En reprenant ce titre d’un récent article du British Medical Journal, le Formindep propose ce mois-ci un dossier exceptionnel sur l’influence de l’industrie pharmaceutique dans le contenu même des formations que suivent les médecins.
Ces influences sont présentes dans toutes les formations, y compris lorsque celles-ci se parent des atours de l’indépendance, chartes, recommandations, cahiers des charges, etc., et autres accréditations et certifications “officielles”. Pire : les données de la littérature montrent que dans ces situations, les artifices utilisés pour enduire ces actions commerciales du vernis de l’indépendance et de l’objectivité scientifique, augmentent leur crédibilité aux yeux de participants naïfs et non conscients, et aggravent leurs conséquences en terme de prescriptions supplémentaires irrationnelles et de surcoût pour le système de santé.
Ce dossier se compose dans sa première partie de plusieurs traductions, réalisées par les équipes du Formindep, d’articles parus récemment dans le British Medical Journal et le New York Times. Ces articles mettent en évidence la façon dont les firmes s’insinuent dans la formation médicale des médecins, et surtout dont les médecins se laissent, au mieux berner par ignorance et naïveté par les auteurs de ses influences, et au pire s’en font les complices et les acteurs. Heureusement, on le verra dans deux des textes proposés, certains professionnels ouvrent les yeux et vont jusqu’à tenter de faire le chemin inverse pour réparer les dégâts…
La deuxième partie du dossier présente des exemples français particulièrement significatifs de formations sous influences. L’expertise du Formindep sur ces questions permet d’affirmer que la situation française est beaucoup plus grave que dans d’autres pays. Non pas que les influences des firmes soient plus fortes en France ; elles sont sans doute au même niveau que dans les autres pays riches, à la mesure des marchés qu’ils représentent. Mais la gravité de la situation française vient du fait que les initiatives institutionnelles et des professions de santé pour contrer ces influences sont particulièrement faibles voire absentes à l’exception notable de la revue Prescrire . Et lorsqu’elles existent elles sont souvent marquées d’amateurisme, d’approximation, voire d’hypocrisie.
Si en France le Formindep peut aisément exposer, grâce à son réseau qui ne cesse de s’étendre, des formations sous dépendances des firmes, il y cherche vainement, comme le confirment les traductions proposées dans ce dossier, des initiatives et des réflexions dignes de ce nom sur ces problèmes. L’indigence en France de cette réflexion éthique fondamentale se retrouve illustrée de façon caricaturale dans la réponse au Formindep du directeur de l’Espace Ethique de l’AP-HP. Se sentant mis en cause dans un précédent éditorial sur le fait que la structure qu’il dirige promeut, à travers un concept éthique, une marque déposée d’une firme et ses médicaments, celui-ci répond que les questions de conflits d’intérêts ne sont du point de vue éthique ni « véritables », ni « sérieuses »! Lire la réponse du directeur de l’Espace Ethique, le professeur Hirsch, à l’éditorial. Du côté des institutions sanitaires, l’absence de réflexion et de volonté politiques sérieuses, l’absence de moyens financiers pour prendre ces questions à bras-le-corps, la soumission consciente ou non d’organismes publics et gouvernementaux aux lobbies industriels expliquent l’indigence des actions publiques. Du côté des professionnels de santé, le refus d’aborder ces questions de front se nourrit d’une arrogance médicale certes universellement répandue mais particulièrement exacerbée en France, par laquelle les médecins se croient investis d’une grâce quasi divine, reçue sans doute lors de la prestation du serment d’Hippocrate, qui les met définitivement à l’abri des tentations et des influences auxquelles est soumis le vulgum pecus constitué du reste de l’humanité.
Dans sa thèse de médecine, soutenue en 1924, le jeune docteur Louis Destouches, qui n’était pas encore devenu Céline, a décrit la « Vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis », chirurgien-accoucheur hongrois du 19ème siècle. Sans avoir encore connaissance de l’origine microbienne des infections, Semmelweis avait, dans son service, réduit de 30 % à presque 0 % la mortalité des accouchées due aux infections puerpérales par le simple lavage des mains des médecins. Ses recommandations avaient été accueillies par l’ensemble des notables médicaux de l’époque sous les huées et les quolibets, jusqu’à l’interdire d’exercer et d’enseigner. Ce n’est que quelques années plus tard que les travaux de Lister et de Pasteur ont expliqué comment les mesures d’antisepsie permettaient de protéger les patients des catastrophes sanitaires provoquées par les invisibles influences microbiennes. Alors qu’au 21ème siècle les travaux internationaux ne cessent de se multiplier pour démontrer que d’autres influences invisibles, celles des intérêts privés sur les soignants, provoquent des conséquences dramatiques pour la santé des populations et l’avenir des systèmes de santé solidaires, les professionnels de santé français continuent dans leur immense majorité, à refuser de se laver les mains avant de soigner.
Lire le dossier du Formindep : l’influence invisible .
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