(Article publié dans la revue Pratiques n°39).

Avec l’exemple de la “proximologie”, le marketing de firmes pharmaceutiques comme Novartis invente des concepts éthiques redondants pour mieux instrumentaliser professionnels de santé et associations de patients. Ignorants de la notion de conflits d’intérêt, des organismes publics d’éthique médicale, parmi lesquels le prestigieux Espace Ethique de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris relaient et cautionnent ces initiatives.

Les firmes pharmaceutiques s’engagent de plus en plus dans ce qu’elles présentent comme un engagement éthique au service des patients et de leur entourage .

Ainsi on peut lire sur le site Age Village à propos du “Manifeste de proximologie” écrit par Hugues JOUBLIN :

La proximologie est la démarche de recherche dans laquelle s’est engagé Novartis , sous l’impulsion d’Hugues Joublin, directeur exécutif du groupe, en France ,avec la participation d’experts des sciences humaines et sociales. Le but est d’approfondir la connaissance de la « relation d’exception entre la personne malade et son entourage» et de contribuer à éviter le risque de désengagement qui pèse sur notre cohésion sociale. Avec son manifeste de proximologie « Réinventer la solidarité de proximité » Hugues Joublin appelle à comprendre, valoriser et aider lesproches des personnes malades ou dépendantes.

La firme Novartis développe des outils de communication à destination des utilisateurs de soins et des professionnels de santé, investit dans des enquêtes importantes dont les thèmes recouvrent les domaines des intérêts commerciaux de l’entreprise. Ainsi à la page «Etudes de proximologie» du site proximologie.com de Novartis Pharma, on retient les travaux réalisés ou en cours :

-Etude COMPAS menée auprès des conjoints de patients parkinsoniens; et Novartis commercialise comme traitement de la maladie de Parkinson : Comtan® , Stalevo®.

-Etude PIXEL menée auprès de l’entourage des patients atteints de maladie d’Alzheimer; et Novartis commercialise comme traitement de la maladie d’Alzheimer : Exelon®.

-Etude CODIT menée dans l’insuffisance rénale chronique terminale auprès des conjoints de personnes transplantées ou dialysées; et Novartis commercialise contre le rejet de greffes : Neoral®.

-Etude TRILOGIE menée auprès des parents d’enfant épileptique; et Novartis commercialise comme traitement de l’épilepsie : Trileptal®.

-Etude FACE menée auprès des conjoints et enfants des femmes atteintes d’un cancer du sein; et Novartis commercialise dans la prise en charge des cancers : Aredia®, Navoban® et Fémara®.

-Etc.

L’investissement éthique de la firme Novartis à travers la proximologie se limite au périmètre de prescription de ses produits. Il est donc licite de considérer cette action comme plus proche du marketing (1) que de l’éthique où de la compassion, et elle s’inscrit dans la stratégie de communication des firmes.

La stratégie de communication des firmes vers le grand public

Une étude du groupe Eurostaf (2) sur la communication grand public des firmes pharmaceutiques met en évidence les nouvelles tendances marketing qui considèrent le patient comme une cible marketing à part entière, qui doit à ce titre être touché par la communication des firmes pharmaceutiques. La législation actuelle rend difficile un tel objectif et des stratégies de contournement de la réglementation sont mises en place. Parmi celles-ci, l’étude d’Eurostaf identifie : les campagnes pathologies, des partenariats avec les associations de patients, du marketing de services sur une pathologie en particulier, le développement de sites internet destinés à informer sur une maladie, etc. Nous pourrions rajouter la communication « éthique », avec le site de proximologie de Novartis et le soutien aux institutions…

Bien sûr, on pourra opposer que rien n’empêche le directeur de la communication d’une firme pharmaceutique de s’intéresser, peut-être même de façon sincère, à la question des relations entre les malades et leurs proches (3). Mais ne perdons pas de vue qu’une firme pharmaceutique a comme premier intérêt le développement et le profit dont elle doit rendre compte à ses actionnaires. L’engagement financier significatif de Novartis dans la réflexion sur la solidarité de proximité n’est pas réalisé sans attente d’un retour sur investissement; il a pour objectif la croissance des volumes de vente dans les domaines de son engagement. Il s’arrêtera quand les intérêts financiers de Novartis seront en jeu.

Novartis par son engagement se présente comme partenaire de soins, il investit le champ de la relation au malade et à son entourage. L’éthique médicale présuppose que la personne malade est sujet et non pas objet de soin, que le soignant doit avoir comme premier intérêt le soin de la personne malade. Le premier intérêt d’une firme pharmaceutique est son développement propre et c’est pour cela qu’il ne peut être partenaire de soins. Le conflit d’intérêt est ici majeur.

L’éthique médicale au service du marketing

L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et son Espace Ethique, le Département de recherche en éthique de l’Université Paris-Sud 11, entretiennent des liens étroits avec la fondation Novartis, et avec le directeur de la communication de Novartis :

  • soutien financier d’ « ateliers éthiques » (4)
  • colonnes ouvertes pour diffuser le concept de proximologie créé par la firme Novartis (5);
  • participation de Novartis à l’enseignement universitaire de l’éthique, dont le Directeur de la communication de Novartis qui est chargé de cours (6);
  • soutien d’Emmanuel HIRSCH, Directeur de l’Espace Ethique de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à la promotion du concept de proximologie, au travers d’une interview video en ligne sur le site de la firme. Cette interview à disparu quelques semaines après la rédaction de l’article… Il est surprenant qu’une institution chargée d’explorer et d’enseigner l’éthique médicale ne s’interroge pas sur l’ambiguïté de son soutien à la démarche marketing de la firme Novartis. L’AP-HP ne peut savoir s’il se met au service des patients ou au service du marketing des firmes. Ce soutien crédibilise aux yeux des citoyens et de la société l’initiative marketing de Novartis, il contribue à améliorer l’image de la firme et par là à augmenter son pouvoir d’influence auprès des professionnels de santé.

Manifestement l’Espace Ethique de l’AP-HP, comme le Département d’éthique de l’université Paris-Sud 11, ne prennent pas suffisamment en compte le concept de conflit d’intérêt dans leurs réflexions sur l’éthique médicale.

 

(1)Voir le document : Baromètre 2006 Unilog Management & HEC Paris – “Efficacité marketing dans l’industrie pharmaceutique”, page 4. On peut y lire un des objectifs marketing : ” Renforcer la communication vers les patients:

-Enquêtes épidémiologiques de grande envergure avec accompagnement de patients.

-Accompagnement de l’entourage du patient (proximologie). (sic !)

-Investissement dans la presse grand public.”

(2) La communication pharmaceutique grand public en France », étude publiée par Eurostaf en avril 2004.]]

(3)Programme de la Première journée universitaire de recherche en éthique : présentation du concept de proximologie par le directeur de communication de la firme Novartis.

(4)Sponsorisation par la Fondation Novartis du “Premier atelier de réflexion éthique et cancer
et texte de conclusion de l’atelier par le Directeur de la communication de Novartis (p 94-95 de cet atelier).

(5)Voir note 4.

(6)On relève la présence de deux représentants de la firme Novartis dans la liste des enseignants du département de recherche en éthique de l’Université Paris-Sud 11, dont le Directeur de la communication de Novartis.

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