Par Mathieu Bensadoun et Paul Scheffer | 22 mars 2021
L’Institute of Medicine (IOM), fondu depuis dans la National Academy of Science, a publié en 2009 le rapport le plus détaillé sur les conflits d’intérêts dans la recherche, la formation et la clinique fait à ce jour. 10 ans plus tard, des chercheurs ont réalisé un bilan de l’évolution des principaux domaines traités dans ce rapport. Ce travail a été publié dans le BMJ Evidence-Based Medecine fin 2020 (1).
Nous avons traduit le tableau récapitulant ce bilan, ainsi que les recommandations des auteurs pour la suite. Les références indiquées sont à consulter à la fin de l’article du BMJ EBM que nous invitons à consulter car il détaille chacun des points du tableau.
Quelques avancées sont à noter mais l’étude fait surtout apparaître le peu de réels changements dans les pratiques des médecins, et nous faisions le même constat pour la France dans notre dernier article (2). « Il est temps de mettre fin à un certain nombre de pratiques reconnues de longue date qui créent des conflits d’intérêts inacceptables, menacent l’intégrité de la profession médicale et érodent la confiance du public tout en n’apportant aucun avantage significatif aux patients ou à la société » disait le directeur du rapport de l’IOM déjà en 2009 (3). Mal cela reste d’autant plus vrai en 2021 que certains aspects se sont même dégradés dans la dernière décennie, comme l’évaluation clinique des médicaments avant autorisation de mise sur le marché (4,5).
Domaine | Avancées depuis le rapport de l’IOM de 2009 | Recommandations pour aller plus loin |
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Législation | Plusieurs pays ont légiféré ces dernières années pour une plus grande transparence des relations entre l’industrie et les professionnels de la santé. Aux États-Unis, le Sunshine Act impose la déclaration publique des paiements provenant des firmes pharmaceutiques, de produits de santé, et de fournitures médicales aux professionnels de la santé et aux hôpitaux universitaires.4,5 Des réglementations similaires ont été adoptées dans plusieurs pays de l’Union Européenne tels que le Danemark, la France, la Grèce, la Lettonie, le Portugal et la Roumanie.7 En 2013, l’EFPIA, la Fédération européenne des firmes pharmaceutiques a adopté un code sur la déclaration des paiements aux professionnels de la santé et aux organisations.8 Ce code est déjà mis en œuvre dans d’autres pays membres de l’UE tels que l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni.9 D’autres pays ont mis en œuvre des initiatives d’autorégulation de l’industrie, notamment le Japon10, 11 et l’Australie.3, 12 | Pour optimiser les avantages de telles législations, des dispositions sont nécessaires exigeant que tous les paiements des firmes aux professionnels de la santé soient rendus publics dans une seule base de données dans chaque pays. |
Recherche clinique | Des études récentes utilisant la base de données Open Payments 36–38 ainsi que d’autres n’utilisant pas cette base 39–47 ont suggéré que les essais cliniques avec des auteurs ayant des conflits d’intérêts ont des résultats positifs plus fréquents que les études avec auteurs sans conflit d’intérêts et inversement, certaines études ne trouvent pas d’association entre les conflits d’intérêts et des résultats en faveur de l’industrie. 38, 49–52 Ceci souligne l’importance d’un examen continu des conflits d’intérêts et des facteurs susceptibles d’atténuer les biais financiers. Autre constat préoccupant, la sous-déclaration des conflits d’intérêts est également courante. Par exemple, parmi les essais cliniques en oncologie, près d’un tiers des auteurs n’ont pas divulgué de manière exacte ou complète leurs conflits d’intérêts avec le promoteur de l’essai.36 En neuro-oncologie53, l’absence de déclaration de la source de financement d’un essai est significativement associée à des conclusions positives. | Les organisations exigeant la déclaration des conflits d’intérêts ont besoin de concevoir et de mettre en œuvre des processus valides pour la vérification de ces déclarations. L’American Journal of Sports Medicine croise les déclarations des auteurs et avec celles de la base Open Payments, ce qui pourrait être une solution possible. |
Formation médicale continue (FMC) | Les organisations de FMC ont mis du temps à mettre en œuvre et à appliquer les politiques de conflit d’intérêts décrites dans le rapport de l’IOM de 2009. Le Conseil d’accréditation pour la FMC autorise actuellement les firmes à financerdes agences de communication en médecine 57, et des FMC financées par les firmes peuvent passer plus de temps à discuter les interventions coûteuses et de faible intérêt des sponsors et ignorer les traitements ayant un fort intérêt pour les patients et peu coûteux, qui ne sont pas produits par les firmes.58 Le biais ne s’applique pas seulement à la façon dont un produit est discuté mais aussi aux choix tacites de ce qui est discuté et de ce qui ne l’est pas. Cependant, une étude porteuse d’espoir a conclu que de 2003 à 2012, les étudiants en médecine américains étaient moins fréquemment exposés aux industriels, se sentaient moins en droit de recevoir des cadeaux et étaient plus conscients que les dons de l’industrie peuvent les influencer.59 | Pour améliorer la mise en œuvre et l’application des politiques de gestion des conflits d’intérêts, toutes les facultés de médecine devraient adopter les recommandations du rapport de l’IOM [nous les rappelons en dessous du tableau] de 2009. Aussi, afin d’atténuer pleinement le potentiel des biais, tous les financements des industriels pour la FMC devraient être éliminés, y compris le financement d’agences de communication médicale. L’éducation médicale doit être autorisée à remplir sa mission : diffuser des informations impartiales, basées sur les meilleures données probantes, et proportionnées au mérite des médicaments et produits de santé. |
Pratique médicale | De manière démontrée, les médecins qui reçoivent de l’argent des firmes utilisent davantage les produits de ces entreprises, des médicaments de marque à la place de génériques23, 71, engendrant des coûts de prescription plus élevés. 60, 73
En outre, les médecins formés dans des facultés de médecine ayant des politiques empêchant les paiements de l’industrie prescrivent moins de médicaments de marque en psychiatrique plus tard dans leur exercice.72 |
Nous recommandons aux médecins de ne pas s’engager dans des relations financières personnelles avec les firmes pharmaceutiques fabriquant des produits en lien avec leur pratique clinique. Les visiteurs médicaux des firmes pharmaceutiques devraient également cesser d’être une source d’information pour les médecins. Ce rôle peut et doit être rempli par les sociétés professionnelles médicales. |
Recommandations de bonnes pratiques | L’IOM a publié des normes pour l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques en 2009 et 2011.90 Entre autres, l’IOM a recommandé que tous les concepteurs de recommandations soient exempts de conflits d’intérêts, et au minimum, que le président et la majorité des auteurs doivent être libres de tout lien commercial. Cependant, ces normes sont à appliquer de manière volontaire et il n’y a actuellement aucun système de vérification ni aucune sanction en cas de non-application. Un examen récent a révélé qu’une recommandation figurant sur Medscape et publiée dans une revue à comité de lecture ne répondait à aucune des normes de l’IOM. Ses auteurs recommandaient des médicaments onéreux sous brevet alors que des génériques étaient disponibles.92 En outre, de nombreuses études ont identifié une forte prévalence des conflits d’intérêts financiers parmi les rédacteurs de recommandations 82–89 | Les conflits d’intérêts parmi les auteurs de recommandations et les groupes de travail devraient être interdits. Les recommandations et les groupes de travail doivent adhérer aux normes de l’IOM. Par conséquent, quand aucun individu indépendant pour l’expertise requise n’est disponible, les personnes ayant des conflits d’intérêts ne devraient pas avoir de pouvoir décisionnel ou de droit de vote concernant le diagnostic ou les recommandations de pratique formulées. |
Comités éditoriaux | Le Comité international des éditeurs de revues médicales (ICMJE) recommande que les rédacteurs en chef divulguent publiquement leurs conflits d’intérêts «potentiels», s’abstiennent d’évaluer les articles liés à leurs conflits d’intérêts et imposent les mêmes normes aux autres membres de la revue94. Malgré ces conseils clairs, même les revues membres de l’ICMJE ne suivent pas leur propre politique : seulement 5 sur 14 revues membres ont une politique accessible au public pour les conflits d’intérêts éditoriaux, et seulement 2 d’entre elles ont rendu publique les déclarations de conflits d’intérêts de leurs rédacteurs en chef en 2018.93
82% des revues suivant les politiques de l’ICMJE avaient des politiques de déclaration conflits d’intérêts pour les auteurs et 34% avaient des politiques pour les relecteurs. 18% avaient une politique accessible au public sur les conflits d’intérêts éditoriaux, et moins de 1% des revues avaient des déclarations de conflits d’intérêts des rédacteurs en chef en ligne.95 |
Les conflits d’intérêts de chaque revue doivent être publiés et mis à jour régulièrement sur le site internet de la revue. Les revues devraient être obligées de divulguer leurs revenus financiers, notamment lorsqu’ils publient des recherches financées par l’industrie. |
Tableau – Avancées et propositions d’amélioration
Recommandations de l’IOM concernant la FMC (on notera que la formation initiale est aussi concernée)
L’IOM a recommandé la mise en œuvre de politiques interdisant aux professeurs, aux étudiants, aux internes et formateurs de tous les sites de formation associés d’être en relation avec l’industrie (sauf dans des situations précises). Ces relations interdites comprennent les cadeaux, les présentations éducatives gérées par l’industrie et les publications (y compris celles écrites par des rédacteurs médicaux, [note du traducteur : ceci est plus communément appelé ghostwriting]), les accords de consulting non basés sur des contrats de services d’experts à un prix de marché approprié, les contacts avec les visiteurs médicaux et de produits de santé, l’utilisation d’échantillons de médicaments. L’IOM a également recommandé que les sites de formation fournissent une éducation formelle afin de savoir éviter et gérer les conflits d’intérêts. En outre, l’IOM a recommandé un nouveau système de financement pour les programmes de FMC afin d’éviter ce type d’influence.
(1) Torgenson T et coll., Ten years later: a review of the US 2009 institute of medicine report on conflicts of interest and solutions for further reform, BMJ EBM, 2020. (lien)
(2) https://formindep.fr/paiements-des-firmes-et-influence-sur-les-prescriptions-une-revue-systematique-enfonce-le-clou/
(3) https://www8.nationalacademies.org/onpinews/newsitem.aspx?RecordID=12598
(4) Zhang AD et coll. Assesment of clinical trials supporting US Food and Drug Administration approval of novel therapeutic agents, 1995-2017, JAMA Network Open 2020 ;3(4) : e203284
(5) Prescrire, Évaluation clinique des médicaments avant AMM de plus en plus insuffisante, Mars 2021, page 225
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