Ça continue ! Le Conseil d’État abroge des recommandations, la HAS les annule mais continue à distribuer à l’usage des médecins et de leurs patients les guides qui s’y réfèrent, malgré une péremption dépassée et un contenu avarié. Voici un nouvel état des lieux d’une cuisine toujours aussi indigeste, nuisible et peu professionnelle…

Résumé

|Le Formindep a obtenu le 27 Avril 2011 l’abrogation par le Conseil d’État de la recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) sur le « Traitement médicamenteux du diabète de type 2 ». Si cette recommandation a bien été abrogée et retirée du site de la HAS, d’autres documents se référaient explicitement à cette recommandation. C’est notamment le cas du “Guide ALD”. Le diabète de type 2 est l’une des trente affections de longues durée (ALD) reconnues par la sécurité sociale. Celles-ci sont des « affections longues, caractérisées, évoluant depuis plus de 6 mois et qui nécessitent des soins longs et coûteux ». Cette reconnaissance permet aux patients la prise en charge de leurs soins à 100 % par la Sécurité sociale. Pour obtenir cette reconnaissance, le médecin traitant doit remplir un protocole de soins dans lequel il fait référence explicite aux recommandations de la HAS. L’assurance maladie s’assure de la bonne mise en œuvre de ce protocole. Ainsi les recommandations et les guides ALD de la HAS sont indissociables, la recommandation constituant la synthèse des données scientifiques et le guide ALD leur application pratique. Dans un premier article publié le 20 janvier 2011, en nous appuyant sur différentes plusieurs études internationales, nous avions conclu que ce guide n’était pas recommandable et qu’il était urgent de l’actualiser. Selon nous, ce guide recommandait de traiter de manière trop intensive ces patients diabétiques de type 2

[[Appelé « lower is better » : plus c’est bas mieux c’est.]], à la fois pour leurs équilibres glycémique et tensionnel, mais aussi pour l’association à d’autres traitements comme l’aspirine ou les statines. Nous considérions également que certains médicaments comme la pioglitazone (Actos°) ou la varenicline (Champix°) n’avaient pas leur place dans le traitement de ces patients. L’ensemble de cette attitude thérapeutique présentait donc trop de risques par rapport à ses bénéfices. Outre l’abrogation de la recommandation, plusieurs faits marquants sont intervenus. D’abord le 9 juin 2011 l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de santé (AFSSAPS)[devenue depuis l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments (ANSM).]] a décidé [la suspension des médicaments contenant de la pioglitazone. Puis le 31 mai 2011 la secrétaire d’état à la santé Nora Berra a exclu la varenicline de la liste du remboursement. Enfin le 13 octobre 2011, l’AFSSAPS plaçait sous surveillance renforcée plusieurs antidiabétiques, l’exenatide, la sitapliptine et l’association sitagliptine-metformine, ainsi que la varénicline destinée au sevrage tabagique <img873|center> L’ensemble de ces éléments aurait dû conduire la HAS à revoir en profondeur son Guide ALD. Or au 12 juin 2012, la HAS n’a apporté aucune modification à ce guide. Pourtant les procédures de la HAS lui imposent la révision régulière de ces guides. Après le scandale du Mediator°, la légèreté de la HAS au regard de la qualité des soins et de la sécurité sanitaire pose question. Pour évaluer ce même thème des soins aux diabétiques de type 2, nos voisins anglais du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) ont choisi une méthode plus professionnelle. Ils ont identifié les principales études scientifiques susceptibles de modifier leurs recommandations. Selon le NICE, les objectifs glycémiques, les prescriptions de pioglitazone et d’exenatide, d’aspirine, et de certains dosages de statines doivent ainsi être réévalués depuis le 14 Juin 2011. L’analyse du NICE rejoint celle de notre premier article. Elle montre qu’une institution en charge de la qualité des soins peut produire des informations fiables. De nouveau la HAS se fait remarquer par son incapacité à réaliser ses travaux avec des experts libres de conflits d’intérêts et des données scientifiques actualisées. De nouveau, le Formindep est amené, dans un courrier adressé au président de la HAS, Jean-Luc Harousseau, à demander le retrait de ce guide.|

Des recommandations abrogées… mais toujours effectives

A la suite du recours en Conseil d’État que le Formindep avait formulé contre la recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) sur le diabète de type 2[ Les “affections de longue durée” (ALD) sont au nombre de trente. Ce sont des maladies longues, caractérisées, évoluant depuis plus de 6 mois et nécessitant des soins longs et coûteux. Elles permettent aux patients l’exonération du ticket modérateur, c’est-à-dire la prise en charge à 100 % des soins en rapport avec cette affection. [Pour ouvrir ce droit, la rédaction d’un protocole est nécessaire.]], nous avions publié le 20 janvier 2011, une analyse du guide ALD de la Haute Autorité de santé. Il est important de comprendre que si la “recommandation” est un argumentaire scientifique concernant une maladie et son traitement, le “guide ALD” en est la traduction opérationnelle, permettant aux malades d’être pris en charge à 100 %[[Selon la HAS : « (le guide ALD) présente la déclinaison pratique des recommandations pour la pratique clinique (RPC) et/ou des conférences de consensus (CDC) disponibles, secondairement complétée par des avis d’experts, lorsque les données sont manquantes ».]]. Ils sont donc indissociables. Dans ce premier article nous constations que la HAS n’avait pas respecté ses propres procédures et n’avait actualisé ni son guide médecin, ni la liste des produits pris en charge dans le cadre de cette ALD. Cette absence d’actualisation était d’autant plus grave que des données scientifiques permettaient de remettre en question le contenu scientifique de ces guides, notamment : -les objectifs d’équilibre glycémique. Des études montraient les risques de traitements trop intensifs chez certains patients. -la co-prescription d’aspirine, -les objectifs tensionnels très bas inférieurs à 130/80 mm Hg. -les prescriptions de pioglitazone (Actos°) et de varénicline (Champix°) Après les engagements du précédent président de la HAS au Sénat en Juin 2010[ [La HAS, le Formindep et ses verges ]], et le rapport de l’IGAS sur le désastre du Mediator°, il était donc urgent que la HAS révise ses guides professionnels destinés aux médecins et à la prise en charge de leurs patients.

Quels ont été les éléments marquants de ces seize derniers mois ?

Le 27 avril 2011 : le Conseil d’État abroge la recommandation de la HAS sur le diabète de type 2. Décision de justice, autorité de la chose jugée : ce document ne doit plus être utilisé. – Le 09 juin 2011, l’AFSSAPS décide la suspension des médicaments contenant de la pioglitazone (Actos°, Competact°). Elle précise :« L’Afssaps a décidé aujourd’hui de suspendre l’utilisation en France des médicaments contenant de la pioglitazone (Actos° et Competact°), sur avis de la Commission d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et de la Commission Nationale de Pharmacovigilance. En effet, les résultats de l’étude réalisée par la CNAMTS, à la demande de l’Afssaps, qui viennent d’être rendus publics confirment une faible augmentation du risque de cancer de la vessie chez les patients traités par pioglitazone ». – Le 30 juin 2011, du fait de ses effets secondaires, la varénicline (Champix°) est exclue de la liste des produits pris en charge par un forfait de 50 € pour le sevrage tabagique. Dans son discours du 31 Mai 2011, Nora Berra, secrétaire d’état à la santé l’annonce ainsi : « Je sais votre inquiétude concernant le retrait du Champix° du forfait à 50 €. Nous ferons tout pour que cette décision n’affecte pas l’image de l’ensemble des produits de sevrage tabagique. Pour autant, vous savez comme moi que l’AFSSAPS a considéré que l’efficacité du produit en terme de taux d’abstinence tabagique n’était pas supérieure à celle d’un substitut nicotinique mais au contraire faisait courir plus de risque au patient, en particulier sur le plan psychiatrique. »Le 13 octobre 2011, l’exénatide, la varénicline, la sitagliptine et l’association sitagliptine-metformine[ Byetta° = exénatide, Champix° = varénicline, Galvus° = Januvia° = sitagliptine, Janumet° = sitagliptine + metformine. [Les médicaments sous surveillance renforcée. Evolution depuis janvier 2011. ANSM – 13/10/2011. ]] sont placés sous surveillance renforcée par l’AFSSAPS devenue Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). Ces décisions importantes devaient modifier le contenu du guide ALD médecin de la HAS et de la liste des prestations.

Un guide périmé, des données de plus en plus avariées

Au 12 juin 2012, les documents consultés sur le site de la HAS sont inchangés ! Le guide Médecin est toujours celui de juillet 2007. Alors que les procédures de la HAS prévoient une réactualisation tous les trois ans, il n’a toujours pas été revu ! Ce guide s’appuie donc sur une recommandation abrogée, et fixe toujours des objectifs thérapeutiques sérieusement remis en question dans les publications internationales. La liste des Actes et Prestations Affection Longue Durée est une actualisation de novembre 2010. Elle inclut toujours : -la pioglitazone, dont l’utilisation est suspendue, -la varénicline, sans mentionner son déremboursement, -l’exénatide, la sitagliptine et la vildagliptine, sans mentionner leur mise sous surveillance renforcée. Ces éléments sont inquiétants. Ils laissent penser que la HAS ne prend pas au sérieux les problèmes de sécurité sanitaire, d’information des médecins et des patients. <img872|center> .

L’attitude du NICE britannique

Nos voisins anglais du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) ont choisi une méthode professionnelle. Depuis le 14 juin 2011, ils ont mis en ligne une revue de la littérature[National Institute for Health and Clinical Excellence. [Review of Clinical Guideline (CG66 & CG87): Type 2 diabetes: the management of type 2 diabetes.]] identifiant les données qui imposent une actualisation de leurs recommandations sur la prise en charge du diabète de type 2. Sont notamment concernés : -les objectifs glycémiques du diabète de type 2, et notamment la définition des patients qui peuvent bénéficier d’objectifs thérapeutiques intenses, et ceux chez qui cela est dangereux; -la définition du risque vasculaire du diabétique de type 2; -la prescription de pioglitazone, d’exénatide; -la co-prescription d’aspirine; -la prescription des statines (notamment au regard des dernières données de vigilance sur les statines à fort dosage). Concernant la prise en charge de l’hypertension artérielle du patient diabétique de type 2, le NICE n’envisage pas de modification et s’en tient à sa recommandation de mai 2008 qui définissait des objectifs thérapeutiques inférieurs à 140/80 mm Hg (et inférieurs à 130/80 mm Hg en cas d’atteinte rénale, rétinienne ou cérébro-vasculaire)[National Institute for Health and Clinical Excellence. [Type 2 diabetes. The management of type 2 diabetes. Mai 2008.]]. Ces objectifs sont moins intensifs que ceux fixés par la recommandation française abrogée et repris dans le guide ALD (une pression artérielle inférieure à 130/80 mm Hg chez tous les diabétiques de type 2). Dans notre premier article, nous avions argumenté sur la récente revue systématique de Zanchetti[[ Zanchetti Al, Grassi G, Manci G. When should antihypertensive drug treatment be initiated and to what levels should systolic blood pressure be lowered ? A critical reappraisal. Journal of Hypertension 2009 ; 27:923-934.]] qui recommandait des objectifs tensionnels inférieurs à 140/85 mm Hg, c’est-à-dire le niveau défini par le NICE[[ Les études sur lesquelles s’appuient le NICE sont notamment celles sur lesquelles nous nous appuyons dans notre premier article.]].

Cohérence et professionnalisme : ambitions inaccessibles pour la HAS ?

La préoccupation centrale des recommandations est le meilleur soin donné aux patients. Or il n’y a plus de preuve solide du point de vue scientifique pour un traitement intensif de tous les patients diabétiques de type 2. Les effets dangereux de ces traitements sont de mieux en mieux connus, qu’ils soient liés à l’intensification des objectifs ou à la iatrogénie propre de chaque médicament. L’affaire du Mediator° a mis en lumière d’une manière éclatante des dysfonctionnements majeurs. Qui plus est, la population concernée par ce scandale est en grande partie celles des patients diabétiques de type 2. Circonstance aggravante ! Il est surprenant que la HAS sévèrement avertie par la condamnation du Conseil d’État soit incapable d’en tirer les conséquences et n’établisse toujours pas des guides recommandables[La HAS a élaboré en 2009 une note de cadrage pour une recommandation sur la « [stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2 ». Cette recommandation devait être publiée depuis plusieurs mois. Elle présente deux inconvénients, à la fois elle est très réductrice en ne réévaluant pas tous les aspects du diabète de type 2, et elle prévoit de s’appuyer sur la recommandation du NICE de 2008, qui nous l’avons vu, est déjà en cours d’actualisation depuis un an.]] [Alors que la HAS a aussi abrogé la recommandation Alzheimer, [le guide ALD 15 datant de 2009 est lui aussi toujours en vigueur. Il recommande des stratégies obsolètes et des traitements retirés du marché, il ne prend pas en compte en particulier le dernier avis de la commission de la transparence.]]. L’exemple du NICE devrait inspirer la HAS. Il montre pour le moins que des autorités sanitaires peuvent travailler correctement. Si même les condamnations du Conseil d’État ne suffisent pas, que doivent faire les citoyens, professionnels et usagers, pour qu’elle prenne enfin la mesure de ses responsabilités, et œuvre sérieusement dans l’intérêt de la santé publique ? Il est temps pour elle de trouver cohérence et professionnalisme : – l’abrogation d’une recommandation scientifique devrait entraîner de facto celle de son bras opérationnel : le guide ALD; – la HAS devrait respecter ses propres procédures; – les travaux de la HAS devraient intégrer les données de l’ANSM; – les productions de la HAS devraient être réactualisées en fonction des données scientifiques; – la HAS devrait mettre à disposition de la CNAMTS, des patients et de leurs médecins des guides enfin recommandables. L’inattention ou une simple erreur peut expliquer la présence d’un produit périmé. Quand le restaurateur persiste à maintenir ce produit et à le resservir, on doit s’interroger sur sa compétence, et sa dangerosité. Il s’agit de soins ! Le HAS saura-t-elle un jour s’engager dans une démarche professionnelle pour permettre le retour de la confiance et de la sécurité sanitaire pour tous ? Elle doit retirer ce guide ALD et réaliser enfin ses recommandations avec des experts indépendants et des données scientifiques actualisées. En attendant, de nouveau, le Formindep demande le retrait de ce guide en adressant une lettre officielle au président de la HAS, Jean-Luc HAROUSSEAU. <img871|center>