Le Formindep a créé un prix récompensant un travail de fin d’étude en lien avec l’indépendance en santé qui s’intitule prix Bernard JUNOD. Bernard JUNOD fut un brillant chercheur, membre du Formindep, d’une grande humanité et qui a été un des premiers à remettre en cause par ses travaux le bénéfice du dépistage du cancer du sein.
Les premiers lauréats ont été dévoilés récemment, retrouvez ici leurs témoignages et travaux ainsi que le compte-rendu du président du jury, le Dr Bernard Topuz.
Bonjour
Concernant notre délibération, nous proposons un premier prix de 600 € attribué à Isabelle NOLLET TASSIN pour son travail sur “Exposition des internes de médecine générale aux techniques de promotion médicamenteuse au cours de leurs stages”. Nous avons apprécié le balayage approfondi et bien référencé des conséquences de la promotion pharmaceutique auprès des soignants et des étudiants. Et particulièrement apprécié l’organisation structurée de son travail, la qualité du travail d’enquête mené auprès de 167 internes de médecine générale d’Ile de France et ses conclusions : comment 80 % d’entre eux peuvent-ils reconnaître l’influence des techniques promotionnelles sur leurs prescriptions et simultanément être seulement 29 % à se considérer trop exposés.
Nous avons souhaité distinguer par un deuxième prix de 400 € le travail de Jonathan Alexander CORRÉ sur “l’expérience du contact d’internes en médecine générale avec l’industrie pharmaceutique : une analyse phénoménologique”. Nous avons apprécié la volonté de comprendre la “boîte noire” subjective des décisions et des pratiques qu’ont les internes en médecine générale bordelais lorsqu’ils décident de recevoir un visiteur médical. Ce travail vient en soutien à l’enseignement pilote mené par le département de médecine générale de Bordeaux dénommé Formation à l’analyse critique de la promotion pharmaceutique (FACRIPP). En effet, ambivalence et dissonance cognitive maintes fois analysées chez les personnes soumises à la promotion pharmaceutique nécessitent une compréhension plus fine des mécanismes psychologiques à l’œuvre.
L’ensemble des travaux qui ont concouru amènent à poser l’urgence de formations obligatoires au sein du cursus des étudiants en médecine sur une critique de la promotion pharmaceutique et le cadre règlementaire visant à la contenir.
Interview de la Dresse Isabelle TASSIN
Pourriez-vous nous dire ce qui vous a donné envie de faire votre thèse de médecine sur ce sujet ?
Cela a commencé à germer suite à des discussions avec le chef référent pour les internes de l’hôpital de Versailles où j’étais interne, le docteur Sébastien Monnier. Il était convaincu que les laboratoires n’avaient rien à faire dans la formation des internes, et que les visiteurs médicaux n’avaient rien à faire dans les services hospitaliers. Cela a été assez riche de pouvoir en discuter avec lui.
A titre personnel, cela m’avait déjà interpelé en tant qu’externe. On ne pouvait couper à croiser des visiteurs médicaux pendant nos stages hospitaliers, c’était du coup complètement normal, ancré dans la formation. C’était sympa au début les crèmes ou autre, même en stage de médecine générale où deux visiteuses étaient toujours plantées devant l’entrée. Ça faisait un peu beaucoup quand même et ça me posait question. Mais c’est en discutant avec le chef référant des internes à Versailles que j’ai vraiment saisi que ce n’était pas normal. Et de là est venue l’idée de faire une thèse sur le sujet avec lui, qui n’avait d’ailleurs jamais dirigé de thèse auparavant.
Comment s’est déroulée votre thèse ?
L’écriture a été assez longue, je voulais tout d’abord faire une bibliographie ultra complète sur le sujet. Ce qui m’a d’abord particulièrement intéressé ce sont les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans la rencontre avec les visiteurs médicaux, et cela s’est enrichi au fil des lectures, comme le guide Comprendre la promotion pharmaceutique et y répondre de l’Organisation Mondiale de la Santé. Je me disais que c’était génial et que tous les étudiants devraient lire ça. J’ai d’ailleurs mis un lien à la fin de mon questionnaire de thèse afin de le faire un peu plus connaître. J’ai découvert ensuite le livret de la troupe du rire qui en propose une très bonne synthèse adaptée aux besoins étudiants.
Je me suis bien amusée à creuser les paramètres psychologiques comme l’illusion de l’unique invincibilité. Ces mécanismes sont étudiés dans les écoles de marketing mais pas du tout à la fac en médecine, on n’a pas conscience de toutes les techniques utilisées pour nous influencer, et que nous y sommes complètement perméables d’après les études sur les médecins et étudiants en médecine existantes, résultats que l’on retrouve d’ailleurs de manière générale dans plusieurs pays. Au contraire, on a tendance en tant qu’étudiant en médecine à s’en défendre, à être persuadé que nous ne sommes pas influencés, influençables. J’ai été très contente de lire sur ces aspects et j’ai beaucoup appris en faisant cette thèse. Je trouvais ça assez cocasse quand des médecins me disaient ensuite en stage que tout cela ne les concernait pas et qu’aucune de leurs prescriptions n’étaient influencées…
Est-ce que cette thèse a pu changer d’autres choses pour vous, dans vos perceptions ou votre pratique ?
Ce qui a changé c’est que je suis très à l’aise avec certaines décisions, comme par exemple de ne pas participer au petit déjeuner avec viennoiseries payées par les labos lors des stages, ce qui obligeait aussi à signer la feuille d’émargement pour la base Transparence santé. C’était un peu délicat au début, mais je savais pourquoi je le faisais et j’en parlais avec mes co-internes et externes. Je me rappelle d’ailleurs d’une discussion avec une externe qui pensait rester indépendante du fait qu’elle recevait tous les labos, des idées encore très répandues dans le milieu médical. Le sujet intéressait bien mes co-internes, tant qu’on ne les agresse pas en les traitant directement de pourris ou de vendus bien sûr. La plupart se disait aussi que c’était quand même chiant de passer une heure en réunion avec les labos, même s’il y avait des viennoiseries. D’en discuter permettait de mieux comprendre pourquoi les labos pouvaient se donner autant de mal à organiser tout ça. Et une des choses importantes était au final que cela pouvait nous apprendre à dire non, non à nos chefs aussi. Une des choses qui marquait mes co-internes, c’est aussi quand je leur montrais que je n’apparaissais pas dans la base Transparence santé, alors qu’eux si. Ça leur faisait bizarre de voir leur nom.
De mon côté, le fait de refuser de participer à ces rencontres avec les labos n’a pas posé de problèmes vis-à-vis de mes chefs, cela a été moyennement reçu une fois, mais dans l’ensemble cela a été pris de manière plutôt respectueuse, il faut néanmoins que je précise que j’ai fait plusieurs stages dans l’hôpital de Versailles qui est plutôt bienveillant envers ses internes. Cela a été plus difficile lorsque j’ai fait un stage en CHU. C’était plus difficile là de refuser de participer aux staffs labo. Si le chef insistait pour que j’y aille, je le faisais, mais je refusais de signer la feuille d’émargement. Maintenant je fais des remplacements en cabinets de ville en médecine générale, je suis du coup moins exposée, même s’il y a souvent des visiteurs médicaux qui essayent de me rencontrer quand j’arrive dans un nouveau cabinet, mais je n’ai aucun souci pour leur exprimer mon refus clair et net.
Ce que j’ai aimé aussi en faisant cette thèse c’était que j’ai pu en parler avec beaucoup de monde, cela intéressait aussi ceux qui n’étaient pas en médecine, et j’étais content de pouvoir partager ce que j’apprenais. J’ai été au contraire surprise parfois de la méconnaissance de mes collègues dans ce domaine, comme avec un jeune médecin généraliste enseignant à la fac qui ne connaissait pas le Formindep. Il est vrai cependant que je n’en avais jamais entendu parler non plus avant ma thèse lors de mes études à la fac de médecine de Paris 6. Cela m’a rassuré de voir qu’une association de professionnels de santé et citoyens existait pour s’occuper de l’indépendance en santé quand j’ai appris l’existence du Formindep. Je regrette de ne pas avoir pu connaître le livret de la troupe du rire plus tôt dans mes études, et les liens vers lesquels il renvoie pour aller plus loin, cela devrait faire partie du starter pack des étudiants.
L’internat m’avait par contre permis de connaître Prescrire car comme dans pas mal de facs, on peut valider des crédits de formation en s’abonnant et en réalisant le test de lecture de Prescrire. Et en plus, on avait un tarif préférentiel avec la fac pour s’abonner, ce qui était assez encourageant. Prescrire m’a d’ailleurs bien servi pour ma thèse. Le seul défaut que je leur trouve c’est qu’ils peuvent beaucoup s’auto-citer. Suite à ma thèse, je suis devenue relectrice occasionnelle de la revue pour les fiches Info-Patients.
Est-ce qu’il y a eu des suites à cette thèse ?
J’ai proposé de faire un cours d’une heure aux externes sur ce sujet à ma fac, mais il n’y a pas eu de suite. J’ai pu par contre partager mes connaissances à l’hôpital de Versailles lors de deux cours destinés à l’ensemble des internes, en utilisant mon diaporama de soutenance de thèse, que j’avais un peu modifié. C’est le docteur Sébastien Monnier qui organisait ces sessions, et il avait proposé à une psychologue qui avait étudié le marketing d’intervenir également. Il y a eu de bons retours, même s’il n’y avait qu’une trentaine d’internes à chaque fois. Les internes de spécialité et de bloc ne sont pas venus, mais les urgentistes oui. Pour moi, cette formation devrait commencer très tôt à la fac. Je suis bien consciente qu’on ne peut pas tout enseigner, mais cela ferait partie des choses que j’ajouterais vraiment au cursus.
Témoignage du Dr Jonathan Corré
Au cours de mon stage de 4ème semestre chez le médecin généraliste, celui-ci m’a donné le goût de la lecture d’articles et de revues médicales. J’ai donc lu un article qui m’a appris des informations qui aujourd’hui me paraissent tellement évidentes, mais qui ne l’étaient vraiment pas à l’époque (j’ai découvert à ce moment-là, donc quand même assez tardivement, l’existence de l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les médecins, ou un autre exemple la possibilité de pouvoir refuser la visite d’un délégué médical. Enfin, ce n’est pas exactement ça, ce n’est pas le fait de pouvoir refuser, c’est le fait que les visiteurs médicaux font tellement partie du paysage que je ne m’étais jamais posé la question si je pouvais refuser ou pas de les recevoir). J’ai discuté de cet article avec le médecin généraliste et je lui ai demandé : Pourquoi ? Comment ça se fait qu’il soit au courant de ce problème et qu’il n’informe pas tous les étudiants de médecine de France ? Comment ça se fait qu’il n’y a pas un seul cours dans notre cursus de médecine qui nous informe sur ce sujet ?
C’est alors que mon maître de stage (devenu ainsi mon directeur de thèse) a élaboré un important projet. Il a réuni six autres étudiants accompagnés de directeurs de thèses avec pour objectif final de créer un cours. Ainsi, la FACRIPP (Formation à l’Analyse CRitique de la Promotion Pharmaceutique) a vu le jour petit à petit. Chaque interne accompagné de son directeur de thèse avait une partie à écrire en rapport avec cette FACRIPP.
Ma partie a donc été de comprendre, de mieux cerner l’expérience vécue par les internes au contact de l’industrie pharmaceutique et étudier l’éventuelle répercussion de cette FACRIPP sur ce phénomène. Notre but était de mieux comprendre l’expérience de l’interne (analyser ses émotions, ses comportements, ses motivations qui le pousse à prendre telles et telles décisions…) afin d‘améliorer le cours.
A l’heure actuelle, l’influence de l’industrie pharmaceutique n’est plus à démontrer. D’un coté, nous avons l’interne, qui se sent fort, trop intelligent pour ne pas se sentir influencé car il est médecin et a fait de longues études qui l’ont rendu intelligent et non-influençable. De l’autre coté, le visiteur médical qui a une formation très approfondie sur la communication, les relations, la
façon de se présenter, de s’habiller, de parler. C’est un véritable expert dans le domaine pour vendre un produit.
Ne nous méprenons pas cependant, nous ne sommes pas antilabos. Mais les internes et l’industrie pharmaceutique ne jouent pas dans la même catégorie. L’industrie pharmaceutique est omniprésente dans le domaine médical. La banalisation, la normalisation des contacts et le manque de formations des médecins peuvent ancrer au plus profond d’eux des idées fausses. C’est pour cette raison qu’Il est nécessaire de diffuser au maximum un cours tel que la FACRIPP qui pourrait modifier le phénomène en apportant les connaissances et des outils aux médecins et en leur faisant réfléchir sur leurs relations. Ainsi, les médecins prendront leurs propres décisions vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique en étant pleinement conscients du phénomène.
Je remercie en particulier mon ancien maître de stage ainsi que toute l’équipe qui a contribué au développement de la FACRIPP.
Le jury souhaite également remercier l’ensemble des participants :
Adriaan Barbaroux
Adeline Boëffaret Martin Molina
Relations entre étudiants en médecine et industrie pharmaceutique en France en 2019.
Partie 1 : Étude transversale descriptive sur l’exposition au contenu promotionnel.
Partie 2 : Acceptabilité, scepticisme et formation à la critique de la promotion pharmaceutique.
Leur travail sera mis en ligne prochainement vu qu’il fait l’objet d’une publication en cours d’évaluation.
Bastien Doudaine
Guillaume Malafosse
Andrea Romeas
Merci et bravo, Isabelle et Jonathan, de vous exprimer si bien. Le combat est juste même s’il ressemble au pot de terre contre pot de fer. J’ai cessé de recevoir les visiteurs médicaux dès 1990 après avoir trouvé des sources d’information bien meilleures (Prescrire, Internal médicine Alert, et d’autres, toutes indépendantes des fabricants.
De tout cœur avec vous, et si je peux aider en quoi que ce soit, ce sera avec plaisir.
Confraternellement,
Jacques Beau MG retraité.