L’histoire des traitements de la maladie d’Alzheimer est jalonnée de traitements présentés comme « efficaces » ou « innovants », qui se sont révélés au fil du temps n’apporter quasiment aucun bénéfice aux patients traités, mais qui ont été prescrits massivement, avant un déremboursement général. Le lecanemab fait partie d’une nouvelle classe thérapeutique de médicaments contre la maladie d’Alzheimer : les anticorps monoclonaux anti-amyloïde. Il est présenté là aussi comme un traitement innovant et efficace : le but de cet article n’est pas d’en juger ; mais faisons un peu le tour des publications et déclarations, et de leurs auteurs.
- Selon la Société Française de Pharmacologie et Thérapeutique (SFPT), qui est la société savante des pharmacologues français, « L’efficacité de cet anticorps a été évaluée au cours d’un essai clinique comparatif contre placebo, randomisé et en double aveugle (1). Le critère d’évaluation principal était le score CDR-SB (Clinical Dementia Rating–Sum of Boxes) dont les valeurs sont comprises entre 0 et 18. Un total de 1795 patients a été inclus dans cet essai. Après 18 mois, la différence observée en valeur de CDR-SB entre les groupes était de 0,45, différence qui s’avère significative sur le plan statistique mais pas sur le plan clinique, dans la mesure où l’effet clinique est perceptible pour une différence d’au moins 1 point sur cette échelle . Par ailleurs, la fixation de l’anticorps au niveau du tissus cérébral a entraîné, chez les patients traités par le lécanémab, un plus grand nombre d’effets indésirables, en particulier des micro-hémorragies (ARIA-H, 17,3 vs 9%) et des œdèmes (ARIA-E, 12,6 vs 1,7%) cérébraux.
En excluant de l’analyse les patients homozygotes pour l’allèle 4 de l’ApoE (274, soit 15%), les résultats apparaissent moins défavorables. Ainsi, sur les 1521 patients restant, la différence observée sur l’échelle CDR-SB est de 0,53. La proportion de patients développant des ARIA-E passe de 12,6 à 8,9% et ceux développant des ARIA-H passe de 16,9% à 12,9%. En comparaison, les patients de même profil recevant le placebo, présentent ces anomalies dans respectivement 1,3 et 6,8 % des cas. ». (2)
- La Revue Prescrire précise que « selon les données rendues publiques, après 18 mois de traitement, le score moyen CDR-SB a été de 1,75 dans le groupe lecanemab, versus 1,22 dans le groupe placebo, soit une différence de 0,53, de pertinence clinique très incertaine ; pourtant, même chez les patients porteurs d’une seule copie du gène ApoE4 ou non porteurs de ce gène, l’EMA précise qu’un œdème cérébral a été rapporté chez 8,9% des patients sous lecanemab, versus 1,3% sous placebo ; et une hémorragie cérébrale respectivement chez 12,9% versus 6,8% ; l’EMA préconise une surveillance lourde » (3)
- En résumé, le gain (modeste) sur l’évolution de la maladie est réel, mais n’est significatif que chez un sous-groupe réduit de patients, et en début de maladie.
- Les effets indésirables graves, notamment des micro-hémorragies cérébrales et des œdèmes cérébraux, mis en évidence par les études citées chez 10 à 15% des patients traités, nécessitent un suivi régulier par IRM (4 IRM systématiques et en cas de symptômes).
- L’accès au lecanemab est donc restreint aux patients, ayant des troubles cognitifs légers et ne présentant pas deux allèles ApoE4. Cela concerne moins de 10% des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et limite déjà l’impact potentiel de cette classe médicamenteuse.
- La FDA (Food and Drug Administration) américaine a autorisé le lecanemab en 2023; Après un premier refus en juillet 2024 (« Le comité a estimé que l’effet observé du Leqembi sur le retardement du déclin cognitif ne contrebalance pas le risque d’effets secondaires graves associés au médicament »), l’Agence européenne du médicaments (EMA) a finalement accordé l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) le 14 novembre 2024. (4)
- La SFPT (Société Française de Pharmacologie et Thérapeutique) juge « discutable » la décision de l’EMA d’autoriser le médicament, au regard du faible bénéfice attendu pour une population réduite, et des effets indésirables potentiels.(2)
- Le NICE britannique (National Institut for Health and Care Excellence, l’équivalent de la HAS française) juge que « les bénéfices du nouveau traitement de la maladie d’Alzheimer Lecanemab sont trop faibles pour justifier le coût pour le National Health Service (NHS) », la Sécurité Sociale du Royaume Uni. (5).
- Sa prescription en France dépendra in fine de l’avis de la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) , qui conditionnera la négociation du prix avec le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS) et celle du remboursement par la Sécurité Sociale. Le coût du traitement est actuellement de l’ordre de 30 000 dollars pour une durée de 18 mois, auxquels il faut rajouter le coût des examens complémentaires de suivi (IRM). On imagine facilement les pressions de l’industrie pharmaceutique pour obtenir un prix équivalent en France. Cette pression s’exprime de plusieurs manières, directe et indirecte.
Des liens très présents qui jettent une ombre sur la sincérité des demandes des associations
- Le Lecanemab est un produit des laboratoires BIOGEN et ESAI ; un médicament proche, le Donanemab, est produit par LILLY.
- Le British Medical journal, revue médicale de référence, exprime des réserves sur les allégations autour du Donanemab, mettant en évidence des limites dans les études présentées, et des conflits d’intérêts de membres de la FDA qui ont participé à l’avis positif de cette instance en 2024. (6)
- La Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG), société savante des gériatres français, publie sur son site un entretien avec le Pr Vellas, co-auteur de l’étude citée plus haut, et l’introduit par la phrase « L’essai multicentrique conduit sur 18 mois confirme l’efficacité de cet anticorps expérimental anti-amyloïde sur le déclin cognitif des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. » Pour le Pr Vellas, « cela va permettre à l’Europe et la France de ne pas décrocher en ce qui concerne l’innovation thérapeutique ». (7) . Cet enthousiasme qui reste discret sur la population restreinte étudiée , les limites de l’étude, et les effets indésirables pourrait induire en erreur un lecteur sans autre source … Le Pr Vellas ne déclare pas dans l’entretien que selon la base transparence santé (8) il a été rémunéré à la hauteur de 15 000 euros par le laboratoires EISAI en 2023/2024.
- Certaines associations de patients se sont par ailleurs depuis longtemps exprimées en faveur de la mise sur le marché de ce médicament, bien avant son autorisation par l’EMA ; sans vouloir retirer à ces associations tout l’honneur de leur participation active à la lutte contre la maladie d’Alzheimer, et à l’éducation et l’aide des familles et des patients, force est de constater qu’il existe des liens très présents entre certaines de ces associations et les firmes pharmaceutiques.
- France-Alzheimer a reçu, selon la base Transparence Santé (8), environ 200.000 euros de laboratoires pharmaceutiques entre 2018 et 2023, et en particulier 125.000 euros des laboratoires BIOGEN, EISAI et LILLY. Même si cela ne représente qu’une part mineure de son budget, cela ne laisse pas indifférent ; on notera par ailleurs que les laboratoires sont représentés en tant que tels au Conseil d’Administration de France-Alzheimer (y compris le très médiatique SERVIER !). Enfin, France-Alzheimer est une influenceuse de choix aussi chez les professionnels de santé, puisqu’elle participe au financement de la formation continue , en particulier de Diplôme Inter Universitaire et Master (« Diagnostic et Prise en charge de la MA » à Lille) .
- La Fondation Vaincre Alzheimer, très virulente dans sa revendication de cette classe médicamenteuse, émarge pour 75.000 euros dans la même période aux laboratoires, selon la base Transparence Santé (8).
- Loin de nous l’idée de faire une confusion entre les intérêts des firmes pharmaceutiques, ceux des chercheurs et des cliniciens, et ceux des associations de patients ; cependant, cette dépendance financière jette malheureusement une ombre sur l’indépendance de ces acteurs, et ce d’autant plus qu’ils et elles prennent parti dans les négociations entre firmes et autorités de santé.
Innovation et efficacité ne doivent pas faire oublier notre sens critique (et d’autres priorités)
Comme le faisait remarquer un éditorial du Lancet « Certaines personnes continuent d’avoir une idée fausse selon laquelle la démence fait normalement partie du vieillissement. La maladie d’Alzheimer est mortelle: près de 2 millions de personnes dans le monde en meurent chaque année et d’autres démences. De nombreuses personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ne reçoivent pas de diagnostic formel et l’avènement des biomarqueurs sanguins et CSF pourrait aider à combler cette lacune. Des changements radicaux sont nécessaires pour s’assurer que les personnes ayant des plaintes cognitives sont rapidement orientées vers les soins spécialisés pour l’évaluation, y compris l’accès à un diagnostic et à une gestion biologiques. Les rapports des médias décrivant le lecanémab comme un « médicament miraculeux » ne sont pas utiles. Mais le développement du premier traitement de fond de la maladie d’Alzheimer est un moment formidable pour la science, et pour la société. » (9) .
Un autre courrier du Lancet conclut : « Lecanemab for Alzheimer’s disease: tempering hype and hope » (10)
De bonnes raisons de conserver un esprit critique devant toutes ces affirmations.
Références :
- Études présentées pour l’AMM et la CT : van Dyck CH, Swanson CJ, Aisen P, Bateman RJ, Chen C, Gee M, Kanekiyo M, Li D, Reyderman L, Cohen S, Froelich L, Katayama S, Sabbagh M, Vellas B, Watson D, Dhadda S, Irizarry M, Kramer LD, Iwatsubo T. Lecanemab in Early Alzheimer’s Disease. N Engl J Med. 2023 Jan 5;388(1):9-21. doi: 10.1056/NEJMoa2212948. Epub 2022 Nov 29. PMID: 36449413.
- Position de la SFPT : https://sfpt-fr.org/vie-de-la-sfpt/communiques-sfpt/2085-l%C3%A9can%C3%A9mab-et-maladie-d-alzheimer-une-d%C3%A9cision-de-l-ema-discutable
- Revue Prescrire, janvier 2025 N° 495, p.22
- Décision de l’EMA : https://www.ema.europa.eu/en/medicines/human/EPAR/leqembi
- https://www.nice.org.uk/news/articles/benefits-of-new-alzheimer-s-treatment-lecanemab-are-too-small-to-justify-the-cost-to-the-nhs
- Donanemab: Conflicts of interest found in FDA committee that approved new Alzheimer’s drug. BMJ 2024;386:q2010. http://dx.doi.org/10.1136/bmj.q2010
- article du site de la SFGG : https://sfgg.org/espace-presse/communiques-de-presse/lagence-europeenne-des-medicaments-autorise-le-leqembi-nous-entrons-vraiment-dans-une-nouvelle-ere-contre-la-maladie-dalzheimer-pr-bruno-vellas/
- https://adex.has-sante.fr/
- https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(24)02075-0/fulltext
- https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(22)02480-1/fulltext
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