L’influence des firmes au sein des hôpitaux doit être efficacement combattue afin de réduire et si possible éliminer les risques sanitaires induits.

Le Formindep apporte donc son entier soutien à l’interpellation que Christian GUY-COICHARD adresse à Martin HIRSCH pour qu’il mette en œuvre les solutions radicales nécessaires à garantir l’indépendance de l’information et de la formation au sein de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Les multiples interventions et engagement pour l’indépendance de Martin HIRSCH dans son livre “Pour en finir avec les conflits d’intérêts” et au cours de son audition au Sénat en 2011, laissent espérer que sous son impulsion toutes les mesures nécessaires seront prises.

Le Formindep publie ici le courrier de Christian GUY-COICHARD.


Monsieur Le Directeur Général,

Permettez-moi de vous féliciter de votre nomination à la tête de notre institution, l’AP-HP, et d’en profiter pour souhaiter qu’elle soit l’occasion d’un renouveau effectif du dialogue social, et de la prise en compte de problématiques sensibles, comme peut l’être celle des liens et des conflits d’intérêts.

Auteur d’un livre remarqué sur le sujet, vous ne pouvez être insensible à la nécessité pour l’AP-HP de se montrer exemplaire en la matière, et nous sommes certainement nombreux dans l’institution à le souhaiter. L’image de notre institution pourrait-elle se permettre, dans le contexte actuel, de souffrir de soupçons de conflit d’intérêts ou de perte d’indépendance ?

Pour ma part, militant pour une formation des professionnels de santé indépendante des entreprises, avec l’association FORMINDEP, je désirerais vous soumettre à partir de mon expérience quelques questions sur ce sujet.

La loi Bertrand du 19 décembre 2011, et le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013, organisant la publication des liens d’intérêts des médecins avec les entreprises, présentés comme un « sunshine act » à la française, ont-ils fondamentalement modifié le paysage des conflits d’intérêts dans les établissements publics de santé, et en particulier à l’AP-HP ? Certainement pas, puisque, comme vous l’avez très probablement constaté :

  • Le montant des versements des entreprises à l’égard des associations domiciliées à l’hôpital, que vous estimiez en 2010 à plus de 150 millions d’euros par an, n’a pas diminué ; il a probablement au contraire progressé, depuis que la loi encadre plus strictement les liens directs et visibles avec les médecins. Un rapport de l’IGAS de 2008 a montré toute l’opacité des versements réalisés par les entreprises aux médecins et aux associations liées aux services hospitaliers, que ce soit par l’intermédiaire d’études cliniques, de formations ou par d’autres biais. Il s’agit ici de liens, voire de conflits d’intérêts, qui échappent à tout contrôle ; des procédures proactives de recensement et d’encadrement ne sont-elles pas souhaitables ? L’AP-HP ne doit-elle pas exiger des associations domiciliées dans ses hôpitaux et de ses médecins la plus complète transparence des sources de revenus ?
  • Poussées mollement dehors par la petite porte, les entreprises reviennent par la grande, puisque les délégués commerciaux des entreprises du médicament colonisent ouvertement nombre de services de l’AP-HP, y prenant leurs aises parmi le personnel, participant à des actions de formation, quand ils ne les organisent pas purement et simplement. Une charte des relations avec les entreprises n’est-elle pas envisageable ?
  • L’AP-HP organise de façon appréciable en son sein une part de la formation continue de ses personnels. Un certain nombre d’actions externes de formation sont cependant nécessaires, en particulier pour les médecins (diplômes universitaires, etc…). Celles-ci, pourtant reconnues au titre du DPC, ne sont que partiellement voire pas du tout prises en charge par l’AP-HP ; les demandeurs trouvent alors un secours quasi systématique auprès d’entreprises. Ces liens « obligés » sont depuis si longtemps pratique courante qu’ils en sont devenus un mode de fonctionnement des services, et que ceux qui les refusent, comme c’est mon cas, se voient exclus de nombre d’actions. N’est-il pas temps de réformer la formation continue pour mettre fin à ces pratiques ? Et de privilégier en particulier les actions de formation aux financements et aux intervenants indépendants des firmes ?
  • Les nombreux projets de recherche clinique dont l’AP-HP s’enorgueillit à juste titre, sont parfois partiellement financés avec l’aide d’entreprises pharmaceutiques ou autres. La publicité donnée à ces liens est rare dans les présentations qui sont faites de ces protocoles ou de leurs résultats. Là aussi, une charte de bonne conduite ne serait-elle pas utile et nécessaire ?
  • Dans les présentations à des congrès scientifiques, et bien plus encore lors des enseignements universitaires ou même internes à nos hôpitaux, seule une infime minorité des praticiens de l’AP-HP déclare ses liens d’intérêt (a fortiori ses conflits d’intérêt) avec des entreprises. Ne pourrait-on pas attendre de l’AP-HP, premier CHU français et sans doute européen, qu’elle exige de tous ses praticiens une conduite exemplaire en ce domaine, par la déclaration obligatoire des liens dans toutes les interventions publiques, et par l’interdiction d’enseignement en cas de conflit ?
  • S’agissant particulièrement des plus jeunes médecins, l’offensive des entreprises est spécifiquement forte en direction de ces futures et faciles cibles, qui, forts de l’exemple malheureux de certains de leurs ainés, n’évaluent probablement que rarement le risque de dépendance qu’ils encourent ; ne peut-on pas imaginer de rendre obligatoire un enseignement sur les conflits d’intérêts et les pratiques commerciales des entreprises, au mieux à l’aide du guide « Comprendre la promotion pharmaceutique et y répondre » de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), pour les internes comme les étudiants en médecine exerçant à l’AP-HP ?

Nous ne doutons nullement de votre volonté de profiter de votre passage à la direction de l’AP-HP pour mettre en place les outils d’une régulation de ces liens et de ces conflits. « Nous montrerons que nous n’avons pas peur des changements, quand il s’agit d’améliorer la qualité du service que nous rendons », affirmez-vous dans les vœux que vous avez adressés début 2014 au personnel de l’AP-HP. Sur ce sujet très sensible, une prise de position ferme de la direction de l’AP-HP serait unanimement appréciée.

J’ai personnellement fait le choix, depuis janvier 2013, de n’avoir aucun lien, et même aucun contact, avec les entreprises privées pharmaceutiques ou autres. Ce choix aura probablement un retentissement certain sur mes conditions d’exercice, sur les relations avec mon encadrement, sur ma carrière. Une prise de position de votre part sur ces sujets serait un signe fort en faveur d’un engagement éthique de l’AP-HP, et me renforcerait dans cette démarche d’indépendance.

Je suis, comme beaucoup d’entre nous, disponible pour vous y aider, et pour discuter, quand vous le souhaiterez, de mon expérience personnelle dans le domaine, et des propositions que nous développons au Formindep.

Je vous remercie par avance de votre réponse.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments respectueux.

Christian GUY-COICHARD

Praticien Hospitalier,
Responsable de la Commission Vie Hospitalière – Conditions de Travail de la CMEL du Groupe Hospitalier HUEP,
Membre du FORMINDEP,
Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur
Hôpital St Antoine
GH HUEP

 

Lettre de C. Guy-Coichard à M. Hirsch

Courrier de soutien du Formindep