Démystifier le diagnotic précoce par la mammographie

Le cancer du sein est un modèle pour la cancérologie classique. Il siège dans un organe externe, facile d’accès, non vital, susceptible de chirurgie radicale. Le diagnostic peut être fait pour de petites tumeurs à peine palpables et quelquefois, grâce à l’imagerie, pour des lésions millimétriques infra cliniques.
Ainsi, tous les ingrédients semblent réunis pour faire du dépistage organisé un vrai succès. Pourtant ça ne marche pas. Voici pourquoi :

L’histoire naturelle retenue dans les années 80 pour justifier le dépistage reprend le schéma « Halstedien ». Elle est vue comme un développement progressif loco régional avec généralisation secondaire, comme un processus linéaire dans le temps, où un stade engendre de façon mécanique et inéluctable le suivant en l’absence d’intervention humaine : cancer in situ – > cancer invasif – > métastases -> décès.

Selon cette hypothèse, une lésion de petit volume signifierait une lésion diagnostiquée “ précocement ”. Petit et précoce seraient synonymes de curable.
A l’époque, on pensait qu’une taille tumorale moyenne de 1,8 cm lors du diagnostic serait le seuil sous lequel le problème du cancer du sein appartiendrait au passé.

On estimait le temps moyen de “doublement” de la taille tumorale à environ 100 jours, ce qui signifiait un délai de 7 à 8 ans pour passer de la première cellule maligne à une tumeur de 5 mm, un délai de 10 ans pour que la tumeur soit palpable. La mammographie précèderait donc la clinique de 2 à 3 ans.
Dans l’hypothèse « Halstedienne » :
– la dissémination tumorale se fait mécaniquement.
– donc le type d’intervention détermine le devenir de la patiente.
– tout retard de diagnostic est préjudiciable.

On affirmait également en 1989 (Tours 11èmes journées de la SFS) que toutes les conditions nécessaires à la justification du dépistage étaient réunies :
a) Une forte prévalence de la maladie
b) Une absence de prévention primaire connue
c) Une phase suffisamment longue durant laquelle il est possible de guérir la maladie
d) Un traitement curatif qui n’altère pas la qualité de vie
e) Un test non iatrogène, spécifique et sensible avec de bonnes valeurs prédictives positives et négatives.
f) Un test simple, moins coûteux que l’examen diagnostique traditionnel (un seul cliché sur chaque sein)

De ce bel échafaudage, seuls les points a) et b) correspondent à la réalité. Tous les autres sont en complète contradiction avec les faits.

Ce qui condamne le dépistage n’est pas sa technique ou son organisation, qui n’ont cessé d’être améliorées depuis 20 ans. Ce qui le condamne, c’est qu’il repose sur une appréciation fausse du développement de la maladie. Ainsi, plus on l’améliore techniquement, plus il devient pervers.

Le dépistage s’est montré très vite non pertinent en pratique. Au lieu de reconnaître ses limites conceptuelles, on ne s’est intéressé qu’à ses insuffisances techniques et l’on est passé, sous couleur d’amélioration, à un dépistage reposant non plus sur un test mais sur un examen de diagnostic personnalisé, sans avoir étudié suffisamment les conséquences délétères de cette démarche.

La recherche par mammographie d’un diagnostic soit disant précoce est un leurre.

Le schéma Halstedien de l’histoire naturelle du cancer du sein justifiant un dépistage est contredit par les constatations cliniques : le développement de la maladie n’est ni inéluctable (on peut observer des régressions) ni linéaire (stagnation possible de l’évolution sur de nombreuses années) ni mécanique (un état n’engendre pas forcément le suivant, l’augmentation du nombre d’in situ diagnostiqués ne s’est pas accompagnée d’une diminution du nombre des invasifs). (Welch).

Par ailleurs, le lien établi entre la taille de la tumeur et le pronostic a été abusivement corrélé à la notion de diagnostic précoce pour les petites lésions, sous prétexte qu’une lésion a été petite avant d’être grosse.

Dès 1963, Ch. Gros, dans son livre « Les maladies du sein », notait : « Le diagnostic utile, c’est-à-dire celui qui donne à la malade les plus grandes chances d’efficacité thérapeutique, n’est pas synonyme de diagnostic précoce : il n’y a pas un parallélisme rigoureux entre le diagnostic précoce dans le temps et précoce dans l’espace. »

La notion de précocité du diagnostic suppose que la croissance de la tumeur et l’écoulement du temps soient dans un rapport de proportionnalité avec des évolutions parallèles. Dans cette configuration, une petite tumeur correspondrait à un diagnostic précoce, une grosse à un diagnostic tardif.

La corrélation absurde entre taille tumorale et précocité du diagnostic est contredite par les faits.

Petit ne signifie pas précoce, volumineux n’exclut pas un diagnostic précoce. Des tumeurs peuvent rester stables, d’autres régresser, disparaître, être grosses en quelques jours. Des tumeurs millimétriques peuvent être métastasées.
En pratique, la fréquence des cancers de l’intervalle a conduit à raccourcir sans cesse le délai entre deux vagues de dépistage, en faisant fi des a priori non fondés qui ont volé en éclats (10 ans pour que la tumeur soit palpable) et qui prétendaient valider une histoire naturelle unique du cancer du sein compatible avec le dépistage.
Fisher et Veronesi, dans les années 70, ont remis en cause l’hypothèse Halstedienne par des études randomisées. Ils ont avancé une hypothèse alternative : il n’y a pas d’ordre dans la dissémination de la tumeur.
Ils ont montré que les variations de traitement n’affectent pas la survie et ont ouvert ainsi la voie à la chirurgie conservatrice.

Les résultats du dépistage démontrent que les bases théoriques sur lesquelles il se fonde sont fausses. Ils sont venus confirmer ce qui était prévisible sur la base de l’observation clinique.

L’épidémiologie constate l’échec du dépistage et confirme qu’il faut abandonner le schéma linéaire et mécanique de l’histoire naturelle des cancers du sein pour comprendre la maladie.

Le dépistage n’a pas fait la preuve de son efficacité :

« Il n’y a pas de preuve sûre de l’efficacité du dépistage », affirmait déjà en 2000 la Cochrane.
Pour trouver une baisse de mortalité liée au dépistage, il faut inclure dans les méta-analyses les plus mauvaises études randomisées au regard de la méthode de tirage au sort, de la comparabilité des groupes, des exclusions en cours d’étude après randomisation, du biais de classification des causes de décès en faveur des groupes dépistés. Les études randomisées les moins mauvaises, qui ont fait l’objet d’audits, n’ont pas trouvé de baisse de mortalité (Canada I,II).
Les études en population (P. Autier, K.J.Jorgensen, , Harding, Zahl etc …) confirment l’absence de résultat : là où la mortalité par cancer du sein baisse, la baisse est identique dans les groupes dépistés et non dépistés.
Il n’y a pas de régression des formes évoluées.
Il n’y a pas de diminution du nombre de mastectomies totales.

Le dépistage peut nuire à la santé :

L’irradiation répétée liée aux mammographies peut induire des cancers du sein.
Il existe une suspicion d’aggravation de la maladie par intervention sur certaines formes de cancers révélés par dépistage (B. Junod ).
Le dépistage crée du surdiagnostic avec toutes ses conséquences, dont le surtraitement, etc…
Le bénéfice n’étant pas prouvé, les effets pervers sont inacceptables.

Un invité surprise à la table du dépistage est venu tout bouleverser : le surdiagnostic

Le surdiagnostic est un phénomène potentialisé par le dépistage, dont personne n’avait vu l’importance.
Il correspond à des cancers en excès, d’autant plus nombreux que le dépistage est plus intense. C’est le diagnostic histologique d’une “maladie” qui, si elle était restée inconnue, n’aurait jamais entraîné d’inconvénients durant la vie de la patiente.
Dans le contexte de nos connaissances actuelles, ce n’est pas une erreur de diagnostic, c’est un diagnostic correct mais sans utilité pour la patiente. Il constitue une catégorie hétérogène.
Il est une explication des contradictions entre le succès apparent des traitements sur des cancers diagnostiqués “précocement” grâce au dépistage et l’absence de réduction significative de la mortalité.
Le surdiagnostic, outre qu’il est un phénomène massif, a des conséquences immenses. Il remet en question par sa simple constatation toute la cancérologie du sein (définition et histoire naturelle). Ce concept, contre-intuitif au regard de notre vision actuelle du cancer, ébranle les certitudes sur lesquelles s’appuient nos pratiques diagnostiques et thérapeutiques. Il impose une redéfinition de la maladie cancéreuse, uniquement basée jusqu’à présent sur l’histologie de la tumeur d’organe.
Il pose clairement les questions : à partir de quand est-on malade ? Pourquoi meurt-on d’un cancer du sein ? Où l’instigateur d’une mort programmée se cache t-il ? Pourquoi des cancers n’évoluent pas ou régressent ? Quel est le rôle réel de la tumeur du sein dans la maladie cancéreuse ?

En résumé

La notion de précocité du diagnostic liée à la taille de la tumeur est un non sens, on ne sait même pas quand commence la maladie.
Notre conception de l’histoire naturelle de la maladie est à réécrire complètement. Ne pas le reconnaître et poursuivre le dépistage par mammographie ne peut qu’être préjudiciable aussi bien aux personnes qu’à la population.
Les leçons à tirer des résultats du dépistage peuvent être un puissant levier pour la recherche. La reconnaissance du surdiagnostic avec toutes ses conséquences devrait d’ores et déjà modifier les pratiques médicales, dédramatiser l’urgence diagnostique, déculpabiliser les sceptiques, relativiser les certitudes, inciter le corps médical à être plus modeste et moins péremptoire dans ses propositions, en particulier concernant le dépistage en l’absence d’un rapport bénéfice/risques favorable prouvé.

Bernard DUPERRAY