Comment et combien les firmes pharmaceutiques investissent dans la formation des médecins. L’Australie révèle les faits et les chiffres. Edifiant.

. Le 18 mars dernier, pour les besoins d’un documentaire, je me trouvais au salon du Médec à Paris. Présenté comme le «congrès de la médecine générale», le Médec n’est autre qu’une annuelle foire commerciale et industrielle à la médecine à laquelle quelques institutions publiques, associations et notables donnent une malheureuse caution. Lors de cette visite, le représentant d’une multinationale du médicament m’expliqua avec conviction que les actions de formation médicale déployées par sa firme n’étaient, je cite, que «pure philanthropie». Ces formations médicales organisées et financées par sa firme, avec la caution des organismes officiels de formation médicale continue, n’avaient pour finalité, selon lui, que le seul intérêt des médecins et de leurs patients. Profondément ému par un tel désintéressement, je me suis toutefois demandé combien les firmes pharmaceutiques pouvaient dépenser pour ces contributions à la formation des médecins et, à travers elles, au bonheur de l’humanité ? Hélas, en France ces informations sont inaccessibles. Les firmes et l’Ordre des Médecins qui en est pourtant informé les tiennent cachées. La vraie charité ne s’étale pas et doit savoir rester pudique. Mais en Australie c’est différent. En effet, depuis 2006, la “Commission australienne du consommateur et de la concurrence” exige des firmes pharmaceutiques australiennes qu’elles publient chaque mois les informations sur les événements qu’elles organisent pour les médecins. Ainsi elles doivent communiquer entre autres le thème, le nombre de participants et le coût de ces événements. Sans doute mu par la même légitime pudeur qu’en France, Medecines Australia, l’équivalent australien du Leem, avait déposé un recours au tribunal pour faire interdire cette mesure. Mais l’obligation s’applique. Ainsi apprend-on dans cet article du British Medical Journal du 5 avril 2008 que dans les six derniers mois de 2007, 43 firmes pharmaceutiques implantées en Australie ont organisé plus de 14 663 événements pour un total de 18,1 millions d’euros, qui ont attiré 358 221 professionnels de santé.

[[Les mauvais esprits qui souhaiteront faire une extrapolation de la situation australienne à la France doivent savoir que l’Australie comptait en 2006 un peu plus de 20 millions d’habitants pour environ 60 000 médecins, et la France 62 millions d’habitants pour plus de 200 000 médecins. ]] Les contributions de chaque firme peuvent être consultées et téléchargées sur le site de Medicines Australia. De beaux chiffres parlant mieux que de longs discours, je ne peux résister au plaisir de proposer aux internautes la liste des contributions à la formation des médecins australiens de deux de ces multinationales philanthropiques. J’ai choisi Pfizer en raison de sa première place mondiale et Sanofi-Aventis pour ses origines françaises. Attention les dossiers sont épais – 64 pages pour l’un et 31 pages pour l’autre – et il faut garder à l’esprit qu’ils ne concernent que les 6 derniers mois de 2007. N’oublions pas non plus que le coût de ces petits fours, rafraichissements, hébergements, voyages, et autres prestations “pédagogiques” est inclus dans le prix des médicaments qui sont prescrits et que les assurances maladie remboursent. Dans un communiqué, la présidente de l’Association des médecins australiens rappelle la chance qu’ont les patients australiens d’avoir accès aux médicaments innovants et que les médecins sont “hautement formés à penser de façon indépendante et à décider dans le seul intérêt des patients“. Quant au ministre australien de la santé, il a refusé de commenter mais a rappelé dans d’autres circonstances que les prescriptions ne devraient jamais être influencées par des partenariats, mais qu’il était hors de question que le gouvernement restreigne l’implication des firmes dans la formation des médecins. On reste confondu devant tant de générosité industrielle, de naïveté médicale et d’hypocrisie gouvernementale. Mais heureusement pour nous, Français, tout cela se déroule à l’autre bout de la terre, sur des terres sauvages, là où la médecine n’est pas la meilleure du monde.