Les dernières années ont été marquées par la prise de conscience de l’impact que les conflits d’intérêts ont sur les décisions de santé. Comme le rappelle le Formindep, ils constituent un facteur de risque sanitaire majeur. De fait, si la transparence de l’expertise est nécessaire, elle n’est qu’une étape vers l’indépendance.
L’effet domino de l’action du Formindep
Suite au recours du Formindep la décision du Conseil d’État de demander l’abrogation de la recommandation de la HAS sur le diabète, a entraîné l’abrogation de la recommandation sur la maladie d’Alzheimer, également attaquée par le Formindep. Puis, la HAS a également abrogé six autres recommandations susceptibles d’être attaquées pour partialité de leurs experts. C’est cet “effet domino”, initié par le Formindep, qui a également entraîné la réévaluation anticipée de l’efficacité des médicaments anti-Alzheimer par la commission de la Transparence, dans la perspective de la réécriture de la recommandation abrogée.
Cette fois et contrairement à l’évaluation initiale de 2007, cette réévaluation s’est faite sur la base d’une expertise indépendante des firmes pharmaceutiques. Résultat : la dégradation de la note des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer a été si sévère que, profitant de fuites opportunes d’ailleurs dénoncées par le président de la HAS lors de la conférence de presse du 27 octobre 2011,
Une exceptionnelle expertise indépendante…
L’expertise de la commission de la Transparence s’appuie sur deux expertises :
- une expertise interne réalisée par la HAS. Elle analyse toutes les données fournies par les firmes et doit justifier les études retenues et les études rejetées de l’analyse. De plus, elle doit intégrer toutes les autres études non fournies par les firmes. Cette expertise est centrée sur la validité des études.
- une expertise externe réalisée par des praticiens en exercice. Cette deuxième expertise, aussi rigoureuse sur le plan de la méthodologie que l’expertise interne, a pour objet d’intégrer les meilleures données de la science dans la prise en charge par des praticiens. Cette expertise est centrée sur la mise en œuvre des meilleures données. Si l’expertise interne est reconnue et financée par la HAS, qu’en est-il de l’expertise externe ? La réévaluation de ces 4 médicaments a nécessité l’analyse de 24 kilos de documents, soit environ 15 000 pages, en 7 semaines. Pour Philippe Nicot, l’auteur du rapport [Afin de prendre connaissance au mieux du rapport du Docteur Philippe Nicot lu en commission par le Docteur Patrick Sémenzato, en voici téléchargeable [ici une retranscription écrite.]], cela lui a demandé 300 heures de travail en supplément de son activité quotidienne. Les difficultés s’accumulaient, les dossiers ne disposaient pas d’index, et les articles sur les CD ayant été scannés ne permettaient pas la recherche par mots clefs. Il a poussé son analyse jusqu’à enquêter sur toutes les recherches encore en cours, afin d’identifier les possibles découvertes à venir, et demander des précisions auprès de certains auteurs d’études. Pour toute indemnisation de cette expertise externe, est uniquement prévue une indemnité de perte de ressources pour la journée de présentation de l’expertise auprès de la Commission de la transparence, soit environ 370 €, et la prise en charge des frais de transports pour cette réunion. A visionner les auditions et les délibérations de la commission de la Transparence, il apparaît pourtant que c’est essentiellement sur la base de son travail que la décision de réévaluer à la baisse ces médicaments a été prise. Jusqu’à présent la société n’a pas souhaité assumer les frais d’une expertise indépendante. Pourtant, dans l’exemple de la maladie d’Alzheimer ce sont 250 millions d’euros de la solidarité nationale qui sont en jeu, et pour juger de la justesse de tels investissements, l’expertise scientifique se doit d’être irréprochable.
… qui ne doit plus être exceptionnelle
Cette affaire de la réévaluation des médicaments anti-Alzheimer confirme l’impérieuse nécessité de la demande du Formindep de créer en France une expertise publique sanitaire indépendante de haut niveau, dotée des moyens de son travail et de sa reconnaissance. L’évaluation des produits de santé, les recommandations scientifiques médicales, en France, ne peuvent reposer sur l’engagement exceptionnel de quelques experts indépendants de haut niveau qui se sacrifieraient sur l’autel de la santé publique. Le rapport du Sénat sur le Mediator a repris la proposition du Formindep de la création de cette expertise indépendante (voir encadré ci-contre, pages 113 et 114 du rapport : “Refonder une expertise publique de haute qualité” et la proposition n° 9 qui le résume : «Créer un corps d’État d’experts de santé publique indépendants de l’industrie pharmaceutique commun à toutes les agences de santé dont seront issus les experts internes, notamment ceux siégeant désormais dans les commissions et les experts représentant la France à l’Agence européenne du médicament (EMA) et au Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP)» Lors du vote du Sénat de la nouvelle loi sur la sécurité sanitaire issue du scandale du Mediator, les sénateurs ont voté un amendement demandant au gouvernement de remettre avant le 30 juin un rapport sur la création d’un corps d’experts publics de la santé. C’est ce corps d’experts formés à l’expertise sanitaire publique, protégé des influences industrielles qui, seul, permettra que l’avancée de santé publique obtenue dans l’intérêt des patients lors de la réévaluation des médicaments anti-Alzheimers, ne reste pas qu’une glorieuse exception. Une bataille a été gagnée mais pas la guerre : les firmes ne se laisseront pas faire éternellement. Il y a urgence !
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