De l’erreur involontaire à l’art de la fraude

Enquêtes médicales et évaluation des médicaments, A.Clapin

Le Dr Alexis Clapin, neurologue, a travaillé pendant vingt ans dans l’industrie pharmaceutique, en tant que responsable médical chez Serono pour son dernier poste. L’ouvrage qu’il fait paraître ce 14 mars « Enquêtes médicales & évaluation des médicaments, de l’erreur involontaire à l’art de la fraude »[1] est donc plus qu’un manuel théorique, un manuel de lecture critique des études cliniques, des études de cohortes aux essais randomisés contrôlés. Un nombre impressionnant de biais et leurs conséquences sont exposés, en termes compréhensibles du grand public, schémas à l’appui.

 

C’est un ouvrage roboratif d’éducation du citoyen, nécessaire à quiconque s’intéresse de près aux fondements scientifiques sur lesquels sont évalués les produits de santé. Alexis Clapin rappelle quelques principes trop peu connus du grand public quant à l’évaluation des produits de santé par l’Agence Européenne du Médicament (EMA). L’unilatéralité des sources : toutes les pièces du dossier d’AMM sont produites, analysées, les conclusions rédigées par le laboratoire. L’EMA ne mène pas sa propre analyse, ne vérifie pas les calculs, or il est aisé d’optimiser les résultats des études, dès le design de celle-ci, puis au cours de son déroulement et de son analyse statistique. Etonné par l’efficacité affichée d’Avonex, un traitement de la sclérose en plaques, Alexis Clapin va en demander le dossier d’AMM. Il lui faudra plus de deux ans et une plainte auprès du médiateur de l’Union Européenne pour avoir gain de cause.

 

Partant de cet exemple, Alexis Clapin illustre les failles de l’évaluation par les agences de l’efficacité des produits de santé.

Les failles en matière de détection d’effets indésirables sont connues, certaines facilement explicables par un manque de puissance des essais pour mettre en évidence des effets rares. Pour détecter avec une relative assurance un effet indésirable se produisant chez 1/n patient, il faut en effet que l’essai compte environ 3n patients sur la durée adéquate. Même menés de façon optimale, du fait de leur taille les essais ne permettent donc de détecter que des effets indésirables relativement fréquents.

Les failles en matière d’évaluation de l’efficacité sont en revanche inacceptables. Alexis Clapin s’interroge : pourquoi n’y a-t-il pas de scandale sanitaire lié au manque d’efficacité des produits ? Sans doute parce que cette preuve nécessite d’avoir accès aux documents internes des agences, aux dossiers déposés par les laboratoires, que ceux-ci bloquent à coups de procès. Les récents arrêts des cours européennes sont encourageants en ce sens, mais a contrario l’impact réel de la directive secret des affaires reste à découvrir. Quant à la réanalyse des données, elle nécessite des compétences en biostatistiques qui ne sont pas à la portée du citoyen moyen.

Quand cette réanalyse est néanmoins menée, généralement au terme d’années de procédures, il est navrant de constater qu’elle est de surcroît ignorée par les autorités de santé. La Collaboration Cochrane a ainsi démontré, sur la base des documents produits pour l’AMM, le manque d’efficacité du Tamiflu.[2] Il continue pourtant d’être recommandé à chaque épidémie de grippe par le Ministère de la Santé[3]. L’anomalie détectée dans le dossier Avonex et signalée par le Dr Clapin restera elle aussi ignorée de l’EMA.

 

Plaidoyer pour les essais cliniques randomisés contrôlés.

Le lobbying de l’industrie pharmaceutique, avec le soutien du senior medical officer de l’EMA Hans Georg Eichler, mène depuis quelques années campagne pour des procédures allégeant la charge de la preuve avant mise sur le marché, pour lui substituer de plus en plus des études post marketing en « big data », « en vie réelle »[4], vulnérables à tous les biais et permettant les multi-analyses opportunistes. Cet ouvrage tombe à point nommé pour rappeler que des essais randomisés contrôlés (RCT) de phase III bien menés sont la seule méthode scientifique offrant un contrôle raisonnable des biais et des preuves d’une fiabilité suffisante pour justifier le rapport bénéfice/risque d’un médicament.

 

 

 

[1] Editions Désiris, 2018

[2] doi:10.1136/bmj.g2547; doi:10.1136/bmj.g2545

[3] DGS-Urgent Réf : 2017-REC-12 « Recommandations concernant l’épidémie de grippe saisonnière 2017-2018 », 21/12/2017

[4] Cf. notamment les “think and do tanks” MIT-NEWDIGS, fondé par une trentaine de laboratoires pharmaceutiques,  CMR-CIRS filiale de l’ABPI (aujourd’hui de Thomson Reuters),  Tapestry Networks (pour le compte d’Astrazeneca et al.).