L’European Medicines Agency (EMEA), ou Agence Européenne du Médicament est un organe de l’Union Européeenne, chargé de l’évaluation et de la supervision des produits de santé humaine et animale.

Epinglée à différentes reprises pour sa politique de transparence pour le moins insuffisante et qui laisse la place à toutes les suspicions, l’EMEA a lancé cet été une consultation publique sur sa nouvelle politique de transparence qui poursuit les nobles objectifs suivants :

  • mettre en place une approche “proactive” de la transparence dans les activités quotidiennes de l’agence
  • renforcer les interactions entre les différents acteurs et partenaires de l’agence
  • promouvoir la transparence et la coopération entre les différentes agences européennes du médicament.

A la suite de la revue Prescrire qui a récemment fait le point de 4 années de relations avec l’EMEA, et conjointement à d’autres organismes européens, le Formindep décide de participer à la consultation publique de l’EMEA sur sa politique de transparence, et transmet sa réponse.

EMEA et transparence de l’information: un bilan accablant

En tant qu’agence de la Commission Européenne, les obligations de l’EMEA en matière de transparence et d’accès aux documents découlent de la directive 1049/2001 EC, réaffirmée par la directive 726/2004 EC.

Que prévoit cette directive ?

Que tout document détenu par l’EMEA dans le cadre de ses activités est de fait un document public, accessible par défaut à toute personne physique ou morale qui en fait la demande, sauf exception dûment motivée et encadrée par la loi (protection de données personnelles, secret industriel, protection des enquêtes et audits) et à la condition supplémentaire que cette exception ne fasse pas obstacle à un intérêt public supérieur.

Dans les faits, la revue Prescrire a tiré de son expérience riche de plus de 80 demandes d’accès aux documents de l’EMEA un bilan consternant.

Globalement, l’Agence rejette totalement 25 à 37% des demandes d’accès à un document, selon les données de son rapport annuel.

 Quant aux documents officiellement « transmis », le caviardage intensif y est la règle, au point que bon nombre de ces documents “publiés” mériteraient d’être comptabilisés au nombre des refus d’accès. Prescrire publie ainsi un rapport de pharmacovigilance sur l’Acomplia dont 66 des 68 pages, et jusqu’à la date, sont intégralement occultées, au nom de la protection du « secret commercial ».

Depuis 2001, la loi impose à l’Agence de disposer d’un registre de documents. Ce registre électronique présente la liste des documents publics de l’Agence, et permet leur téléchargement direct ou la soumission d’une demande de communication. Ce registre est d’une grande importance, car il est difficile pour le public d’exercer son droit d’accès à des documents dont il ignorerait jusqu’à l’existence… Pourtant, fin 2009, l’EMEA n’a toujours pris aucune mesure pour instaurer ce registre et se mettre en conformité avec cette obligation légale.

L’Agence Européenne du Médicament oublie également qu’elle ne sert pas seulement les firmes de Canary Wharf, le quartier d’affaires de Londres où se trouve son siège, mais l’ensemble des citoyens de l’Union. Le rapport annuel de l’Agence, comme la totalité de ses règles et statuts, ne sont disponibles qu’en version anglaise. Les déclarations publiques d’intérêts de ses experts sont consultables dans les locaux de l’agence à Londres. Une requête électronique sera néanmoins satisfaite si elle reste « raisonnable ». Car l’Agence l’affirme, elle n’a « aucune intention de scanner les déclarations des ses plus de 4000 experts ». L’immense majorité non londonienne des citoyens de l’Union appréciera cette inégalité de traitement.

L’harmonisation européenne par le bas

Les 27 états de l’Union Européenne ont des pratiques fort diverses en matière de transparence. L’EMEA se propose donc d’ « harmoniser » ses pratiques avec celles des états… les moins transparents!

Pire, le réseau des Agences nationales du médicament, que coordonne l’EMEA, promeut l’opacité en faisant pression sur les Agences nationales jugées excessivement transparentes. Ainsi, en vertu d’un Freedom of Information Act local (le WoB), l’Agence néerlandaise du Médicament (le CBG) a-t-elle accepté de livrer à la presse des Product Safety Update Reports (PSUR), ces rapports périodiques de pharmacovigilance exigés de l’industrie, que l’EMEA et autres Agences nationales considèrent incommunicables. Mais sous la pression d’Agences nationales inquiètes de ce précédent, le CBG en a préalablement occulté les chiffres clés.

Quant à l’industrie, elle a d’ores et déjà menacé les Agences du médicament de poursuites si les données qu’elle leur transmettait risquaient d’être divulguées. Des données pourtant exigées par la loi et publiques en vertu de la directive 1049/2001/EC et de ses déclinaisons nationales…

Ériger l’opacité en règle, la transparence en exception, au service de l’industrie

Cette situation d’opacité n’a rien de fortuit et procède principalement de la volonté affirmée de l’EMEA de considérer l’industrie pharmaceutique comme son premier partenaire. Il ne s’agit hélas pas de caricature : l’EMEA soumet en ce moment aux commentaires du public une «politique de transparence » qui, avec une candeur désarmante, l’affirme explicitement (cf. lignes 139-140, ou encore ligne 217).

Le rattachement de l’EMEA à la Direction Générale Industrie de la Commission, et non à la Direction Générale Santé, dénoncé par un collectif de près de 150 associations européennes, participe sans doute de cet étrange sens des priorités. Tout comme le financement croissant de l’EMEA par les redevances de l’industrie et la prestation de services de conseil auprès des laboratoires, qui représentent 76% de son budget 2008.

La « politique de transparence » de l’Agence découle entièrement de cette hiérarchie des priorités, et concourt par tous moyens, y compris au mépris d’obligations légales, à institutionnaliser les manquements de l’Agence à la loi, en restreignant l’accès du public aux documents de l’Agence afin de préserver au mieux les intérêts de l’industrie pharmaceutique.

Ainsi, par la discrète substitution d’un seul mot (« documents produits par l’Agence » vs « documents détenus par l’Agence » ainsi que l’impose la directive 1049/2001EC), la politique proposée exclut elle d’emblée de son champ d’application tous les documents que des tierces parties lui transmettent dans le cadre de leurs obligations légales. Une subtilité potentiellement lourde de conséquences : la politique de transparence ne couvre donc pas les rapports de pharmacovigilance rédigés par les laboratoires, par exemple!

Quant au caviardage compulsif au nom du «secret commercial» ou de son faux-nez la «protection des données personnelles», loin de préciser l’étendue de ces exceptions à la règle de la transparence, la politique proposée reporte sine die leur définition à un hypothétique document qui reste à rédiger… Une façon fort élégante de faire perdurer l’arbitraire de la situation.

En revanche – et on peut s’interroger sur la présence de cette proposition dans une politique de “transparence” – l’EMEA prévoit qu’une “information” élaborée par l’industrie pharmaceutique pourra être diffusée par l’EMEA à destination des professionnels de santé. Un dangereux mélange des genres…

La réponse du Formindep

L’EMEA a lancé sa consultation du public sur sa politique de transparence, pendant la période estivale, sur la base d’un document publié uniquement en anglais. Elle apporte ainsi un signe supplémentaire du peu d’intérêt qu’elle porte à la transparence et à la participation du public.

Le Formindep a souhaité lui donner tort en rédigeant, comme d’autres associations (ISDB, collectif Europe et Médicament…), sa propre réponse à ce document scandaleux, qui loin de faire avancer la transparence pérennise l’opacité en institutionnalisant les manquements de l’Agence à la loi.

Notre réponse dénonce point par point les lacunes de l’Agence, en la mettant face à ses obligations légales. Nous exigeons une réécriture de la politique de transparence qui la mette en conformité avec la directive 1049/2001 EC :

  •  Nous exigeons la création d’un registre de documents, avec un calendrier d’implémentation rendu public. Huit ans d’illégalité, ça suffit !
  •  Nous exigeons un rapport sur les demandes d’accès aux documents, qui expose les motifs de refus d’accès
  •  Nous rappelons que la « confidentialité commerciale » est une exception à la transparence qui doit être interprétée de la façon la plus restrictive, en conformité avec la directive et la jurisprudence correspondante.
  • Nous pointons du doigt l’arbitraire de la pratique quotidienne de l’EMEA en matière de transparence, fréquemment en violation de ses propres règles internes.

Nous rappelons à l’Agence qu’il n’est pas dans son mandat d’ «harmoniser» les pratiques des Agences nationales, en particulier au détriment de la transparence.

Nous exigeons une égalité de traitement des citoyens de l’Union. Dans cet esprit, notre réponse est rédigée en deux versions : en français, car c’est un droit pour tout citoyen de l’Union que de s’adresser à ses institutions dans sa langue officielle, et nous souhaitions le rappeler à l’EMEA, et en anglais, pour que notre réponse soit bien prise en compte par les agents de l’EMEA.

Le Formindep exige également la traduction de la politique de transparence proposée dans les langues officielles de l’Union, et une extension de la consultation jusqu’à deux mois après la parution de la dernière traduction, afin de permettre aux citoyens de toute l’Union de participer, sur un pied d’égalité.

L’action du Formindep envers l’EMEA ne s’arrêtera sans doute pas là, car le rôle joué par l’Agence est croissant. La procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) centralisée, d’ores et déjà la règle pour les spécialités visant certaines pathologies (cancer, diabète, maladies orphelines), sera de plus en plus utilisée, car elle permet en une seule procédure d’obtenir l’accès au marché des 27 états de l’Union. L’exemple récent d’Alli® (orlistat), autorisé hors prescription par l’EMEA malgré l’opposition de l’AFSSAPS, et a contrario le retrait du dextropropoxyphène en sont deux exemples, pour le pire ou le meilleur. En cas de conflit entre deux Agences nationales, c’est également à l’EMEA que revient le rôle d’arbitre.

Le rôle croissant de l’EMEA doit aller de pair avec une exigence accrue de transparence et d’indépendance de l’Agence. Le Formindep continuera d’être vigilant.