Les décrets 2013-414 et 2013-413 parus le 21 mai 2013 devaient permettre l’application de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé en élaborant une charte de l’expertise sanitaire pour le premier et en précisant les conditions de la transparence des avantages consentis aux professionnels pour le second. Le Formindep a estimé que ces décrets, loin d’assurer l’ambition de la loi, en ont limité la portée, nous conduisant à déposer deux requêtes en annulation en Conseil d’Etat contre chacun des deux décrets. Le Conseil d’État a rendu ses décisions le 24 février 2015.
Décret 2013-413 portant approbation de la charte de l’expertise
La requête du Formindep est rejetée, ce qui signifie qu’aucun des points que nous avons soulevés n’a été pris en considération :
- La charte adopte une définition restrictive de l’expertise sanitaire en faisant référence à la norme AFNOR NX X 50-110. La définition qui en découle est une régression par rapport aux normes internationales d’indépendance de l’expertise ISO 17020 . Le Conseil d’État juge que la loi autorisait le gouvernement à décider seul de la définition de l’expertise et donc à adopter cette définition très contestable.
- La charte limite la notion de liens d’intérêts à l’objet de l’expertise, ce qui nous semblait pouvoir faire fi des liens avec une firme s’ils n’étaient pas en rapport direct avec le produit de santé à l’étude. Le Conseil d’État juge que la rédaction du décret permet d’inclure les liens directs et indirects avec les entreprises, sans restriction.
- La charte définit le conflit d’intérêts comme un lien d’intérêts ayant une nature ou une intensité particulière. Cette définition conduit à une appréciation subjective du conflit d’intérêts avec à la clef la possibilité donnée à l’instance commanditaire de l’expertise de décider seule quels liens d’intérêts constituent des conflits d’intérêts. Le Conseil d’État estime que la définition ne fait pas obstacle à une appréciation objective de l’existence d’un conflit d’intérêts par le commanditaire.
- La charte stipule que les experts ayant des conflits d’intérêts peuvent être auditionnés par le commanditaire s’il le juge nécessaire et selon les modalités qu’il aura définies lui-même. Le Conseil d’État juge que cela est compatible avec le texte de loi. Le Conseil d’État considère donc que le décret ne méconnaît pas le sens de la loi en confiant aux commanditaires des expertises, en premier lieu la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM), le soin de définir:
- dans quelle mesure un lien d’intérêt constitue un conflit d’intérêts,
- quelles sont les conditions acceptables de recours à un expert sous influence.
Le Formindep s’inquiète de cette décision qui semble méconnaître les dysfonctionnements des agences sanitaires qui ont conduit justement à la rédaction de la loi. Le Conseil d’État avait ainsi abrogé les recommandations sur le diabète de type 2 après un recours du Formindep car elle n’avait même pas su respecter ses propres règles de gestion des conflits d’intérêts. De son côté, l’ANSM a une politique très laxiste de gestion des conflits d’intérêts des experts avec comme ambition de seulement « limiter les risques de conflits d’intérêts ». Elle recrute des experts aux nombreux conflits d’intérêts à la seule condition qu’ils renoncent à percevoir des rémunérations des firmes pharmaceutiques pendant la durée de leur mandat au sein de l’agence. Avant la tenue d’une réunion, le conseil scientifique de l’ANSM est chargé d’identifier les liens qui pourraient constituer des conflits d’intérêts et c’est en réunion qu’est décidé ce qui constitue réellement un conflit d’intérêts. Ainsi l’exclusion d’un expert sous influence d’une réunion n’est possible qu’après les appréciations subjectives et successives du conseil scientifique puis des participants à la réunion auquel l’expert sous influence participe lui-même. Nous avions espéré au contraire que le décret préciserait qu’un lien d’intérêt entre une firme et un expert constitue forcément un conflit d’intérêts, ou a minima que les critères qui font d’un lien un conflit d’intérêts seraient définis a priori et de manière univoque. La charte de l’expertise telle qu’elle est validée n’apporte aucune avancée par rapport à la situation antérieure qui avait permis la succession des scandales sanitaires, dont celui du Mediator.
Décret 2013-414 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme.
- Le décret avait restreint l’obligation de déclaration des avantages octroyés par les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage, aux « conventions relatives à la conduite de travaux d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales portant sur ces produits ». Le Conseil d’État juge cette restriction illégale et annule cette disposition. C’est cette disposition seule qui conduit à l’annulation du décret et à la condamnation de l’état à verser 1000 euros au Formindep.
- Le décret excluait de l’obligation de déclaration les contrats d’achats de bien de services entre les entreprises et les personnes, associations, établissements, fondations, sociétés, organismes ou organes. Cette rédaction à double sens pouvait laisser penser que l’achat de service par les entreprises aux professionnels de santé pouvait être exclu du champ déclaratif. Le Conseil d’État juge que cette interprétation est non fondée et affirme que c’est bien l’achat de biens ou de services par les professionnels de santé aux entreprises qui est visé par le décret.
- De manière extrêmement intéressante, le Conseil d’État annule deux alinéas de la circulaire DGS/PF2/2013/224 du 29 mai 2013 précisant les conditions d’application du décret. Ces deux alinéas prévoyaient : “Ne sont pas considérés comme des avantages les rémunérations, les salaires et les honoraires qui sont la contrepartie d’un travail ou d’une prestation de service, perçus par les personnes mentionnées à l’article L.1453-1 du CSP. Toutefois, une rémunération manifestement disproportionnée par rapport au travail ou à la prestation de service rendue est susceptible d’être requalifiée en avantage ou en cadeau prohibé par les dispositions de l’article L. 4113-6 du CSP.” Concrètement, les conventions conclues entre les professionnels de santé et les firmes de santé étaient jusqu’ici déclarées sur le site transparence du ministère mais leur montant était secret. Le jugement du Conseil d’État devrait conduire en toute rigueur à la publication, avec rétroactivité, du montant des rémunérations afférentes à ces conventions.
Le bilan de notre action contre les deux décrets d ‘application de la loi Bertrand est donc contrasté :
- Le Conseil d’État valide la charte de l’expertise telle que l’a rédigée le gouvernement permettant aux agences sanitaires de recourir à des experts sous influence. Le Formindep restera vigilant pour dénoncer tous les travaux des agences sanitaires reposant sur des avis d’experts sous influences.
- Le Conseil d’État juge que l’existence de tous les contrats d’achats de biens ou de services par les entreprises auprès des professionnels de santé doivent être déclarés et qu’en outre le montant doit figurer dans la déclaration. Il s’agit d’une avancée majeure qui devrait permettre de mettre en lumière l’importance des rémunérations des grands leaders d’opinions dont l’activité est la source des surdiagnostics, surtraitements et mauvais usages des médicaments mettant en danger la santé publique et la pérennité de l’assurance maladie. Le Formindep demande maintenant que le gouvernement ne fasse pas obstacle à une application de la loi conforme à l’interprétation du Conseil d’État.
Laisser un commentaire