De l’intérêt de la loi Kouchner
Mardi 6 octobre, l’émission « Enquête de santé » sur France 5 abordait un thème qui intéresse des millions de français qui s’inquiètent pour leur « cholestérol », et notamment les 6.4 millions qui prennent un traitement par statine pour le contrôler.
Après un reportage qui soulève des pistes intéressantes et qui démontre notamment la construction du mythe du « cholestérol » à partir d’études faussées, le plateau s’avère décevant.
Des conflits d’intérêts cachés
Seul Bruno Toussaint, directeur de Prescrire, revue indépendante et analysant la littérature médicale, a spontanément présenté son absence de liens d’intérêts. Les deux médecins présents n’ont en revanche pas évoqué leurs nombreux liens d’intérêts, notamment avec les laboratoires commercialisant des médicaments anti-cholestérol. Pourtant la loi Kouchner oblige depuis 2002 les professionnels de santé à présenter leurs liens d’intérêts avant toute intervention sur un médicament.
Marina Carrère d’Encausse a brouillé les cartes, volontairement ou non. A la 53ème minute de l’émission, elle déclare « Vous pouvez consulter leurs liens d’intérêts en vous rendant sur le site « Allodocteurs.fr ». Ceci n’est pas une déclaration d’intérêts des experts eux-mêmes. De plus, pointer un site non officiel ne fait que retarder les éventuels spectateurs qui voudraient consulter leurs liens. Le site « Allodocteurs.fr » consulté le 11/10/2015 ne pointe d’ailleurs vers aucun site et ne divulgue absolument pas les nombreux liens d’intérêts des deux médecins invités.
Notons aussi que Marina Carrère d’Encausse et Michel Cymes, qui sont des médecins, ne déclarent pas non plus leurs éventuels liens d’intérêts.
Cette absence de déclaration des experts nous permet d’illustrer, par un contre-exemple fréquemment observé dans les media, l’intérêt de cette loi :
Philippe Giral est un médecin lipidologue de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris. Il a déjà été invité dans l’émission Allo Docteurs des mêmes animateurs et on connait sa position sur l’intérêt de faire baisser le cholestérol. Lors de ses différentes interventions sur le sujet, il affirme que les statines sont des médicaments « efficaces » et « bien tolérés ». Le Dr Giral affiche de nombreux liens d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent des médicaments à visée cardiovasculaire ou hypocholestérolémiante : Astra Zeneca*, Daiichi Sankyo*, Genzyme, Lilly, MSD*, Novartis*, Pfizer*, Roche, Sanofi*, Wyeth.
Gérard Helft exerce aussi à la Pitié-Salpêtrière et on trouve sur le site du Ministère de la Santé pas moins de 8 pages de ses liens avec l’industrie pharmaceutique (77 avantages et 22 contrats), dont les laboratoires fabriquant les anti-cholestérols : Abbott*, Astra Zeneca*, Bristol-Myers Squibb*, Daiichi Sankyo*, Merck Serono*, Novartis*, Sanofi Aventis*, Servier*. Au premier rang de ceux-ci, AstraZeneca, fabricant du Crestor, statine la plus vendue en France, l’a ainsi invité au congrès de la société européenne de cardiologie d’Athènes et rémunéré en tant qu’orateur.
Ces entreprises commercialisent des anti-cholestérolémiants ou des statines : Abbott (Simcor° : simvastatine), Astrazeneca (Crestor° : rosuvastatine), Bristol Myers Squibb (Elisor° : pravastatine), Daiichi Sankyo (Welchol° : colesevelam), MSD ou Merck (Zocor° : simvastatine), Novartis (Lescol° : fluvastatine), Pfizer (Tahor° : atorvastatine), Sanofi Aventis (Vasten° : pravastatine, Lodales° : simvastatine). Le laboratoire SERVIER détient la filiale BIOGARAN, produisant une statine générique (simvastatine) et un fibrate (fénofibrate).
Lorsqu’un expert est rémunéré par un laboratoire pour des « manifestations de promotion », des « formations », ou en tant qu’orateur, qui s’exprime sur le plateau ? Le porte-parole du laboratoire, ou le médecin hospitalier ? Son discours est-il scientifique ou promotionnel ?
Nous avions déjà mis en garde contre les liens d’intérêts dans d’autres articles : « Les dernières recommandations européennes, américaines et françaises sur la prise en charge des dyslipidémies sont farcies d’intérêts et fortement biaisées » et « La mauvaise graisse de la HAS ».
Un discours biaisé
De nombreuses études montrent qu’un lien d’intérêt influence le discours en faveur du produit ou d’une entreprise pour laquelle il a travaillé dans ses recherches ou lors de conférences rémunérées.
Dans cette émission, nous retrouvons de nombreuses inexactitudes, dont quelques-unes que nous allons examiner. L’intérêt de cette analyse est double : montrer qu’un expert ayant des liens d’intérêts produit un discours qui peut induire le grand public en erreur, d’autant plus si ces liens sont tus, et rétablir les faits, fortement égratignés lors du débat en plateau, à rebours du reportage.
Nous sommes les 99%
A la minute 54, Gérard Helft commence le débat en tentant…de le clore d’emblée, par une déclaration péremptoire et infondée : « Il n’y a pas de débat sur le cholestérol. Il y a la majorité des experts […] qui savent que le cholestérol est en cause [et favorise] les maladies cardiovasculaires. Ils représentent plus de 99% des experts ».
Or cet argument ne tient pas. Certes il y a une majorité d’experts, dont nombre sont rémunérés par l’industrie pharmaceutique, qui produisent des avis contre le « cholestérol » et pour les médicaments anti-cholestérol. Mais il y a aussi une grande communauté d’experts, dont certains sont indépendants mais pas tous, qui s’opposent depuis des années à ce mythe.
En réalité l’écrasante majorité des médecins, cardiologues, épidémiologistes, ne travaille pas sur ce sujet, ne produit pas d’articles dans les revues, ne s’exprime pas, et suit l’avis des médecins leaders d’opinion (KOL : Key Opinion Leader) qui accèdent aux médias et s’y expriment en permanence en faveur de la théorie du cholestérol.
Il n’existe bien entendu aucun chiffre des partisans de la théorie du cholestérol et de ses critiques. Le docteur Helft a néanmoins estimé que « plus de 99% » serait un chiffre suffisant pour convaincre les spectateurs. Cela semble d’ailleurs fonctionner sur Michel Cymes, visiblement impressionné et qui reprend ce chiffre à la minute 56, en interrogeant Bruno Toussaint.
Quand les médicaments augmentent la mortalité
Lorsque Bruno Toussaint essaie d’apporter la contradiction en soulevant le problème de médicaments hypocholestérolémiants qui AUGMENTENT la mortalité*, il est aussitôt interrompu par les deux présentateurs qui changent de sujet (minute 58). Mettre en doute les médicaments sur le plateau n’était visiblement pas à l’ordre du jour.
Les laboratoires : des absents omniprésents
Benoit Thevenet expose que les laboratoires pharmaceutiques contactés ont tous décliné l’invitation à participer au plateau : Astrazeneca, BMS, MSD Merck, Pfizer et Novartis et Sanofi (minute 59). Mais il omet de préciser que les deux experts présents ont justement des liens d’intérêts avec ces mêmes laboratoires. Gérard Helft est ainsi un orateur rémunéré sous contrat avec le laboratoire Astrazeneca, producteur du Crestor. Les firmes n’ont pas besoin de venir : elles ont déjà sur le plateau deux personnes qui vont faire admirablement bien le travail, sans le révéler au public.
La normalité devenue anormale
Marina Carrère d’Encausse pose une question judicieuse, concernant la baisse continuelle des seuils de « cholestérol » depuis 30 ans, qui fait que l’on considère aujourd’hui comme anormal et devant être traité un taux auparavant jugé tout à fait normal. L’expert GIRAL va alors esquiver la question et la renverser. « Moi je poserais la question autrement. » Cela lui permet de ne pas répondre à cette question, lui qui a fait partie de commissions qui ont abaissé ces seuils. Il préfère botter en touche et accuser notre mode de vie, qui augmente autant le taux de cholestérol. Belle dérobade, que les deux animateurs ne cherchent même pas à contrer. (1h01 minute)
L’athérome sans cholestérol
Marina Carrère d’Encausse pose une nouvelle question gênante. Le témoignage d’une téléspectatrice indique qu’elle a des taux normaux de cholestérol, mais néanmoins des plaques d’athérome. L’expert Giral se dévoue pour ne pas répondre à cette contradiction de la théorie. Sans savoir si la personne est fumeuse, il va accuser le tabac « de modifier le cholestérol ».
Hypercholestérolémie ou hyper-lipoprotéinémie ?
Marina Carrère d’Encausse évoque cette fois l’exemple des hypercholestérolémies familiales pour « prouver » la toxicité du « cholestérol ». Bruno Toussaint n’arrive pas à la contrer, en disant tout simplement qu’une maladie génétique rare n’a rien à voir avec une personne en prévention primaire.
Rappelons que 6.4 millions de français prennent des statines, dont 80% en prévention primaire, c’est-à-dire alors qu’ils n’ont pas de maladie cardiovasculaire et que l’intérêt des statines dans leur cas n’est pas démontré.
On ne devrait d’ailleurs pas parler d’hypercholestérolémie, mais d’hyper-lipoprotéinémie, car ce sont les LDL et HDL dont il faut parler, et non pas le cholestérol, qui n’en est qu’un composant. Rappelons que le cholestérol est le même dans les LDL (le soi-disant « mauvais ») et dans les HDL (le soi-disant « bon »). Voir l’article « Cholestérol : le bon, le mauvais et les truands ». Philippe Giral le sait parfaitement, et lorsqu’on va lui poser la question d’une personne ayant peu de LDL, il va citer le nom correct « hypo-bêta-lipoprotéinémie » (1h08 minutes). Il est dommage d’utiliser des termes inappropriés qui induisent le public en erreur. Par ailleurs, sa boutade en réponse : « ces gens-là peuvent manger du saucisson tous les jours » est inappropriée et caricaturale. Il vaudrait mieux recommander le régime méditerranéen, justement pauvre en viandes transformées.
Les absents ont toujours tort
Philippe Giral va citer Michel de Lorgeril, présent dans le reportage mais non présent sur le plateau. L’attaque de ce confrère en désaccord avec lui est facile, mais reçoit l’accord tacite des présentateurs, qui restent muets face à cette prise à partie. Ce silence fait suite à une intervention passée du docteur de Lorgeril sur le plateau d’AlloDocteurs qui avait été assez tendue.
Les statines c’est bon, mangez-en
Le docteur Helft prend alors la parole : « Pour clarifier les choses, parce que je crois qu’il faut des messages simples » …« en prévention secondaire LES STATINES diminuent la mortalité ».
En fait de simple, ce message est plutôt simpliste. C’est inexact et Bruno Toussaint va le relever : « ce n’est pas prouvé pour toutes les statines, seulement pour deux ».
Gérard Helft est gêné et tente d’esquiver l’argument « C’est un débat d’experts ». Bruno Toussaint rappelle que la plus puissante des statines, celle qui baissait le plus efficacement le cholestérol, a tué, et a été retirée du marché. Il est aussitôt coupé par les présentateurs, gênés qu’on vienne sur ce terrain, avec la promesse qu’« on va y revenir ». Ce ne sera pas le cas. Regrettable pour les téléspectateurs qui n’ont peut-être jamais entendu parler du scandale de la cérivastatine (Cholstat/Staltor).
On pourrait ainsi analyser toute l’émission, reprendre chaque phrase inexacte des deux experts liés aux firmes pharmaceutiques. On pourrait aussi analyser les réactions des deux présentateurs, montrant leur malaise vis-à-vis des faits qui viennent contredire ce en quoi ils croient mais le principal est là : il n’est toujours pas prouvé après 40 ans de thérapeutiques hypocholestérolémiantes que la baisse du cholestérol diminue la morbi mortalité cardiovasculaire.
* ndr : par exemple Cérivastatine et Clofibrate.
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