La loi Bertrand, votée le 29 décembre 2011 dans les suites du scandale du Mediator, avait prévu la publication des liens d’intérêts liant professionnels et industries de santé. _ Dix-huit mois furent nécessaires pour voir paraitre un premier décret dont le Formindep s’inquiétait déjà des importantes insuffisances. Les premières publications sur les sites des ordres professionnels Le LEEM, le lobby de l’industrie pharmaceutique française, revendique l’antériorité de l’idée de « transparence des liens d’intérêts comme vecteur de confiance »[[Communiqué de presse du LEEM ]] Moins attendu est le blocage du gouvernement sur ce dossier. Les 18 mois de gestation du décret 2013-414 ont produit au terme de plusieurs versions un monstre, amputant de larges pans une loi pourtant adoptée d’un commun accord par les députés de tous bords. _ Le 17 juillet 2013, un rapport d’information critique, déposé par Catherine Lemorton, présidente (PS) de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale, et le député Arnaud Robinet (UMP), rapporteur de la loi Bertrand, évoquait déjà « un rendez-vous manqué ». _ En cause, la disparition de l’obligation de déclaration des liens les plus significatifs et problématiques: contrats de consultants aux montants occultés, voire contrats non déclarés, pour peu que l’entreprise ou le médecin bénéficie des diverses brèches introduites par le décret gouvernemental. Des brèches telles que le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) et le Formindep, formaient chacun un recours au Conseil d’Etat pour excès de pouvoir, le gouvernement ayant selon eux indûment affaibli la portée de la transparence. Une incroyable bataille à front renversé: les professionnels de santé exigent davantage de transparence, et c’est le gouvernement censément garant de celle-ci, qui s’y oppose… Le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), qui pointait en 2008 « la forte opacité » des rémunérations des médecins hospitaliers par les firmes, ne serait hélas pas démenti en 2014.[[Rapport IGAS RM2008-147P chapitre 4, pages 71 et suivantes ]] En effet, selon la formule lapidaire du CNOM, le décret allégé, vidé de l’essentiel, permet de « savoir tout des croissants, rien des contrats« . Pour mesurer l’ampleur de ce décalage entre réalité et publication officielle, permis aussi bien par le détricotage systématique de la loi par l’action gouvernementale, que par le manque de coopération des entreprises de santé, il suffit de chercher les liens de leaders d’opinion bien connus. Ces médecins stars, généralement professeurs des hôpitaux, habitués des media et des colloques scientifiques, recherchés par les firmes pour leur grande influence sur les prescriptions de leurs confrères. Lorsqu’ils écrivent un article dans un journal scientifique ou médical, ou interviennent en public sur un produit de santé, ces médecins sont tenus de déclarer leurs liens d’intérêts. La comparaison de ces déclarations de liens par les médecins eux-mêmes avec les déclarations faites par les firmes est édifiante. Le Pr Bernard Charbonnel, ancien chef du service d’endocrinologie du CHU de Nantes, est un leader d’opinion dans le domaine du diabète. _ Selon les données accessibles via le moteur de recherche tenu par le Conseil national de l’ordre des médecins [[http://www.sunshine-act.ordre.medecin.fr/liste_donnees_exploitables]], le Pr Charbonnel serait consultant pour 4 laboratoires (Sanofi-Aventis, Lilly, JNB-développement, et Novartis). _ Ces données sont partielles: selon sa déclaration d’intérêts au Quotidien du Médecin [[disponible sur le site du QDM ]], sur les mêmes 12 mois, le Pr Charbonnel a bien été rémunéré en tant que consultant par ces 4 firmes… mais également 7 autres : Astrazeneca, Boehringer Ingelheim, BMS, Merck, Novo Nordisk, Roche, Takeda. Une activité exercée dans le cadre de sa société par actions simplifiée (SAS), dont les derniers comptes déposés indiquent un résultat pour 2012 de 171 382 EUR [[Comptes disponibles auprès du registre du commerce ]], supérieur à la rémunération d’un praticien hospitalier. Le Pr Jean-Yves Le Heuzey , cardiologue à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, est également un ancien expert des agences de santé, et le co-rédacteur de recommandations professionnelles de la Société Européenne de Cardiologie (ESC). Seuls ses contrats avec 3 laboratoires Servier, Daiichi Sankyo, Meda Pharma apparaissent dans le moteur de recherche du CNOM. Mais le professeur en déclare lui-même trois fois plus sur la même période (Servier, Sanofi, Meda, MSD, Bayer, BMS, Boehringer, Daiichi, GSK) auprès de la Société Française de Cardiologie [[déclaration sur le site de la SFC ]]. Le Pr Guy Vallancien est urologue à l’Institut Montsouris. C’est également un influenceur de premier plan, régulièrement sollicité par les media et par les ministres de la santé qui lui commandent missions et rapports. Le Pr Vallancien déclare spontanément lui-même des liens avec Takeda, Medtronic ou Janssen Cilag. [[Déclaration sur son site personnel ]] Surtout, il préside et détient selon ses déclarations 43.5% des parts de la société « Convention on Health Analysis and Management » qui organise chaque année à Chamonix la convention homonyme. On y débat, sur invitation uniquement, de l’avenir de la santé en France, dans une approche très libérale. On s’intéresse à la loi sunshine: on y expose ainsi que grâce à cette loi « les aboyeurs de l’indépendance deviennent eux-mêmes suspects de totalitarisme car leur fonds de commerce s’évanouit devant la transparence des liens entre industriels et médecins. » [[extrait de la video introductive à la table-ronde numéro 3 ]] . La société présente une liste impressionnante de « partenaires », laboratoires pharmaceutiques (Sanofi, Roche, Novartis), assureurs, agences de relations publiques, acteurs de la dépendance ou des dispositifs médicaux qui trouvent là l’enceinte favorable à la diffusion de leurs messages. [[]] De cette entreprise de relations publiques réalisant 454 200 EUR de chiffre d’affaires pour un résultat de 49 786 EUR en 2011[[Comptes disponibles auprès du registre du commerce]], Guy Vallancien déclare retirer un revenu de 15 000 EUR. Le nom de Guy Vallancien ou de la société CHAM n’amène néanmoins aucun résultat dans la base du CNOM. Ni contrat, ni même croissant. Oncologue médiatique, ex directeur de l’Institut National du Cancer (INCa), David Khayat n’apparait dans le registre du CNOM que pour un unique contrat de consultant signé avec Astrazeneca. De ses déclarations auprès du journal d’oncologie clinique (JCO), il ressort qu’il est également consultant pour Celgene.[[Déclaration disponible sur le site du JCO ]] La loi sunshine était censée également faire une certaine lumière sur les sociétés commerciales, sociétés savantes et autres associations de services hospitaliers, financées en quasi-totalité par les firmes car elles relaient notamment leurs actions de « formation ». Gynécole SARL est une société qui propose notamment une tournée nationale, « les samedis de la contraception ». Organisés 6 fois par an, ces congrès sont entièrement gratuits pour les participants, déjeuner inclus. Conforme à l’adage « si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit », le modèle économique de ces congrès repose en effet sur la vente aux firmes d’espaces publicitaires (stands) et de prestations de communication. En clair, du temps de cerveau de médecins disponible. La société a ainsi participé à la communication de crise des laboratoires commercialisant des pilules de 3ème et 4ème génération, ou à la promotion de la pilule du surlendemain pour le laboratoire HRA Pharma. Les deux animateurs de la société, les médiatiques gynécologues Christian Jamin et David Elia déclarent de nombreux liens, pas moins de 26 firmes pour David Elia. Gynecole SARL réalise un chiffre d’affaires en 2013 de 256 000 EUR pour un résultat de 110 000EUR [[Comptes disponibles auprès du registre du commerce ]]. _ Le moteur de recherche du CNOM ne renvoie néanmoins aucun résultat pour la société. Les données du laboratoire HRA Pharma sont quant à elles introuvables sur son site et inexploitables sur le site du CNOM. Les associations de services hospitaliers « fonctionnent dans des conditions très opaques au bénéfice de certains médecins praticiens hospitaliers, et cette opacité pourrait masquer des dérives, par exemple à travers la prise en charge de dépenses personnelles. De plus la gestion de ces structures consomme du temps de travail des praticiens dont on peut penser qu’il serait mieux employé dans des activités plus en rapport avec leurs compétences. » écrivait l’IGAS en 2008 [[Rapport IGAS RM2008-147P page 77 ]] MAPAR (Mise Au Point en Anesthésie et Réanimation) est depuis plus de 30 ans l’association du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital du Kremlin Bicêtre (APHP). Elle organise chaque année un congrès national, et édite la bible des anesthésistes réanimateurs, les « protocoles ». Elle propose également aux anesthésistes réanimateurs une formation « MAPAR Neige » à Valmorel pour les sports d’hiver, et « MAPAR mer » à Cuba pour mieux passer l’hiver, auxquelles s’est ajoutée cette année une formation golf en Turquie pour le printemps, hélas annulée par le Club Méditerranée qui devait l’héberger. [[Voir par exemple le programme de l’édition MER 2014]] Malgré les graves lacunes que nous venons d’illustrer, cette transparence était une avancée, encore excessive au goût de certains. Le coup de grâce viendra finalement du gouvernement. Des déclarations aux actes, le grand écart des entreprises
Le gouvernement contre la transparence
Transparence en trompe-l’oeil
Black out total jusqu’en octobre 2015 ?
Le ministère de la santé organise le black out sur la transparence …
[Consulter le site d’hébergement provisoire des liens d’intérêts mis en place par l’Ordre des Médecin [ici]] et des entreprises sont consultables depuis octobre 2013. _ Six mois après l’entrée en vigueur effective de cette loi, il est temps d’en faire un bilan, alors qu’un nouveau projet de décret du gouvernement menace déjà de fermer cette fragile parenthèse de transparence, en reportant à octobre 2015 la mise en ligne de nouvelles données sur un site public.
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