Après avoir abrogé, sous la pression du Formindep, la recommandation de 2008 sur la maladie d’Alzheimer, la HAS publie en décembre 2011 une “nouvelle” recommandation, censée avoir été élaborée à l’abri des influences de l’industrie. Qu’en est-il vraiment ? Quel progrès pour la qualité de l’information et des soins dans cette recommandation ? Le Formindep analyse à la loupe et compare cette “nouvelle” recommandation à la précédente…
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La recommandation biaisée de 2008, abrogée grâce au Formindep
Dès mars 2009 le Formindep demandait à la Haute autorité de santé le retrait de la Recommandation de bonne pratique 2008 (RBP) sur le diagnostic et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer au motif du défaut de transparence et d’indépendance de l’expertise en contradiction avec la législation en cours. Le refus de la HAS de répondre favorablement à notre demande fut à l’origine du dépôt par le Formindep d’une requête devant le Conseil d’État en décembre 2009 en vue d’obtenir cette abrogation, ainsi que celle sur le diabète de type 2, pour les mêmes raisons. En avril 2011 le Formindep obtenait du Conseil d’Etat l’abrogation de la recommandation sur le diabète de type 2. Dans la foulée la HAS retirait également celle sur l’Alzheimer, alors que le Conseil d’État était sur le point de prendre la même décision de retrait. En abrogeant d’« elle-même » cette recommandation, la HAS tentait de sauver la face devant ce désaveu cinglant, par la plus haute instance administrative, de sa politique de gestion des conflits d’intérêts. Cette abrogation était confirmée par l’ordonnance du Conseil d’État le 18 octobre 2011 .
La HAS se contente de réviser
C’est dans ce contexte que la HAS décidait non pas d’élaborer une nouvelle Recommandation pour remplacer la première, mais de se contenter de “réviser” la recommandation abrogée. Ainsi au chapitre «méthode de travail» de cette “nouvelle” Recommandation, on peut lire qu’il s’agit pour le nouveau groupe de travail de réviser la recommandation 2008 et d’en «confirmer la validité». Nous avons donc décidé d’analyser à la loupe cette recommandation “révisée”. La HAS a-t-elle su saisir cette occasion pour réécrire une recommandation fiable, élaborée à l’abri des influences industrielles ? A t-elle en particulier intégré la réévaluation à la baisse de l’efficacité des médicaments anti-alzheimer par la Commission de la Transparence dont le document de synthèse produit en octobre 2011 est explicite ? La HAS a-t-elle réellement eu le souci du respect des soignants, des patients, en jouant honnêtement le jeu de la fiabilité des données et de leur indépendance ? Voici cette analyse : – Ni le groupe d’organisation de la recommandation, ni le président du groupe de travail ne sont identifiés. – L’ensemble des professionnels à qui s’adresse cette Recommandation n’est pas représenté dans le groupe de travail (il manque en particulier une représentation des psychomotriciens, travailleurs sociaux, service d’aide à domicile, kinésithérapeutes, pharmaciens). – Près de 70 % du texte de la recommandation 2011 a été recopié mot pour mot. Les ajouts, retraits, modifications, ne sont pas argumentés. Nous avons surligné ici (document pdf – 5Mo) dans le texte de la recommandation 2011 ce qui a été copié-collé du texte de 2008. – Aucun niveau de preuve n’est exposé pour aucune des affirmations de la recommandation. – Aucune évaluation du rapport bénéfice/risque des prises en charges proposées ni aucune évaluation des qualités métrologiques des outils de mesure et de diagnostic ne sont proposées. – La Recommandation ne repose sur aucun argumentaire. – La Recommandation ne rapporte aucune bibliographie. Par conséquent aucune mise à jour bibliographique depuis celle réalisée pour la recommandation 2008 n’est disponible. – L’avis de la Commission de la Transparence (CT) d’octobre 2011 réévaluant à la baisse l’efficacité des médicaments anti-alzheimer n’est pas pris en compte. Sur les 74 lignes du chapitre sur le traitement médicamenteux, 68 sont une reprise mot pour mot du chapitre de 2008 et les 6 lignes nouvelles du chapitre sont très floues et inopérantes pour le praticien: «Le traitement médicamenteux spécifique est une option dont l’instauration et le renouvellement est laissé à l’appréciation du médecin prescripteur.» Il est précisé que « Cette appréciation doit prendre en compte les préférences du patient et le rapport bénéfice/risque du traitement médicamenteux envisagé.» Aucun passage ne fait référence au nouvel avis de la commission de la Transparence d’octobre 2011 qui justement rappelle ce rapport bénéfice/risque des médicaments (SMR faible, ASMR 5). Pourtant c’est en tenant compte de cet avis que le rapport bénéfice/risque du traitement pour un patient pourra être le mieux évalué. Tout cela est surprenant alors même que le chapitre “méthode de travail” précise que la Recommandation doit s’adapter au nouvel avis de la Commission de la Transparence. – La «mise en place précoce de thérapeutiques» est recommandée (page 8 de la Recommandation) sans préciser la nature de ces thérapeutiques, laissant fortement penser que les rédacteurs y ont inclus les traitements médicamenteux spécifiques, leur attribuant des effets non retrouvés dans les études cliniques et non retenus par la Commission de la Transparence : «La mise en place précoce de thérapeutiques (…) devrait assurer une meilleure qualité de vie aux patients et aux aidants sur un temps plus prolongé, permettrait de limiter les situations de crise, pourrait retarder l’entrée en institution» en contradiction totale avec l’annexe 2 (page 24) de l’avis de la commission de la Transparence où l’on peut lire : «Les données sur les critères de santé publique tels que le retard à l’entrée en institution, le passage à un stade de sévérité ultérieur, le fardeau de l’aidant ou la mortalité sont insuffisantes pour conclure à un impact favorable. En conséquence, l’intérêt de santé publique rendu par les traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer n’est toujours pas démontré.» L’utilisation du conditionnel dans cette assertion qui plus est non référencée, qui laisse ainsi la porte ouverte à l’utilisation irrationnelle de ces médicaments, est inacceptable dans un document scientifique. La HAS diffuse encore à la date du 30 janvier 2012 : – La fiche de bon usage des médicaments (BUM) qui fait référence à l’ancien avis de la Commission de la Transparence de 2007 sans prendre en compte la dégradation de l’efficacité des médicaments de 2011. – Le guide ALD 15 qui continue de proposer de prendre en charge le meprobramate et de présenter les médicaments anti-Alzheimer sur la base de la Recommandation 2008. [[Ces “guides ALD” (affection de longue durée) sont les documents sur lesquels s’appuie les médecins contrôleurs de la sécurité sociale pour accepter de prendre en charge ou non un assuré à 100 % dans le cadre d’une “affection longue durée”. Ils sont donc déterminants pour la qualité et la prise en charge des soins aux assurés sociaux.]] – Aucun lien vers l’avis de la Commission de la Transparence n’est mis en place sur la page de présentation de la Recommandation alors qu’existent un nombre important d’autres renvois (Guide ALD, autres Recommandations, plan Alzheimer…). Ce résultat est obtenu alors que la HAS prétend avoir mis en œuvre, sous les pressions des décisions du Conseil d’État et de l’action du Formindep, une politique plus stricte de gestion des conflits d’intérêts des experts. Contrairement à 2008 le groupe de travail ne comprend pas d’experts en situation de conflits d’intérêts majeurs, cependant certains des experts continuent de bénéficier du soutien de firmes pharmaceutiques concernées par les médicaments anti-Alzheimer au travers du financement de leurs associations (patients, formation), sociétés savantes et des congrès auxquels ils participent [L’identité des experts se trouve à la [page 47 de la recommandation et la HAS publie la liste des déclarations publiques d’intérêts des experts ici]]. Cette Recommandation s’apparente à un “avis d’experts” correspondant à une information scientifique du plus faible niveau de preuve. La HAS est pleinement responsable de ce résultat puisqu’elle n’a pas su faire respecter les conditions d’élaboration d’une Recommandation qu’elle a elle-même énoncées. Les professionnels de santé et les structures soucieuses de promouvoir des pratiques médicales de qualité peuvent évaluer les recommandations médicales grâce à un outil de mesure international, reconnu pour évaluer la qualité et la fiabilité des recommandations, la grille AGREE. Cette grille permet de déterminer l’intérêt qu’il y a à prendre en compte une telle recommandation en fonction du score qu’elle obtient. Notre évaluation aboutit à un score très médiocre. En particulier le critère le plus important, celui de la rigueur d’élaboration de la Recommandation, n’obtient qu’un score de 6 %, celui de son applicabilité un score de 33 %. Les 4 autres champs d’évaluation : champ et objectif, participation des groupes concernés, clarté de la présentation, indépendance éditoriale obtiennent des scores de 50 à 60 %. A l’instar de celle de 2008, la Recommandation 2011 est donc aussi «à rejeter et à déconseiller». Or la Commission des Recommandations de bonne pratique de la HAS prétend formaliser son évaluation des recommandations grâce à cette même grille. La recommandation sur le diagnostic et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer est une très large reprise de celle de 2008 élaborée sous influences industrielles. La tentative de la HAS en 2011 d’améliorer à la marge l’indépendance de l’expertise, et le non-respect des critères de rigueur d’élaboration des Recommandations n’ont pas permis l’amélioration de la recommandation qui n’est au final qu’un ravalement de façade d’un bâtiment de plus en plus insalubre, aux charpentes vermoulues par les intérêts industriels. Avec cette nouvelle imposture, la HAS a réussi le tour de force de maintenir sur une recommandation au service des intérêts des firmes en la faisant signer par des experts présentés sans liens d’intérêts majeurs avec ces firmes. Déclinaison du “ghostwriting” appliqué à des documents officiels ? Instrumentalisation de l’indépendance et mauvais coup en tout cas porté de nouveau à l’intérêt de la santé des patients. La recommandation 2011 à la loupe
Des documents non mis à jour
L’indépendance de l’expertise ne suffit pas
La recommandation 2011 “révisée” : toujours pas recommandable
Pour conclure
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