Non, les effets secondaires de lโ€™hormonothรฉrapie dans le cancer du sein ne sont pas ร  moitiรฉ psychosomatiques !

22/08/2016 Lโ€™universitรฉ de Marburg publie une รฉtude dans Annals of Oncology, consacrรฉe au lien unissant les effets secondaires anticipรฉs par les patientes et les effets finalement ressentis, dans le cadre dโ€™un traitement par hormonothรฉrapie aprรจs cancer du sein. Lโ€™รฉtude est largement relatรฉe dans les mรฉdias.

Or il sโ€™agit dโ€™un nouveau cas dans lequel une รฉtude peu conclusive est ร  la fois survendue par ses auteurs et trรจs mal comprise par les mรฉdias qui la reprennent.

Et cette รฉtude en particulier soulรจve de nombreuses questions, ร  la fois scientifiques, mรฉdicales, et รฉthiques, et pourrait nuire aux patientes.

Une communication trompeuse

ย Lโ€™ hormonothรฉrapie est un traitement administrรฉ aprรจs une opรฉration du cancer du sein dans un but de prรฉvention dโ€™une rรฉcidive. Cette รฉtude a tentรฉ de prรฉvoir les effets indรฉsirables ressentis par les patientes aprรจs 3 mois, puis au bout de 2 ans de traitement, en fonction de 9 paramรจtres, dont lโ€™anticipation dโ€™effets secondaires par la patiente. Le rรฉsultat est dรฉcevant: sur une รฉchelle de 0 (pouvoir explicatif nul) ร  1, le modรจle obtenu rรฉcolte une ยซย noteย ยป de 0.17 pour sa capacitรฉ ร  prรฉvoir les effets indรฉsirables.

[1]

Le communiquรฉ de presse [6] , rรฉdigรฉ par une consultante en communication, est cependant optimisรฉ pour une reprise par la presse grand public, au point dโ€™รชtre trompeur.

Lโ€™รฉtude dรฉmontre une corrรฉlation trรจs limitรฉe entre les attentes et les effets secondaires, mais aucun lien de causalitรฉ. Pourtant, le communiquรฉ le laisse entendre en titrantย : ยซย Sโ€™attendre au pire augmente les effets secondairesย ยป. Confondre corrรฉlation et causalitรฉ est une erreur frรฉquente, ici dรฉlibรฉrรฉment exploitรฉe par le communiquรฉ de lโ€™universitรฉ.

De plus, il met en avant une donnรฉe chiffrรฉe spectaculaireย : +80% dโ€™effets indรฉsirables dรฉclarรฉs par les femmes pessimistes. Le communiquรฉ insiste et parle mรชme dโ€™effets ยซย presque doublรฉsย ยป. Ce nโ€™est pourtant pas le rรฉsultat de lโ€™รฉtude. Aprรจs prise en compte des autres facteurs, lโ€™รฉtude conclut quโ€™anticiper des effets indรฉsirables pourrait expliquer seulement 3% de leur variance ร  3 mois, et 6% au bout de 2 ans.[2]

Ce communiquรฉ est une nouvelle illustration de la dรฉrive communicante de la recherche. Pour soutenir leur carriรจre, mais aussi sous la pression de financeurs qui exigent des retombรฉes industrielles et mรฉdiatiques, les chercheurs succombent parfois ร  la tentation de publier et communiquer de la faรงon la plus vendeuse et non la plus objective.

Une รฉtude aux faiblesses rรฉdhibitoires

Cette รฉtude prรฉsente surtout de sรฉrieuses faiblesses mรฉthodologiques. Mais pour le comprendre il faut aller au-delร  du communiquรฉ et lire lโ€™รฉtude, dโ€™ailleurs fournie en libre accรจs aux journalistes. Rares sont ceux qui comme Sharon Begley, journaliste vigie des รฉtudes de santรฉ, ont ainsi pu soulever ces diffรฉrents pointsย :

  • Il nโ€™y a aucun groupe contrรดle.
  • Cโ€™est une petite รฉtude, avec 111 patientes au dรฉpart et 88 ร  la fin des deux annรฉes. Rien dans lโ€™article scientifique nโ€™indique le statut des 23 patientes perdues de vue vis-ร -vis de leurs attentes initiales, ni des effets indรฉsirables subis. Or cela peut suffire ร  invalider toute lโ€™รฉtude.
  • Surtout, les anticipations nรฉgatives des femmes vis-ร -vis des effets secondaires peuvent รชtre fondรฉes sur leur expรฉrience objective et non sur une attitude optimiste ou pessimiste. En effet, une femme qui a connu des symptรดmes sรฉvรจres lors de sa mรฉnopause sait que le traitement, dโ€™un mรฉcanisme similaire, risque chez elle de poser des effets indรฉsirables particuliรจrement pรฉnibles. Dans ce cas, son anticipation ne relรจve pas de la psychologie mais bien dโ€™une rรฉalitรฉ physiologique. Ce facteur majeur de confusion, cโ€™est lโ€™รฉlรฉphant au milieu de la piรจce, que les auteurs feignent de ne pas voir. Les auteurs nโ€™ont pas du tout cherchรฉ ร  lโ€™รฉliminer, or il pourrait ร  lui seul expliquer le lien observรฉ entre anticipations et effets secondaires! Interrogรฉe sur ce point, lโ€™auteure ne nous a plus rรฉpondu.

Au total il sโ€™agit dโ€™une รฉtude trop insuffisante, par son effectif comme par sa mรฉthode, pour en conclure quoi que ce soit.

Il faut sauver le soldat nocebo

Lโ€™รฉtude et le communiquรฉ ne sโ€™arrรชtent pas ร  ces rรฉsultats indiquant un lien faible entre anticipations et effets secondaires. Aprรจs avoir fait des anticipations une ยซย causeย ยป dโ€™effets secondaires, les auteurs vont passer directement ร  la conclusion que le ยซย doublementย ยป des effets secondaires signifierait donc que la moitiรฉ dโ€™entre eux serait dโ€™origine purement psychosomatique. Cโ€™est ce quโ€™on appelle lโ€™effet ยซย noceboย ยป.

Pour soutenir cette thรจse de lโ€™origine psychosomatique des effet secondaires, les auteurs soulignent que beaucoup dโ€™effets dรฉclarรฉs sont ยซnon spรฉcifiquesยป, cโ€™est-ร -dire quโ€™ils les estiment ยซย non attribuables ร  lโ€™action du mรฉdicamentย ยป, et attribuables par consรฉquent ร  lโ€™effet nocebo. Problรจme: cette classification apparaรฎt arbitraire et infondรฉe. Exemple parmi bien dโ€™autres: la perte de cheveux (alopรฉcie) figure bel et bien comme effet ยซย frรฉquentย ยป dans le RCP du tamoxifene, ou de lโ€™exemestane,ย  les deux produits citรฉs dans lโ€™รฉtude, et sโ€™explique directement par leur action androgรฉnique. Elle est pourtant classรฉe par les auteurs parmi ces effets ยซย noceboย ยป.

Surtout, lโ€™article ne prรฉsente aucune analyse statistique de ces effets ยซย non spรฉcifiquesย ยป vs ยซย spรฉcifiquesย ยป, ou de leur lien avec les anticipations des patientes, et sโ€™en tient ร  du pur dรฉclaratif. Interrogรฉe sur tous ces points, lโ€™auteure principale ne nous a plus rรฉpondu.

Au final, lโ€™affirmation du caractรจre ยซย noceboย ยป de ces effets indรฉsirables ne repose ici sur aucune donnรฉe chiffrรฉe.

Lโ€™impression gรฉnรฉrale est que les auteurs ont cherchรฉ ร  sauver coรปte que coรปte la thรจse de lโ€™effet nocebo malgrรฉ des rรฉsultats numรฉriques peu probants. Il se trouve quโ€™ils ont deux types de conflits dโ€™intรฉrรชts qui pourraient les pousser ร  cela.

Trois des sept auteurs sont liรฉs financiรจrement aux laboratoires commercialisant les mรฉdicaments concernรฉs, qui se fรฉlicitent quโ€™on se propose dโ€™imputer la responsabilitรฉ des effets indรฉsirables aux patientes et non ร  leurs produits.

Surtout, cette publication nโ€™est que la premiรจre รฉtape dโ€™une รฉtude lancรฉe depuis 2013, destinรฉe ร  modifier les attentes des patientes dans le but dโ€™amรฉliorer leur observance du traitement. Le communiquรฉ fait dโ€™ailleurs office รฉgalement de teasing pour la suite. Mais intervenir sur lโ€™effet nocebo nโ€™a dโ€™intรฉrรชt que si cet effet est substantiel, dโ€™oรน peut-รชtre la tentation des auteurs de pallier le manque de donnรฉes probantes par des discussions spรฉculatives. Il est ร  noter que les interventions sur les effets placebo et nocebo sont lโ€™unique sujet dโ€™รฉtude de cette unitรฉ de recherche, et que de lโ€™ampleur de ces effets dรฉpend lโ€™existence mรชme de ce laboratoire.

Manipuler la patiente ยซย pour son bienย ยปย ? Une pente dangereuse

Enfin, la conclusionย de lโ€™รฉtude soulรจve bien des questions: ยซย Les attentes, en tant que facteurs iatrogรจnes, peuvent รชtre modifiรฉes par des interventions psychologiques.ย ยป Lโ€™article prรฉconise ainsi dโ€™ย ยซย encourager les patients ร  voir les effets secondaires potentiels non comme des sources de plaintes mais comme le signal que la thรฉrapie commence ร  produire son effet bรฉnรฉfique.ย ยป

Or il nโ€™existe pas de lien entre la survenue dโ€™effets secondaires et lโ€™efficacitรฉ dโ€™un produit. Les auteurs proposent avec une candeur dรฉsarmanteโ€ฆde mentir aux patientes.

Lโ€™รฉtude risque รฉgalement de lรฉgitimer une attitude trop frรฉquente de la part des soignants: minimiser voire nier le ressenti des patients. ยซย Mais non, vous nโ€™avez pas malย ยป avec รฉventuellement lโ€™option, parfois explicitรฉe ยซย Cโ€™est dans votre tรชteย ยป.

Mais รฉgalement leur mentir par omission, en choisissant par paternalisme de les ยซย rassurerย ยป plutรดt que de les informer. Le commentaire de cette mรฉdecin lectrice du Figaro.fr montre bien que lโ€™รฉtude est perรงue comme en opposition avec le devoir dโ€™informationย :

commentaire-medecin-hormonotherapie-figaro-fr

Lโ€™information donnรฉe aux femmes sur les effets secondaires de lโ€™hormonothรฉrapie, lourds et particuliรจrement frรฉquents (71% souffrent de douleurs articulaires dans cette รฉtude par exemple, mais รฉgalement 53% de prise de poids, 46% de bouffรฉes de chaleur, entre autres) รฉtait dรฉjร  notoirement insuffisante. Au point que des patientes se sont rรฉunies en association (AFICS ) pour tenter dโ€™apporter lโ€™information objective quโ€™elles nโ€™ont pas reรงue des soignants. Cette รฉtude et le tapage mรฉdiatique qui lโ€™entourent risquent de nuire davantage au droit ร  lโ€™information de ces patientes.

Elle risque รฉgalement dโ€™amener les patientes elles-mรชmes ร  sโ€™autocensurer et nรฉgliger de signaler des effets secondaires, en particulier si on les leur a dรฉcrits comme purs produits de lโ€™effet nocebo. Or certains effets secondaires de lโ€™hormonothรฉrapie peuvent รชtre graves (troubles thrombo-emboliques, cancers de lโ€™endomรจtre). Considรฉrer comme le suggรจre cette รฉtude quโ€™une douleur dans la poitrine, une difficultรฉ ร  respirer et des palpitations (trois effets ici classรฉs ยซย non spรฉcifiquesย ยป pourtant signalรฉs sur la notice) relรจvent de lโ€™effet nocebo, cโ€™est risquer de passer ร  cรดtรฉ dโ€™un effet secondaire connu et potentiellement mortel: lโ€™embolie pulmonaire[3].

Enfin, une information prรฉcise et objective est dโ€™autant plus cruciale lorsque le rapport bรฉnรฉfices/risques dโ€™un traitement est tangent. Dans ce cas, se traiter ou non est une dรฉcision particuliรจrement subjective, puisque ce choix doit dรฉpendre principalement des prรฉfรฉrences du patient. Cโ€™est prรฉcisรฉment le cas pour lโ€™hormonothรฉrapie. Le tamoxifene a prouvรฉ quโ€™il pouvait sauver la vie de 4% des femmes (1 femme sur 25) au bout de 5 ans de traitement, et encore de 2.5% (1 femme sur 40) les 5 annรฉes de traitement suivantes.[4] En revanche, au bout de 10 ans, une รฉtude rรฉcente de lโ€™anti-aromatase letrozole ne dรฉmontre aucun bรฉnรฉfice en termes de mortalitรฉ, en dรฉpit dโ€™une couverture mรฉdiatique rรฉcente, lร  encore aussi massive que trompeuse[5].

Il appartient ร  chaque patiente de choisir pour elle-mรชme, en fonction de ses risques et prรฉfรฉrences personnels, entre ce bรฉnรฉfice potentiel et le risque dโ€™une qualitรฉ de vie altรฉrรฉe. Mais pour que ces femmes puissent exercer ce droit, il faut quโ€™on les informe et non quโ€™on les ยซย rassureย ยป, encore moins quโ€™on les manipule. Nombreuses sont les patientes qui s’expriment sur les forums pour regretter de nโ€™avoir pas eu ce choix.

[1] Le coefficient de dรฉtermination R2 du modรจle est ici de 0.40 ร  3 mois et 0.17 ร  2 ans.

[2] ยซย Patientsโ€™ baseline expectations predicted significant incremental variance components at 3 months (ฮ”Rยฒ = 0.03, P = 0.023) and 24 months (ฮ”Rยฒ = 0.06, P = 0.018).โ€

[3] Le sur-risque dโ€™embolie pulmonaire sous tamoxifene est de lโ€™ordre de 1 embolie/1000 femmes par an.

[4] Etude ATLAS

[5]Comparer lโ€™รฉtude MA.17R avec sa couverture par les mรฉdias, par exemple sur Top Santรฉ.

[6] pm-annonc-expecting-the-worst