La première partie du dossier du Formindep consacré aux influences invisibles des firmes pharmaceutiques sur les soignants a permis de se faire une idée de l’état de la réflexion internationale sur cette question. La deuxième partie de ce dossier dresse, à travers trois exemples précis, l’état accablant de la situation en France.
Le premier exemple
de cette deuxième partie est une lettre écrite par un médecin-enseignant de médecine générale, membre du Formindep, qui raconte sous une forme imagée à un des ses amis médecins l’expérience qu’il a vécue lors d’un atelier du congrès européen de la Wonca, organisé à Paris en octobre dernier, par le CNGE (Collège national des généralistes enseignants). La Wonca est l’organisation mondiale, financée par l’industrie pharmaceutique, qui fédère la médecine générale, et le CNGE, lui aussi financé par l’industrie, regroupe les enseignants de médecine générale français. La fine fleur de la médecine générale française et européenne s’est donc trouvée réunie dans ce congrès. Opportunité exceptionnelle pour les firmes, friandes de leaders d’opinion prêts à relayer leurs informations commerciales.
Les prénoms de l’auteur et du destinataire de cette lettre ont été modifiés et le nom du conférencier supprimé. Comme on peut le constater à la lecture de ce document, l’influence des nombreuses firmes “partenaires” de ce congrès ne s’est pas arrêtée aux multiples stands qui parsemaient les halls d’exposition. Dans l’enceinte feutrée des amphithéâtres, les congressistes pensaient pourtant être à l’abri des influences commerciales… C’est au contraire là qu’elles étaient les plus insidieuses et efficaces.
Mon_cher_Bernard. Format pdf. Taille : 185 ko. 2 pages.
Le deuxième exemple
présenté maintenant est plus significatif encore de la situation présentée dans la traduction de l’article du BMJ sur l’influence invisible. Il s’agit d’une partie d’un courrier invitant les médecins à une formation médicale sur un thème choisi par des “partenaires” industriels et organisé par une société organisatrice de formations médicales.
Tout y est :
-la certification (en haut à droite de la première page) par les organismes officiels français de formation médicale continue, livrée à l’industrie pharmaceutique par les pouvoirs publics,
– les déclarations cherchant à faire croire à l’indépendance de cette formation,
-etc.
<doc168|center><doc169|center>
Télécharger le document (fichier lourd). Format pdf. Taille : 6,1 Mo. 2 pages.
Les “experts” et médecins généralistes cautions de cette soirée qui s’est déroulée en mars 2008 dans la région lilloise, auront-ils déclaré leurs liens d’intérêts comme la loi les y oblige ?
Mentionner sur le tract, pour faire croire à l’indépendance des experts, que ceux-ci sont payés par la société prestataire CCC, alors que CCC est elle-même payée par les firmes sponsors pour cette soirée, semble quand même un peu culotté.
Les propos extraits du site de CCC (cliquer en haut à droite de la page sur : «nos missions») à l’attention de ses clients industriels permettent de mieux comprendre son implication partenariale avec les firmes : «Nos partenaires de l’industrie ont l’exclusivité du domaine thérapeutique parrainé. Ils sont présents sur les congrès, disposent d’invitations pour leurs médecins ciblés et bénéficient également d’un plan de communication incluant publicité dans les programmes et la revue Preuves & Pratiques.
<doc171|left>
CCC a mis en place début 2005 un nouveau concept de réunions thématiques en soirée, permettant de mesurer le fossé existant entre les preuves existantes et la pratique, de déterminer le niveau de conviction des médecins généralistes face aux preuves. LES FTMG (forum thématique de médecine générale) ont connu un succès important lors de son premier cycle sur l’insuffisance cardiaque. (…)
<doc172|right>
Pour ses clients de l’industrie, l’équipe CCC analyse le projet qui lui est confié et élabore une charte définissant les rôles de chaque acteur partenaire (commercial, marketing, médical), agence (médical, contact leaders, logistique) et partenaires médicaux (experts, associations…). Opérations de relations professionnelles.
<doc173|left>
Les équipes de vente ont très souvent des réserves en cas d’intervention d’une agence extérieure sur un projet les impliquant. Nous parvenons à surmonter ces obstacles en établissant en commun un cahier des charges.
Les équipes marketing souhaitent souvent au travers de l’événement tisser des liens étroits et permanents avec les médecins, les associations et les experts.
<doc174|right>
CCC agit parallèlement comme conseil pour optimiser la manifestation grâce sa connaissance des besoins des médecins et du tissu associatif. Grâce à une équipe médicale et des anciens cadres de l’industrie CCC peut apporter des solutions originales à ses partenaires en accompagnant éventuellement sur tout ou partie du projet ses clients.»
De quoi s’agit-il d’autre que d’organiser un rabattage efficace et durable des médecins vers la promotion des firmes ? Que des entreprises s’en chargent est une chose; que des soignants s’en fassent les acteurs en est une autre.
Le troisième exemple
revient sur l’affaire de la Proximologie®, que le Formindep a exposé dans un récent article repris de la revue Pratiques. La Proximologie® est une marque déposée de la firme Novartis, concue pour promouvoir un concept éthique pourtant sérieux, celui des relations des malades avec leurs proches, dans le cadre d’une stratégie marketing de communication.
Dans l’article suivant : «Novartis, Proximologie®, la SFMG et la FPC », le Formindep raconte comment l’assurance-maladie se retrouve à financer des formations sous influence, et même à payer des médecins pour y participer…
Retourner à l’éditorial du dossier
Lundi 10 mars 2008 – par Philippe Masquelier
Le serment d’Hippocrate instrumentalisé !
A l’analyse attentive du tract d’invitation de Preuves & Pratiques (à télécharger en fin d’article+zoom), je suis stupéfait de découvrir en filigrammes le serment d’Hippocrate.
Ce qui fonde notre activité soignante et ainsi instrumentalisé pour blanchir aux yeux des soignants des pratiques commerciales. Après les chartes en tout genre, les accréditations officielles, nous avons le serment d’Hippocrate instrumentalisé par un organisme commercial pour vendre une formation.
Ainsi se trouve particulièrement illustrée ton analyse éditoriale quand tu écris :
“… arrogance médicale certes universellement répandue mais particulièrement exacerbée en France, par laquelle les médecins se croient investis d’une grâce quasi divine, reçue sans doute lors de la prestation du serment d’Hippocrate, qui les met définitivement à l’abri des tentations et des influences auxquelles est soumis le vulgum pecus constitué du reste de l’humanité.”
Ce qui fait l’honnêteté,et l’humanité de nos pratiques de formation et de soins ce n’est pas le serment prêté mais la réalité de nos actes.
Il est encore temps pour les professionnels de santé formateurs ou participants à des formations médicales d’ouvrir les yeux et de choisir le camp de rupture avec les intérêts marchands et de choix de l’indépendance au service des patients et de la société.
C’est possible : Daniel Carlat en témoigne (cf traduction de l’article du New York Journal en première partie du dossier).
Philippe Masquelier