La presse s’intéresse enfin aux conflits d’intérêts des études cliniques ! La polémique sur l’insuline glargine (Lantus de Sanofi) a agité l’ensemble de la presse cette semaine, et à cette occasion les conflits d’intérêts des leaders d’opinion ont été mis au premier plan. Hélas, nous allons le voir, la transparence elle-même peut être instrumentalisée…
Pour l’ensemble de la presse, une simple rumeur malveillante
Le Monde traite l’ensemble de l’affaire uniquement sur le plan de la manipulation boursière : « Une rumeur selon laquelle l’antidiabétique Lantus, troisième médicament le plus vendu par Sanofi-Aventis, pourrait provoquer des cancers, a fait chuter l’action du groupe pharmaceutique » écrit Jérôme Porier dans son article daté du 28 juin. « Reprises par plusieurs sociétés de Bourse, ces spéculations font plonger le titre Sanofi-Aventis. Les investisseurs ignorent à ce moment que le professeur DeFronzo (investigateur d’une étude comparant Lantus et Byetta) est aussi membre du conseil de direction d’Amylin et que son étude a été financée par Eli Lilly. » Alors que le titre Sanofi-Aventis perd 12%, Amylin engrange d’ailleurs 8%. L’aspect médical de la polémique n’est pas du tout abordé, et jusque là en effet les conflits d’intérêt de l’origine de la fuite sont plutôt correctement relatés, si ce n’est que le Dr DeFronzo ne siège pas au conseil de direction d’Amylin, comme l’a écrit Le Monde, mais à l’Advisory board. Il est membre également du « speakers bureau » du laboratoire . Ce n’est qu’une de ses nombreuses casquettes, dont on peut avoir une petite idée au fil des « disclosures » qui accompagnent ses articles. Un leader d’opinion standard, lié à nombre de laboratoires en tant que consultant, conférencier, formateur, avec cette particularité suspecte de n’être pas financé par Sanofi-Aventis et d’avoir un tropisme particulier pour les études comparant Byetta et Lantus, les deux produits concurrents des deux laboratoires. C’est lorsque l’information sort du domaine boursier pour entrer dans le domaine médical que la presse se prend les pieds dans le tapis. Laissons Marc Perelman, correspondant à New York de « Marianne » nous expliquer sa vision de la situation dans son article intitulé « Les coups bas des labos » (Marianne n°637, daté du 4 juillet) : « Ces allégations, s’appuyant sur quatre études réalisées en Suède, en Allemagne, en Grande Bretagne et en Ecosse sont contestées par nombre de médecins. Car l’étude britannique a été financée par un concurrent direct de Sanofi : le laboratoire américain Eli Lilly qui commercialise un produit rival, le Byetta. Encore plus louche : la recherche a été conduite par un diabétologue américain qui siège au conseil de direction de la société Amilyn (sic). Laquelle commercialise le Byetta avec Eli Lilly. Et c’est ce même professeur qui n’a pas hésité à annoncer, en pleine conférence d’investisseurs, le 11 juin, un « tremblement de terre » imminent à propos de Lantus. Résultat : le cours de l’action Sanofi a plongé de 12% en deux jours et le labo français dénonce une campagne de déstabilisation. » La thèse du complot fait son chemin, encore renforcée par le discrédit jeté sur la valeur scientifique des 4 études publiées par l’EASD. L’article de Yves Miserey pour le Figaro, daté du 1er juillet , s’en remet pour cela à l’avis d’un diabétologue : «Ces études ne sont pas vraiment sérieuses», estime de son côté le Pr André Grimaldi, chef du service de diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. «Elles ne justifient même pas une alerte.» Il s’agit pour Le Figaro également d’une « polémique injustifiée », fruit d’un complot unissant étrangement pouvoirs publics et concurrents de Sanofi-Aventis : «Pour le diabète de type 2, la Lantus ne présente pas de bénéfices réels par rapport aux autres insulines», souligne en revanche le Pr André Grimaldi. Or, comme elle est beaucoup plus chère que les autres insulines, sa prescription systématique pour les diabètes de type 2 apparaît d’autant plus contestable. Un point faible que les laboratoires concurrents ne manquent pas d’attaquer avec l’appui implicite des spécialistes et de certains experts de santé publique. »
La transparence instrumentalisée
Cette apparente et soudaine prise de conscience par la presse de l’importance des conflits d’intérêts entourant les études cliniques n’est hélas pas la bonne nouvelle qu’elle pourrait sembler à première vue… Bien au contraire, les conflits d’intérêts, réels, de la source de la fuite, le Dr DeFronzo, semblent avoir été instrumentalisés afin de discréditer par amalgame l’ensemble des études de l’EASD sur Lantus. A la rumeur a ainsi répondu une contre-rumeur dans la tradition de la théorie du complot, avec pour outil la déclaration des conflits d’intérêts… Reprenons : • « la recherche a été conduite par un diabétologue américain qui siège au conseil de direction de la société Amilyn » Faux : Le Dr DeFronzo (la phrase suivante de l’article permet bien de l’identifier formellement), dont les conflits d’intérêts sont entendus, n’a néanmoins participé à aucune des 4 études sur Lantus publiée par l’EASD, dont tous les auteurs sont déclarés… • « l’étude britannique a été financée par un concurrent direct de Sanofi : le laboratoire américain Eli Lilly » Les faits : 2 des 3 auteurs ont déclaré des liens d’intérêts (le 3ème a déclaré une absence de liens). Tous deux ont déclaré un lien avec Sanofi Aventis comme avec Eli Lilly et nombre d’autres laboratoires opérant sur le marché du diabète. C’est le seul lien établi entre cette étude et Eli Lilly. Plus amusant : cette rumeur est d’autant plus absurde que des 4 publiées par l’EASD….l’étude britannique est la seule qui ne mette pas en cause Lantus !!! L’hypothèse d’une étude téléguidée par Eli Lilly et destinée à torpiller son concurrent tient donc difficilement la route … La question des liens d’intérêts des études et des investigateurs a, on le voit, été instrumentalisée pour nourrir une contre-rumeur sans fondement. Hélas, la presse généraliste et médicale, qui n’inclut pas la question des liens d’intérêts dans sa culture, n’y a vu que du feu…
La transparence doit être systématique
Seule solution pour sortir de l’impasse : analyser de façon systématique les liens d’intérêts des acteurs de cette polémique. On le voit, une transparence partielle est partiale et dessert in fine l’information. Reprenons donc la chronologie de la polémique sur le plan médical : La première étude , sur 127 031 patients, a été menée et financée par l’institut allemand Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG : Institut d’évaluation de la qualité et du coût-efficacité dans le système de santé) dépendant des caisses d’assurance maladie, un institut unanimement respecté pour son indépendance, la qualité et l’intégrité de ses travaux. Les auteurs ont déclaré dans Diabetologia leur affiliation à l’IQWiG et l’absence de conflits d’intérêts. Une recherche complémentaire d’éventuels liens d’intérêts ne produit pas de résultat. Les résultats de cette première étude ont fort embarrassé l’EASD : une augmentation du risque de cancer de 9 à 31% selon la dose de glargine. Le constat était suffisamment inquiétant pour n’être pas tu, mais était-il assez étayé ? Le fait que Sanofi-Aventis soit « gold member » de l’EASD, comme Eli Lilly et bien d’autres laboratoires (lesquels ne sont pas sponsors mais membres de plein droit dans cette association) a sans doute encouragé l’EASD à faire preuve de la plus grande prudence. C’est donc à la demande de l’EASD qu’ont été initiées les études suédoise, écossaise, et britannique qui concluent respectivement à : –Suède : l’étude menée sur 114 841 patients retrouve un surcroît significatif de cancers du sein sous glargine. Les auteurs sont tous des chercheurs d’instituts publics, et une recherche complémentaire d’éventuels liens d’intérêts ne produit pas de résultat. L’étude n’indique pas l’origine de son financement mais précise qu’elle a été réalisée à la demande de l’EASD. –Ecosse : une augmentation de tous les cancers dans le sous-groupe glargine, mais considérée non significative. L’étude comprenant 49197 patients est jugée trop limitée. L’étude a été financée par le gouvernement d’Ecosse et le Wellcome Trust, une fondation caritative créée en 1936 qui finance principalement la recherche biomédicale. Les auteurs n’indiquent pas individuellement leurs liens d’intérêts, et une recherche complémentaire ne produit pas de résultat. –Grande-Bretagne : L’étude ne retrouve pas de lien avéré entre l’utilisation de glargine chez 10 067 patients et une augmentation du nombre de cancers. Les trois auteurs déclarent leurs liens d’intérêts : comme nous l’avons vu, 2 déclarent des liens avec Sanofi Aventis comme avec Eli Lilly et de nombreux autres laboratoires, le troisième déclare n’avoir aucun lien d’intérêt. Une recherche complémentaire ne produit pas de résultat. Les auteurs déclarent que l’étude n’a reçu aucun financement spécifique, de quelque source que ce soit. Enfin, une cinquième étude a été publiée le même jour en extrayant a posteriori des données d’une étude qui avait un tout autre objet (l’étude de la rétinopathie chez les diabétiques). Cette étude conclut à l’absence de lien entre Lantus et cancer. Cependant, du fait de sa conception elle n’atteint pas le même niveau de signification que les quatre précédentes, selon l’IQWiG dans un communiqué ultérieur (les cancers n’étant pas l’objet de l’étude initiale n’étaient pas évalués en aveugle). Il convient de noter en outre qu’il s’agit d’une étude entièrement contrôlée et financée par Sanofi Aventis. Les auteurs, lorsqu’ils ne sont pas directement employés ou contractants du producteur de Lantus, déclarent tous des liens avec Sanofi-Aventis par ailleurs. La collecte, la saisie des données, la rédaction de l’article ont été assurées par des employés de Sanofi Aventis. Bilan : 3 études sans conflit d’intérêt identifiable concluent à une augmentation du risque de cancer sous Lantus par rapport à d’autres insulines (une augmentation non statistiquement significative dans l’étude écossaise). 1 étude britannique ne trouve aucun lien entre glargine et cancer. 1 étude menée par le producteur de la glargine mise en cause conclut à l’absence de lien. Il aura suffi des conflits d’intérêts du porteur de mauvaise nouvelle DeFronzo, révélés par un analyste financier et diffusés par Bloomberg, pour que l’ensemble de la presse écarte sur ce critère 4 études pourtant peu suspectes de conflits d’intérêts.
La Bourse ou la vie : deux cultures de la transparence
<doc380|left> Il est révélateur que la source des informations sur les conflits d’intérêts du Dr Defronzo soit un analyste financier. Il est en effet de pratique courante en finance de qualifier l’information en recherchant les conflits d’intérêts. Les investisseurs sont aujourd’hui parfois mieux informés des risques des produits pharmaceutiques (par exemple au travers des sections « risques » des rapports remis par les entreprises pharmaceutiques aux autorités de marché) que ne le sont leurs utilisateurs et prescripteurs : les retraits de médicaments sont ainsi fréquemment annoncés aux investisseurs avant d’être notifiés aux autorités de santé. La manipulation de l’information est en effet, et on peut le regretter, beaucoup plus encadrée et sanctionnée par la loi lorsqu’il s’agit d’intérêts boursiers que de santé publique. Au point que Marie-Dominique Furet, dans son « Rapport sur l’indépendance et la valorisation de l’expertise venant à l’appui des décisions en santé publique » présente l’Autorité des Marchés Financiers comme le modèle à suivre pour établir une agence de contrôle des experts en santé. Rechercher, prendre en compte et publier les conflits d’intérêts reste en revanche une pratique quasi inconnue de la presse médicale française. Le Dr DeFronzo ne doit ce traitement mérité qu’au fait de s’être exprimé auprès d’analystes financiers. L’eût-il fait lors d’un symposium, il n’en aurait sans doute subi aucune conséquence. On pourra donc chercher en vain dans la presse française généraliste ou médicale un commentaire sur la nature particulière de la cinquième « étude » innocentant Lantus. De même, Le Figaro ne mentionne pas le fait que le Pr Grimaldi, pour qui « ces études ne sont pas vraiment sérieuses » et ne « justifient même pas une alerte » a des liens avec Sanofi. Aucun journaliste n’aura la malice de lui faire remarquer que ses propos courageux niant tout intérêt de Lantus pour les diabétiques de type 2 contrastent avec la promotion de Lantus auprès de ces mêmes patients faite par Sanofi dans un communiqué de presse. Or Sanofi se targue de l’étude TULIP (Testing the Usefulness of Lantus when Initiated Prematurely in Patients with type 2 diabetes) intégralement financée par Sanofi Aventis…et dont le Pr Grimaldi est co-auteur. Le Pr Grimaldi était par ailleurs vice-président du comité de la Haute Autorité de Santé qui a défini les recommandations pour la pratique clinique dans le traitement du diabète de type 2. La HAS en dépit de la loi ne publie pas la déclaration publique d’intérêts qu’il est censé avoir remplie préalablement à son entrée en fonction . D’abord, que les journalistes médicaux auraient sans doute à apprendre de leurs collègues de la presse financière en matière de qualification de l’information, et notamment de recherche et publication des conflits d’intérêts. Et qu’un encadrement plus strict des conflits d’intérêts en médecine n’est qu’une question de volonté politique et administrative, puisqu’il fonctionne relativement dans le domaine financier. Ensuite, qu’une transparence partielle est forcément partiale et doit être évitée : éclairer les conflits d’intérêts réels ou supposés d’une partie peut être une habile façon pour la partie adverse de manipuler l’information et l’opinion. Ici, les conflits d’intérêt réels du Dr DeFronzo ont été faussement étendus aux études incriminant Lantus, tandis que les conflits d’intérêts réels étaient eux totalement passés sous silence. Enfin, une note d’espoir : en évoquant une « tentative de déstabilisation » par un médecin leader d’opinion à la crédibilité altérée car rémunéré par son concurrent, Sanofi Aventis a adopté une tactique de défense qui pourrait se révéler à double tranchant. Ayant reconnu publiquement que ces liens d’intérêts ont bel et bien une influence, et que les leaders d’opinion peuvent être l’instrument des laboratoires, le laboratoire pourra plus difficilement à l’avenir prétendre que les rémunérations que lui-même verse à ses propres leaders d’opinion sont sans incidence. Un aveu à rebours du discours habituel de l’industrie pharmaceutique, qui voudrait faire passer pour anodins les liens unissant médecins leaders d’opinion et laboratoires.Quelle leçon en tirer ?
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