Le Formindep publie son 3e classement des facultés françaises en matière d’indépendance.

Suite au premier classement des facultés de médecine par rapport à leur politique de gestion des conflits d’intérêt que le Formindep a publié en janvier 2017 dans PLoS One, les Conférences des Doyens de médecine et d’odontologie ont apporté une réponse forte en publiant en novembre 2017 une charte éthique et déontologique, saluée par le Formindep et diverses organisations étudiantes (ANEMF, SNJMG).

Ce classement 2021, comme celui de 2018, cherche à mesurer la mise en application de la charte éthique.

Pour une description détaillée des éléments de contexte soutenant la démarche de ces classements, vous pouvez vous référer à l’introduction de notre article de 2017 de PLoS One, ou à l’article publié dans Pédagogie Médicale en 2016 « Préparer les étudiants en médecine à affronter l’influence de l’industrie pharmaceutique : un enjeu éthique, professionnel et éducationnel », écrit par l’un de nos membres.

Conclusion du classement 2021

1) Un 2e classement mesurant la mise en place de la charte éthique de la Conférence des Doyens (CDD)

Ce classement 2021, comme celui de 2018, fait suite à la réactivité de la conférence des doyens de médecine et d’odontologie qui ont publié une charte éthique et déontologique (novembre 2017) saluée par le Formindep et différentes organisations étudiantes. Cette charte fut élaborée suite à la publication du 1er classement du Formindep quelques mois plus tôt (janvier 2017) dans PLoS One.

Ce classement 2021, comme celui de 2018, mesure la mise en place de la charte.

Ce classement a pu être réalisé grâce aux informations constatées sur le terrain par deux organisations étudiantes (ANEMF et ISNAR-IMG), ainsi qu’à une quinzaine d’enseignants en faculté de médecine. Nous les en remercions (pour en savoir plus, consulter l’onglet Méthodologie).

2) Peu de changements par rapport au classement de 2018

« Le chemin vers l’indépendance est encore long » avait dit le doyen de Lyon Est lors d’une interview au Figaro à la sortie de notre premier classement en 2017. Cela reste vrai aujourd’hui pour que les changements prévus par la charte soient réalisés : sur les 36 facultés de médecine, une seule, Lyon Est, obtient un score au-dessus de la moyenne avec 18 points sur 34 possibles. Viennent ensuite 11 facultés ayant entre 10 et 14 points pour les scores les plus élevés, ce qui correspond globalement aux scores du classement 2018.

Qu’est-ce qui explique ces résultats bas ?

Absence de mesure quasi ou totale pour 6 critères sur 17 (Diffusion de la charte, Déclarations publique d’intérêt des instances de gouvernance d’une part, et des enseignants d’autre part, Transparence des financements, Promotion de la charte dans les autres lieux de formation, Rédaction d’une politique de sanction en cas de manquement, Enseignements pour le 3e cycle hors médecine générale)

Recul de moitié des points par rapport à 2018 pour le critère concernant les cours en 1er cycle portant sur les stratégies d’influence des firmes pharmaceutiques et de produits de santé et les conflits d’intérêts (Les cours sur l’intégrité scientifique et de Lecture Critique d’Article (LCA) ne sont ici pris en compte que s’ils abordent des éléments portant sur les stratégies d’influence et les conflits d’intérêts, ce qui est rarement le cas comme nous le précisons dans l’onglet Méthodologie).

Baisse par rapport à 2018 de la diffusion de la charte auprès des enseignants et des étudiants pour en promouvoir les valeurs.

On notera que le contexte sanitaire, la réforme des études médicales et la fusion de certaines facultés ont à coup sûr retardé la mise en place de la charte. Cependant, la lenteur des changements était déjà constatée avant le début de la crise sanitaire et des réformes en cours.

Les améliorations positives depuis 2018

La commission de déontologie a été créée dans la grande majorité des facultés, et un tiers a intégré le référent à l’intégrité scientifique et un représentant étudiant, comme prévu par la charte.

Un référent à l’intégrité scientifique a été désigné dans la majorité des facultés, comme on peut le voir sur la liste partagée sur le nouveau site de la Conférence des Doyens.

Certaines avancées à nuancer cependant

La mise en place généralisée des commissions de déontologie est à relativiser car certaines d’entre elles n’ont jamais ou très peu siégé depuis leur mise en place pouvant remonter à plusieurs années. D’autres n’ont été créées que très récemment. Quand les commissions siègent, le sujet de la charte et de l’indépendance n’est le plus souvent pas abordé, voire rejeté, et les commissions traitent d’autres problèmes déontologiques ou éthiques (qui bien sûr ont leur intérêt aussi). La charte indique pourtant (nous soulignons) “Une commission de déontologie est mise en place au sein de chaque Faculté afin d’examiner tous les sujets relatifs à l’éthique et l’intégrité scientifique et professionnelle, en particulier les manquements à la présente charte”, or nous avons vu plus haut que de nombreux critères de la charte ne sont pas appliqués. Pour les rares commissions s’occupant de la charte, le seul examen du cumul des activités des enseignants a pris la majorité du temps de réunion.

3) Quelles initiatives à retenir pouvant être élargies à d’autres facultés ?

Une des vocations majeures du classement est de favoriser un effet de stimulation entre les facultés, en souhaitant que celles plus en avance puissent inspirer les autres dans la réalisation des objectifs de la charte.

  • Tours met en ligne les comptes rendus des séances de la commission de déontologie.
  • Lyon Est se passe de tout financement de la part des industriels.
  • Caen a fait un travail rapproché avec son CHU.
  • Brest a rédigé une charte pour les maîtres de stages universitaires en médecine générale incluant des mesures en lien avec l’indépendance.
  • Si on note qu’aucune faculté n’offre des cours ayant le meilleur score sur l’ensemble des trois cycles, comme prévu par la charte et le Pharmfree Curriculum de L’AMSA (American Medical Student Association) que cette dernière cite en référence, il existe cependant, sur l’ensemble des facultés, de tels cours pour chacun des cycles.

4) Nos suggestions pour avancer

Comme indiqué ci-dessus, le classement fait cependant apparaître l’existence de cours obtenant le score le plus élevé pour chaque cycle. Ces cours pourraient servir aux autres facultés, comme c’est le cas de la FACRIPP (Formation à l’Analyse Critique de la Promotion Pharmaceutique) du Département de Médecine Générale (DMG) de Bordeaux, qui a déjà été reprise dans plusieurs facultés. Ses enseignants partagent volontiers leurs matériels et dispositifs pédagogiques.

Que les étudiants reçoivent une véritable formation sur l’influence des firmes et les problèmes posés par les conflits d’intérêts est pour nous l’une des premières priorités et responsabilités des facultés. La charte indique comme référence en la matière le Pharmfree Curriculum de l’AMSA qui est pour nous aussi la proposition de curriculum globale la plus aboutie et détaillée sur le sujet. Il pourrait grandement aider les commissions pédagogiques des facultés à construire leur curriculum dans ce domaine. Nous espérons que les facultés, notamment à travers leurs commissions pédagogiques s’en empareront pour avancer.

Concernant les cours du 3e cycle, la charte indique que les facultés doivent particulièrement veiller à la formation de leurs internes, qui devrait couvrir “le bon usage de l’information médicale et scientifique, les manipulations de l’information et les pratiques d’influence, les moyens de les repérer et de se prémunir de tout risque de perte d’indépendance. Cet enseignement est renouvelé au cours du troisième cycle, adapté à la spécialité enseignée et à la vulnérabilité particulière des étudiants du fait de leurs responsabilités croissantes vis-à-vis des patients”.
Si des cours existent souvent en 3e cycle pour la médecine générale, il semblerait que cela ne soit pas ou peu le cas pour les autres spécialités. La FACRIPP pourrait là aussi à notre sens grandement faciliter la construction de tels cours en les adaptant à chaque spécialité, comme c’est d’ailleurs le souhait des concepteurs de la FACRIPP.

Depuis quelques années, la revue Prescrire essaye de se rendre plus disponible pour intervenir auprès des étudiants en santé quand ils sont sollicités par des enseignants, comme c’est déjà le cas dans quelques facultés. Ceci pourrait être une aide supplémentaire facilitant la mise en place ou le renforcement des enseignements.

Selon la charte, « Les Facultés mettent en place une commission chargée d’examiner les demande de cumul d’activités accessoires ». Actuellement ce cumul semble uniquement réalisé par quelques rares commissions de déontologie et représente l’essentiel de leur activité, ne leur permettant pas de traiter d’autres aspects de la charte. Ne serait-ce pas plus efficace de créer une commission spécifiquement dédiée à l’examen de ces demandes de cumul d’activités ?

Les déclarations publique d’intérêts que les enseignants sont censés faire avant leurs cours restent rares. D’après les échanges que nous avons eus, il nous semble qu’une majorité d’enseignants ne sait pas que c’est une obligation légale, au-delà d’être une demande de la charte. En effet, l’article L-4113-13 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 janvier 2016, oblige à ce que « les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et des établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits (…) sont [désormais] tenus de faire connaître ces liens au public lorsqu’ils s’expriment sur lesdits produits (…) lors d’un enseignement universitaire ».

Les facultés devraient ainsi s’assurer que cette obligation légale est connue et appliquée. Cependant, nous ne sommes pas convaincus que cela serait suffisant pour que ce changement se fasse. En effet, les retours que nous avons indiquent que certains enseignants s’opposent à cette déclaration, perçue avant tout comme mettant en doute leur crédibilité. Ainsi, la conception de la charte selon laquelle “La déclaration des liens d’intérêts est un élément important de la politique de lutte contre les conflits d’intérêts et participe à la transparence des acteurs de la vie publique. (…) La communication des liens d’intérêts avant chaque cours constitue un exemple pédagogique sur le sujet de l’intégrité scientifique auprès des étudiants” ne semble pas partagée par certains enseignants, peut-être la majorité. Il serait sans doute utile de rappeler et préciser en quoi cette déclaration est importante et comment elle devrait être faite pour qu’elle soit en effet un “exemple pédagogique”, afin d’éviter par exemple la diapo présentant les liens en début de cours passée en quelques secondes sans guère d’explication, ou même raillant cet aspect. La diffusion de situations concrètes où les liens d’enseignants avec les firmes et l’absence de leur déclaration ont posé problème, comme à Harvard ou au Canada notamment, pourrait également aider à souligner l’utilité de cette démarche.