans un but de gain d’image, et non de changement de pratiques et de mentalité par rapport à un sujet qui concerne pourtant le cœur des missions de la faculté. Malheureusement assez logiquement, nous constatons la même chose pour l’application de la charte en 2021.
  • Certains industriels siègent toujours au conseil de faculté de certaines facultés (Lyon Sud, Toulouse Purpan, Le Leem partenaire de l’UFR santé de Bordeaux…), alors que ces éléments avaient déjà été rapportés dès 2016, ce qui est diamétralement opposé à l’esprit de la charte.
  • Alors que le verdict du procès Mediator a été rendu récemment, un ex-doyen fait toujours partie du comité scientifique de l’institut Servier. Il est possible qu’il en faisait déjà partie lors de son mandat en tant que doyen, commencé en 2014, ce qui à notre sens envoie un message contraire à celui de la charte auprès des autres enseignants et des étudiants. Peu de temps avant sa prise de poste en tant que doyen, il tournait une publicité pour une crème anti-rides, un « mélange des genres » questionné entre autre par le Figaro.

Ceci fait écho pour nous à ce passage écrit par Marcia Angell professeur d’Harvard et ancienne rédactrice en chef du New England Journal of Medicine (nous soulignons) :

« Enfin, les médecins ont rarement une raison légitime d’accepter des cadeaux de firmes pharmaceutiques, même les plus petits, et ils devraient payer leurs propres réunions et leur formation continue. Après de nombreux échos médiatiques défavorables, les écoles de médecine et les organisations professionnelles commencent à parler de contrôle des conflits d’intérêts, mais jusqu’à présent, la réponse a été tiède. Ils font systématiquement référence aux conflits d’intérêts « potentiels », comme s’ils étaient différents de la réalité, et à leur divulgation et à leur « gestion », et non à leur interdiction. En bref, il semble y avoir un désir d’éliminer l’odeur de la corruption tout en conservant l’argent. Briser la dépendance du corps médical à l’industrie pharmaceutique demandera plus que la création de commissions et d’autres gesticulations. Il faudra rompre brusquement avec un comportement extrêmement lucratif. Mais si le corps médical ne met pas fin à cette corruption volontairement, il perdra la confiance du public et le gouvernement (pas seulement le sénateur Grassley) interviendra et imposera une réglementation, ce que personne en médecine ne souhaite. »

Le changement culturel que les professeurs Lo et Angell appellent de leurs vœux ne peut ainsi se limiter à créer des commissions ou ajouter des enseignements sur l’intégrité scientifique et l’indépendance par rapport aux firmes pharmaceutiques aux étudiants alors que les enseignants, PUPH (professeur des universités et professeur hospitalier) en tête, peuvent eux-mêmes n’être pas formés sur le sujet et transmettre à leurs étudiants des données et valeurs justement dénoncées par le rapport de l’académie de médecine états-unienne que les connaissances acquises de la science n’ont fait que préciser et confirmer depuis (nous listons les recommandations de divers rapports en fin d’article). La communauté médicale dans son ensemble, et enseignante en particulier, ne devrait pas à notre sens faire l’économie d’une profonde remise en question individuelle et structurelle au niveau de ses croyances, connaissances et certaines pratiques qui ne sont plus acceptables. Certains doyens et enseignants (surtout en médecine générale et en Sciences Sociales et Humanités) sont déjà engagés dans cette voie et montrent que cela est possible, et la plupart des organisations étudiantes sont aussi de plus en plus impliquées dans ce domaine.

D’après ce classement, ce changement n’a globalement pas avancé en France au sein des facultés, mais nous espérons que cette initiative pourra contribuer à inciter les parties prenantes à s’emparer davantage de ces enjeux, dans l’intérêt des patients et des comptes sociaux.

Recommandations de l’Institute of Medicine (Académie de médecine étatsunienne) (2009)

L’IOM a recommandé la mise en œuvre de politiques interdisant aux professeurs, aux étudiants, aux internes et formateurs de tous les sites de formation associés d’être en relation avec l’industrie (sauf dans des situations précises). Ces relations interdites comprennent les cadeaux, les présentations éducatives gérées par l’industrie et les publications (y compris celles écrites par des rédacteurs médicaux, [note du traducteur : ceci est plus communément appelé ghostwriting]), les accords de consulting non basés sur des contrats de services d’experts à un prix de marché approprié, les contacts avec les visiteurs médicaux et de produits de santé, l’utilisation d’échantillons de médicaments. L’IOM a également recommandé que les sites de formation fournissent une éducation formelle afin de savoir éviter et gérer les conflits d’intérêts. En outre, l’IOM a recommandé un nouveau système de financement pour les programmes de formation médicale continue afin d’éviter ce type d’influence.

Conseil de l’Europe (2015)

Par ailleurs, il faudrait absolument vaincre la réticence des professionnels de santé à accepter qu’ils sont bel et bien perméables à la promotion, ce dès le début de leur formation. Une formation spécifique tendant à faire réfléchir à l’influence de la promotion pharmaceutique et à mieux y répondre devrait donc être intégrée dans le curriculum universitaire des professionnels de santé et rendue obligatoire. Par ailleurs, dans la mesure du possible, leur formation continue devrait être financée par les fonds publics.

Rapport du Sénat français (2006)

Lutter contre les ingérences des firmes dans la formation des futurs médecins, en interdisant notamment les actions de type sponsoring ou lobbying (attribution de bourses, remise de prix ou de cadeaux, visites médicales).
Introduire la culture de l’indépendance et de la transparence dans l’enseignement et la pratique médicale, chaque enseignant de faculté devant déclarer ses conflits d’intérêts : conflits d’intérêts généraux dans une déclaration annuelle actualisée et conflits d’intérêts spécifiques au cours enseigné.

Rapport parlementaire français (2013)

De même, il nous faudrait réfléchir plus sérieusement aux liens entre les étudiants et les entreprises pharmaceutiques. Il n’est pas normal qu’ils soient encore si étroits et nous pourrions envisager de modifier la loi pour mieux les encadrer et les limiter. Pourquoi ? On le sait, plus tôt les liens sont établis, plus les étudiants seront soumis à l’influence prégnante des industries pharmaceutiques.