La promotion commerciale du produit phare d’AbbVie, HUMIRA®, va à l’encontre du droit des patients à une information complète et non biaisée. Les techniques employées étant communes à toutes les campagnes dites de “disease awareness”, le Formindep vous livre une méthode pour décrypter celles-ci.

humira

 

“Ne lui tournez pas le dos”™. C’est le nom d’une campagne (re)lancée en ce mois d’avril 2015 et en grande pompe, dans tous les médias. Sa promesse ?

“VOUS AVEZ MAL AU DOS DEPUIS PLUS DE 3 MOIS ?
 5 QUESTIONS POUR IDENTIFIER L’ORIGINE DE VOS DOULEURS ! 
UNE INITIATIVE EUROPÉENNE POUR AIDER LES PATIENTS
À IDENTIFIER LA NATURE DE LEUR MAL DE DOS”
L’objectif officiel de cette campagne : vous informer sur l’origine de votre mal de dos pour « réduire le délai du diagnostic » d’une éventuelle maladie grave. Le moyen : un site internet dédié et un “questionnaire de dépistage” accessible en ligne. Le 29 avril 2014, il était même distribué dans les gares. Cette campagne rebondit aujourd’hui avec un clip très Gangnam style, qui ne craint pas le ridicule. Attention ! Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une campagne de publicité destinée à vous sensibiliser à une maladie inflammatoire, et à accroître la demande pour l’un de ses traitements: un médicament très cher fabriqué par la firme pharmaceutique qui orchestre cette “publi-information”.

Cette campagne crée le besoin avec un test de « dépistage » trompeur dans l’immense majorité des cas « dépistés ». Elle amène de nombreuses personnes à se croire à tort atteintes d’une maladie, la « spondyloarthrite axiale ».  Le produit à promouvoir, c’est un médicament, l’Humira®. Médicament très coûteux (plus de 13 000 € par an et par patient), il vient justement de voir son autorisation de mise sur le marché en Europe étendue à la “spondyloarthrite axiale”. Le fabricant de l’Humira® est un des plus gros laboratoires pharmaceutiques mondiaux, AbbVie™. Il finance cette campagne à visée publicitaire, mais également les médecins leaders d’opinion qui s’y expriment, et les partenaires qui la promeuvent (association de patients, association de médecins rhumatologues). Quand une campagne d’ « information médicale » est dépendante d’intérêts autres que celui de la santé des personnes, il y a toujours un risque sanitaire.

C’est pourquoi le Formindep, association de médecins et de citoyens pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes, analyse ici cette campagne de communication. Campagne qui fait fi des règles de la transparence et de l’indépendance des informations auxquelles vous devriez avoir droit.

Le Formindep vous propose des outils pour lire et comprendre avec un regard critique cette « campagne de sensibilisation » Cette « boîte à outils» peut servir à décrypter les nombreuses autres campagnes de ce type auxquelles nous sommes tous régulièrement soumis (DMLA, impuissance, syndrome des jambes sans repos…).

Démonstration en 5 questions-réponses:

1- Campagne de santé ou marketing ?

La publicité auprès du public sur les médicaments de prescription est interdite, mais autorisée auprès des médecins. Les firmes ont donc développé un autre mode de communication: la promotion des maladies elles-mêmes, ce qu’on appelle le “disease awareness“. Le but de ces campagnes est d’amener un maximum de personnes à consulter en suscitant leur inquiétude sur une maladie donnée. En parallèle, les médecins sont invités à participer à des sessions de « formation » sur la maladie et le médicament, les visiteurs médicaux les démarchent, et des publicités explicites leur sont adressées. L’objectif: que le médecin ait le réflexe du « bon » diagnostic et du « bon » médicament, lorsque un patient alarmé par la campagne viendra le voir.

La campagne « Ne lui tournez pas le dos » est-elle une campagne de santé, ou l’une de ces nombreuse campagnes marketing ? Comme ces dernières partagent toutes le même discours stéréotypé en 5 points, vérifions s’ils s’appliquent ici :

1.1-« La maladie est sous-diagnostiquée, elle est plus fréquente qu’on ne le pense »

Capture d’écran 2016-08-19 à 17.31.11L’objectif est qu’un maximum de personnes se sente concerné. La fréquence de la maladie est soit passée sous silence, soit surestimée, parfois très grossièrement. Ici, la fréquence de la « spondyloarthrite axiale » dans la population est de 0.3%, soit 1 personne sur 333. Ce chiffre n’est pas mentionné sur le site.

Bien au contraire, il laisse entendre qu’un mal de dos chronique sur 5 (20%) relèverait de la spondyloarthrite. La réalité étant 1 sur 36 (2.8%).

Le message central de la campagne est que des personnes atteintes de rhumatismes inflammatoires chroniques « tourneraient le dos » à leur douleur et ne la signaleraient pas à leur médecin. D’où un sous-diagnostic. Pour les spondylarthritiques, qui connaissent l’intensité et la particularité de ces douleurs, ce scénario relève de la science-fiction.

1.2- « La maladie démarre par des symptômes bénins ou banals »

Toujours pour qu’un maximum de personnes se sente concerné, les campagnes marketing insistent sur les symptômes les plus courants dans la population, même s’ils ne sont pas spécifiques de la maladie. Ici, les termes « lombalgies inflammatoires chroniques » et « spondyloarthrite axiale » sont utilisés indifféremment par le Dr Gossec, ce qui n’a aucun sens. La confusion est entretenue entre un trouble fréquent – le « mal de dos », “mal du siècle” qui toucherait « 80% » de la population – et une maladie relativement rare.

A contrario, des symptômes plus spécifiques et évocateurs : douleurs au niveau des fesses (sacro-iliite), des talons (talalgie), inflammation de l’oeil (uvéite)… sont à peine évoqués.

1.3- « La maladie est bien plus grave qu’on ne l’imagine »

Le tableau que doit retenir le grand public est celui d’une menace invisible, grave, qui peut frapper n’importe qui. Les campagnes mettent en avant des formes graves de la maladie, même lorsque celles-ci sont loin de représenter la majorité des cas.

« Parfois, des jeunes de 25-30 ans se retrouvent le dos voûté parce que leurs vertèbres se sont soudées. » déclare ainsi le Dr Laure Gossec dans une interview pour Top Santé. Ce tableau qui pouvait se voir régulièrement au début du siècle dernier est très rare aujourd’hui, en particulier si jeune, au point que la Société Française de Rhumatologie préconise d’abandonner l’adjectif “ankylosante” pour désigner la maladie. Selon les propres données du laboratoire Abbott, sur 315 patient atteints de spondylarthrite sévère dans l’essai ATLAS, seules 11 (3.5%) présentaient une ankylose de grade V. A un âge moyen supérieur à 50 ans. (Ann Rheum Dis2008;67:1218-1221 – http://ard.bmj.com/content/67/9/1218).

La patiente témoin présentée dans le dossier de presse et sur le site, Chloé, 28 ans, est en invalidité partielle (elle continue de travailler).  La situation de Chloé n’est heureusement pas représentative. Seule une minorité des patients sont mis en invalidité, et lorsqu’ils le sont c’est à l’âge moyen de 46 ans. (source CNAMTS )

1.4- « Mais il existe des traitements efficaces si l’on intervient tôt » 

  • Le médicament à promouvoir est mis en valeur, son concurrent principal dénigré.
    • Les anti-inflammatoires (AINS), pourtant traitement de référence, sont dénigrés. Leur efficacité est minimisée : ils « peuvent aider à soulager », « quelques années » alors que leur efficacité est généralement remarquable, et que contrairement aux biothérapies les patients ne développent pas de résistance à ces médicaments. A contrario, leurs inconvénients sont soulignés : « Cependant, les AINS ne sont pas anodins et, en inhibant certaines substances de votre organisme pour réduire l’inflammation, ils en suppriment également les actions bénéfiques ».
    • A l’opposé, un paragraphe dédié aux « médicaments biologiques » se pare de tonalités écologiques, exploitant un malentendu sur le terme « biologique ». Ces « biomédicaments » « modulent le système de défense naturelle de votre corps » en « bloquant de manière ciblée » le TNF. Parmi les effets indésirables, seul le risque infectieux est mentionné. Or TNF signifie Facteur de Nécrose Tumorale: c’est un élément anti-tumeur du système immunitaire. On omet pourtant de mentionner cette action bénéfique du TNF, elle aussi bloquée par le traitement.
    • Enfin, il n’est jamais précisé qu’aucun traitement (ni anti-inflammatoires, ni biothérapies) ne permet actuellement de guérir la spondylarthrite ankylosante.
  • Le site invite à « consulter sans attendre », « dès que possible »

Il s’agit de donner le sentiment d’urgence: le public désormais alarmé ne doit pas remettre à plus tard sa consultation. Pour une meilleure efficacité commerciale, celle-ci doit en effet intervenir au moment même où les visiteurs médicaux démarchent intensément les médecins sur le produit, et où la formation médicale continue cible cette pathologie et ce produit.

1.5- « Parlez-en à votre médecin»

De nombreux médecins cèdent aux patients qui leur demandent la prescription d’un examen ou d’un médicament précis

[[http://journals.lww.com/lww-medicalcare/Fulltext/2014/04000/Effects_of_Patient_Medication_Requests_on.3.aspx#]], y compris s’ils le jugent pourtant inutile[[Sondage FHF-TNS Sofres, 2012 http://www.egora.fr/sites/default/files/patient.pdf]]. Il faut donc amener le patient à faire pression sur son médecin.

Extrait du site « Ne lui tournez pas le dos » :

“Quelquefois, le diagnostic peut se révéler décevant et vous pouvez vous sentir un peu désemparé(e). Ne lâchez rien afin de mettre un nom sur vos douleurs et de bénéficier d’une prise en charge appropriée.”

La vaste majorité des douleurs du dos ne trouve hélas pas d’explication nette, c’est un domaine dans lequel le sur-traitement, y compris les chirurgies inutiles, est massif. Malgré ce risque pour leur santé, la campagne invite ces patients à « ne rien lâcher ». C’est-à-dire faire pression sur leur médecin jusqu’à ce qu’il pose le diagnostic dont ils seront désormais convaincus. Voire qu’il leur prescrive ce médicament « biologique » qu’évoque la campagne.

L’information délivrée par cette campagne est orientée et reprend toutes les caractéristiques des campagnes marketing des firmes pharmaceutiques :

  • exagération de la fréquence de la maladie
  • surreprésentation des cas graves
  • présentation partielle et partiale des traitements:
    • minimisation des effets indésirables du produit promu
    • exagération de son bénéfice
    • dénigrement des autres traitements

2- S’agit-il d’un vrai test de dépistage ?

La campagne invite le public à se soumettre à « un questionnaire de dépistage »

Capture d’écran 2016-08-19 à 17.41.18

2.1- A qui s’adresse ce test de dépistage?

Ce test est uniquement destiné aux personnes dont la douleur du dos persiste depuis plus de 3 mois. Pour les autres, le test n’a aucune valeur. Mais il faut lire les petits caractères pour le savoir. Pourquoi n’avoir pas mis en évidence cette information importante ? Ou mieux encore, ajouté une première question qui mettrait fin au questionnaire en cas de réponse négative : « Votre mal de dos persiste-t-il depuis plus de 3 mois ? ». Ce qui aurait permis d’informer clairement et de limiter le mauvais usage du test. L’objectif réel est-il de maximiser le nombre de répondants ?

2.2- Que « dépiste »-t-on avec ce test ?

Ce test se propose d’ « identifier si votre douleur est plutôt inflammatoire ». Il ne s’agit donc pas de dépister la “spondyloarthrite axiale”, maladie pourtant mise en avant dans cette campagne. Car seules 14% des douleurs chroniques inflammatoires du dos, objets de ce test, sont des « spondyloarthrites axiales ».

2.3- Que peut-on attendre des résultats du test ?

Si vous répondez « oui » à 4 ou 5 de ces 5 questions, voici ce que vous obtenez : BackPainSymptomCheckerResults  Capture d’écran 2016-08-19 à 17.46.25 Capture d’écran 2016-08-19 à 17.46.02

Le dossier de presse et le site vous pressent de « consulter sans attendre ». “N’attendez pas“, “dès maintenant“. Le tout en rouge pour bien souligner l’urgence.

2.4- Peut-on quantifier le risque de douleur inflammatoire ici « dépisté » ?

Si l’on se réfère aux publications scientifiques citées (Ann Rheum Dis. 2009 Jun;68(6):784-8. doi: 10.1136/ard.2008.101501), on s’aperçoit que ce test n’a pas grande valeur prédictive: sa sensibilité est de 79.6%, sa spécificité de 72.4%.

En clair, pour 100 répondants (souffrant du dos depuis plus de 3 mois), pas moins de 42 répondront oui à plus de 4 questions, et seront incités à consulter rapidement. Le test ratisse très large… Si le test vous annonce la possibilité d’une maladie inflammatoire, votre risque d’avoir une “spondyloarthrite axiale” est en réalité de 7% (1 “chance” sur 14), votre risque d’avoir une spondylarthrite ankylosante de 2% (1 “chance” sur 50). 93% de ces personnes sont alarmées à tort.

2.5- Ce test est-il fiable ?

Si l’on se réfère à la publication scientifique d’origine, on découvre de plus:

  • que ce test n’est pas un test de dépistage, ni de diagnostic : il n’a aucune valeur pour l’usage qu’en fait cette campagne. Les auteurs du test mettaient déjà en garde explicitement contre ce mésusage éventuel.
  • que ce test a un très faible niveau de preuves : c’est un consensus établi par 13 experts sur 20 dossiers de patients, puis “validé” sur 648 dossiers présélectionnés.
  • que les conflits d’intérêts des 13 experts et l’origine exacte du financement de l’étude ne sont pas déclarés. Après examen, il s’avère que la plupart sont très liés aux fabricants de biothérapies, médicaments très chers indiqués dans la maladie promue ici. Notamment le laboratoire Abbott, devenu AbbVie (liens déclarés à l’occasion d’autres articles scientifiques, ex : 2010 Update of the international ASAS recommendations for the use of anti-TNF agents in patients with axial spondyloarthritis).

La médiocrité du test, invalide pour cet usage, la confusion entretenue entre douleur inflammatoire et spondylarthrite, et la présence de conflits d’intérêts massifs et non déclarés de surcroît doivent inciter à ignorer ce test.

3- Qui sont les promoteurs de cette campagne ? 

La page d’accueil du site de la campagne ne porte aucun logo. La réponse se trouve dans les mentions légales du site. Le propriétaire du site et de la campagne est une firme américaine : Abbvie.

3.1- Qui est AbbVie™ ? 

AbbVie est une firme pharmaceutique américaine issue du groupe Abbott. 60% des ventes d’AbbVie, soit plus de 10 milliards de dollars chaque année, proviennent d’un seul produit : Humira® (10 000 à 23 000 EUR l’année de traitement pour chaque patient). AbbVie a obtenu récemment une nouvelle autorisation pour ce médicament, qui pourra désormais être prescrit en cas de « spondyloarthrite axiale non radiographique », la maladie « promue » dans cette campagne. Abbott™ est célèbre pour son marketing lui ayant valu une condamnation à 1,5 milliard de dollars d’amende pénale aux Etats-Unis. La firme avait promu un de ses médicaments, le Depakote®, de façon illégale et dans des situations où il était inefficace et mal toléré, mais aussi dissimulé les résultats, gênants, d’essais cliniques.[[Communiqué du Ministère de la Justice des Etats-Unis ]] Malgré ce passif, AbbVie affirme encore que les données des essais cliniques de ses médicaments relèvent du « secret commercial »[[Neal Parker, Section Head Legal – Biologics Strategic Development, AbbVie – conference EFPIA 27 août 2013.  ]] et a intenté un procès contre l’Agence Européenne du Médicament, pour qu’elle garde confidentielles les données relatives à Humira®.

3.2- Qui sont les partenaires de la campagne?

Les dossier de presse, blog et vidéos portent également les logos de deux associations partenaires de la campagne : AFLAR et AFS.

L’Association France Spondylarthrites (AFS) est une association de patients, récemment devenue Association France Spondyloarthrites. AFS a reçu un don de 16 000 EUR du laboratoire AbbVie le 03/06/2013 et signé deux contrats de “prestation de service” avec le laboratoire, pour un montant non publié [[Source: base Transparence santé ]].

Longtemps association de rhumatologues, l’Association Française de Lutte Anti-Rhumatismale (AFLAR) inclut désormais des patients.  AbbVie lui a fait « don » de 120 000 EUR. En outre, AbbVie et l’AFLAR ont signé, en un peu plus d’un an pas moins de 6 contrats par lesquels l’association assure “prestation de services”, “conseil” et “partenariat” auprès de la firme [[Source: base Transparence santé ]].. Le président de l’AFLAR, le rhumatologue Laurent Grange, a par ailleurs été consultant d’AbbVie à titre personnel.

3.3- Qui est le leader d’opinion ?

La rhumatologue Laure Gossec est la porte-parole et la caution professionnelle de la campagne. Elle était l’invitée d’une émission de France Inter, « Carnets de santé », le 5 avril 2014, qui était consacrée au lancement de la campagne, sans préciser son origine. Le Dr Gossec n’a pas déclaré de lien d’intérêt à l’antenne.

Elle participe pourtant à cette campagne dans le cadre de son contrat de consultante AbbVie (source: base Transparence santé).

Chaque intervenant est lié à AbbVie. La campagne est une initiative d’AbbVie, entièrement financée et contrôlée par la firme, dont la visée marketing devient de plus en plus évidente : discours marketing formaté, « test de dépistage » douteux, liens d’intérêts non déclarés…

4- Pourquoi cette campagne pose-t-elle problème ?

4.1- Parce qu’elle encourage le surdiagnostic 

Un surdiagnostic est un diagnostic posé à tort. Cette campagne est taillée de telle sorte qu’un maximum de personnes vont se penser atteintes de la maladie « promue ». L’immense majorité (plus de 93%) à tort.

Contrairement à ce qu’affirme la campagne, la « spondyloarthrite axiale » est en effet loin d’être la principale cause de douleurs inflammatoires du dos chroniques : elle représente seulement 14% d’entre elles[[Rudwaleit M, van der Heijde D, Khan MA, Braun J, Seiper J. How to diagnose axial spondyloarthritis early. Ann Rheum Dis (2004) 63:535-43. ]]. Rappelons-le : cette maladie est rare, elle concerne 0.3% de la population (1 personne sur 333).

Cette campagne amène pourtant le public comme le médecin à penser en priorité à ce diagnostic, au risque d’étiqueter ainsi à tort des lombalgies communes, voire des maladies aux symptômes similaires. Or certaines d’entre elles (douleurs infectieuses, cancers) sont aggravées par les traitements de la spondyloarthrite axiale promus ici.

Le récent concept de « spondyloarthrite axiale » promu dans cette campagne est par ailleurs mal défini, ce qui accroît encore le risque de surdiagnostic. Il est donc très important de se prémunir de toute influence publicitaire pour établir le diagnostic.

4.2- Parce qu’elle encourage le surtraitement 

En faisant croire au public qu’il doit se soigner à tout prix, et qu’il existe un traitement pour chaque mal de dos chronique, cette campagne est trompeuse. Elle omet également de préciser que tous les traitements de la « spondyloarthrite axiale » sont symptomatiques : ils atténuent les symptômes, parfois les suspendent, mais ne guérissent pas.

Or les traitements médicamenteux des rhumatismes inflammatoires chroniques présentent tous des effets indésirables potentiellement sérieux, à plus forte raison quand le traitement doit être pris sur plusieurs années. Dans ce contexte, inciter le public à « ne rien lâcher » revient à lui faire courir le risque de prescriptions inutiles et dangereuses.

En communiquant massivement auprès des médecins sur un médicament qui est censé n’être prescrit dans les rhumatismes inflammatoires qu’en deuxième recours, le risque est de négliger le traitement de référence, celui qui présente le meilleur rapport bénéfices/risques dans la plupart des cas : les anti-inflammatoires non stéroïdiens.

4.3- Parce que l’intérêt d’Humira® dans la « spondyloarthrite axiale non radiographique » reste à établir 

L’efficacité du produit Humira® dans la nouvelle indication « spondyloarthrite axiale non radiographique » présentée dans cette campagne a été acceptée par l’Agence Européenne du Médicament. L’Agence américaine du médicament, la Food and Drug Administration (FDA), disposait de données supplémentaires et a mené une analyse plus approfondie. Elle a pour sa part estimé qu’Humira® n’avait pas fait la preuve de son efficacité chez ces personnes [[Federal Drug Agency Arthritis Advisory Committee : ]]. La FDA a ainsi rejeté par 12 voix contre 1 la demande d’autorisation déposée par AbbVie[[Ibid. pages 168 et suivantes]]. Dans ce contexte, la prudence doit être de mise. Le discours exagérément alarmiste sur la maladie et ses traitements de référence doit être relativisé, tout comme le discours exagérément favorable aux biothérapies. Un diagnostic et une prescription ne doivent pas être influencés par le marketing.

5 – Comment éviter de se faire manipuler ?

5.1- Bien identifier l’annonceur 

S’il a un intérêt financier, toujours garder en tête le but publicitaire de sa démarche.

5.2- Préférer des sources d’information fiables, indépendantes des firmes de santé, et ne vivant pas de publicité

Quelques sites intéressants :

  • Sur un médicament en particulier:
    • Le ministère de la Santé a mis en place un site qui rassemble les notices des médicaments : http://www.sante.gouv.fr/medicaments,1969.html
    • La Haute Autorité de Santé (HAS)  évalue le progrès thérapeutique apporté par les médicaments à travers une Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR) classée en 5 niveaux, de I=progrès majeur à V=aucun progrès.
  • Sur le financement des associations de patients par les entreprises de santé :
    • La loi fait obligation aux firmes de déclarer leurs dons aux associations de patients, publiés sur le site de la Haute Autorité de Santé (HAS) jusqu’en 2014, et depuis 2012 également sur le site Transparence SantéAttention, la publication par la HAS ne liste pas tous les liens : certaines associations n’y figurent pas (ex : AFLAR qui n’est pas reconnue comme une association de patients), et les montants versés dans le cadre de contrats ne sont affichés dans aucune des deux publications.
    • Le site des associations elles-mêmes peut faire état des « sponsors » industriels.
  • Sur les avantages et contrats que les entreprises de santé octroient aux médecins et autres professionnels de santé Le site Transparence Santé  liste les avantages et contrats octroyés par les firmes de santé aux professionnels de santé, ainsi qu’à leurs associations (sociétés savantes).

 

5.3- Faire valoir ses droits de citoyen 

Tout professionnel de santé s’exprimant en public doit déclarer ses liens d’intérêts. Chaque citoyen peut saisir le Conseil de l’Ordre lorsque la loi n’est pas respectée.