Un matin, sur votre station de radio favorite, vous entendez le docteur Knock, fort de son autorité de professeur des Hôpitaux ou de sa compétence de chroniqueur-santé de la radio, vous expliquer que la commercialisation du nouveau médicament Pharmintox, pour le traitement des dépendances en tout genre (tabac, alcool, aliment, sexe, etc.) est LE médicament miracle pour tous ces problèmes. Les effets indésirables sont quasiment nuls et, s’il n’est malheureusement pas encore remboursé, cela ne saurait vous empêcher d’en parler rapidement à votre médecin.
Le même soir, dans un restaurant chic de la ville où il exerce, le docteur Untel participe avec ses confrères à une soirée de formation sur les dépendances, organisée par Pharma-Form, association de formation médicale agréée par la HAS, qui remplit donc tous les critères d’indépendance et de qualité. Durant cette soirée, le docteur Machin, expert en dépendances à l’hôpital local, démontre que le Pharmintox constitue maintenant LE traitement de référence des dépendances, et que compte tenu de sa quasi-absence d’effets indésirables, il ne serait pas éthique (sic) de ne pas le prescrire aux patients.
C’est ainsi que vous vous retrouvez un jour dans le cabinet du docteur Untel, votre médecin, en train de lui demander si le Pharmintox ne serait pas enfin LA solution à votre problème de dépendance aux pâtisseries dès que vous êtes stressé. Et le docteur Untel vous répond que si, bien sûr, et d’ailleurs il vient de suivre une formation sur la question, il n’y a aucun danger avec ce produit. Et vous ressortez avec une ordonnance de Pharmintox qui, dans un an, sera retiré du marché par la firme Bigpharm qui le commercialise, pour éviter les procès aux USA devant la recrudescence des cas de suicide dus à ce médicament.
Jusqu’à maintenant, ces histoires, à peine inventées, pouvaient se dérouler de cette façon. Mais le 28 mars dernier, a été publié au Journal Officiel le décret d’application de l’article 26 de la loi de 2002 (article L.4113-13 du Code de la santé publique) sur les droits des malades. Cet article de loi précise que tout professionnel de santé qui s’exprime publiquement sur un produit de santé, doit préalablement déclarer les relations qui le lient à l’entreprise qui commercialise ce produit.
Il aura fallu 5 années d’attente, d’interventions et le recours du collectif Formindep devant le Conseil d’Etat, pour que cet article de loi soit enfin appliqué. 5 années de retard : un record ! Comme par hasard, il s’agissait d’un article sur la transparence de l’information médicale, dans une loi visant à instaurer la démocratie sanitaire. Maintenant cette loi doit s’appliquer, et c’est à nous citoyens, professionnels de santé ou usagers du système de santé, de la mettre en œuvre, car les réticences et les résistances sont nombreuses.
Ainsi maintenant, quand vous entendrez à la radio le docteur Knock vous expliquer les mérites du Pharmintox, s’il n’a pas dit en préalable qu’il revient d’un “séminaire” aux Caraïbes offert par la firme Bigpharm aux journalistes médicaux français, vous pourrez et devrez porter plainte contre lui auprès de l’Ordre des médecins (une simple lettre suffit).
Ainsi maintenant, si le docteur Machin, expert local en dépendances, n’explique pas préalablement au docteur Untel et à ses confrères, qu’il a reçu de la firme Bigpharm, par l’intermédiaire de l’association Pharma-Form, 250 euros par soirée pour “former” les médecins au traitement des dépendances, le docteur Untel pourra et devra porter plainte à l’Ordre des médecins.
Ainsi maintenant, grâce à l’application de cette loi, vous aurez toujours des occasions de rencontrer votre médecin, mais moins souvent en raison des intérêts commerciaux des firmes. Vous pourrez rencontrer votre médecin pour lui parler vraiment de vos problèmes de santé, parce que vous saurez maintenant que tout ça, ce n’est que de la pub. Et votre médecin, qui aura compris lui aussi que tout ça ce n’est que de la pub, pourra vous conseiller sur les vrais moyens pour résoudre vos vrais problèmes.
Plus d’esprit critique pour les usagers et les soignants, moins de “dépendances” et d’espace de cerveau disponible aux firmes, plus de vrais soins et moins de prescriptions inutiles. On comprend mieux pourquoi il a fallu 5 années et le combat du Formindep pour obtenir ce décret, par lequel la démocratie sanitaire fait aujourd’hui un petit pas en avant. A nous, citoyens, de continuer à la mettre en marche.
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