La nouvelle obligation de déclaration des dons des industriels de santé aux associations de patients devait marquer une étape importante dans la transparence d’associations qui jouent un rôle croissant dans le système de santé.
Au service de qui sont-elles vraiment ? Cette nouvelle loi aurait pu aider à y voir plus clair. L’analyse par le Formindep de cette première publication par la HAS des déclarations des firmes pharmaceutiques montre qu’elles refusent très majoritairement le jeu de la transparence. Qui s’en étonne ? Mais la Haute Autorité de santé, en choisissant d’interpréter la loi a minima dans le sens de l’intérêt des firmes, porte une part majeure de responsabilité dans le fiasco de son application. Encore une bonne opportunité manquée pour la HAS et les citoyens. Qui sert-elle réellement ?
L’article 74 de la loi HPST du 21 juillet 2009 prévoit que les entreprises commercialisant ou produisant des produits de santé doivent désormais déclarer chaque année le montant des « aides de toute nature » qu’elles ont procurées aux associations de patients, charge à la Haute Autorité de santé de les publier .
Le financement des associations de patients est un sujet sensible. Ressource jugée indispensable par les bénévoles, les dons de l’industrie pharmaceutique sont aussi une source majeure de conflits d’intérêts, qui peuvent influencer à leur corps plus ou moins défendant les agendas des associations. Dans ce contexte, les déclarations que la Haute Autorité de santé a publiées ce 26 octobre étaient attendues. Mais, là encore, il semble que la HAS n’a pas su saisir l’occasion offerte de mettre en place une réelle transparence du financement des associations, vers plus d’indépendance.
L’opaque transparence industrielle
Premier constat : Seules 81 des 900 entreprises françaises de santé recensées par la fédération professionnelle FEFIS se sont pliées à cette déclaration. 90 % ne l’ont pas effectuée. Comme le rappelle la Haute Autorité la déclaration s’impose pourtant à toutes, y compris aux sociétés qui n’auraient aucun lien financier avec les associations de patients. « L’absence de sanction en l’absence de déclaration rend par nature ce texte peu contraignant » regrette la HAS. Christian Lajoux, le président du Leem, et les dirigeants de grands laboratoires proposaient devant la commission d’enquête du Sénat sur la grippe A d’aller plus loin, en prônant la transparence sur les rémunérations versées aux médecins. « M. Christian Lajoux a indiqué qu’un « Sunshine Act » à la française est non seulement envisageable, mais également souhaité par les laboratoires pharmaceutiques. Le faible respect des obligations existantes permet de mesurer la distance qui sépare les actes des intentions affichées. Car les 81 déclarations publiées par la HAS semblent de surcroît, avec un total de 5,1 millions d’euros en 2009, fortement minorer les financements réellement apportés par les laboratoires aux associations de patients.
La HAS veut-elle saborder la loi ?
Les laboratoires n’ont manifestement pas joué le jeu de la transparence. Mais, de nouveau hélas, la Haute Autorité de santé a également joué contre la transparence :
• La HAS a tout d’abord interprété la notion d’ « association de patients » de telle façon qu’elle a écarté de la publication un tiers des associations déclarées par les laboratoires comme bénéficiaires de leurs dons. Au motif que ces associations ne seraient pas des associations de patients mais de soutien aux patients. Un distinguo d’autant moins justifiable que les dons aux associations de professionnels de santé sont eux soumis à déclaration publique depuis 2004 [ [Article R5124-66 du Code de la santé publique ]]. La première bénéficiaire des dons de la firme GlaxoSmithKline, l’association BPCO, financée par ce laboratoire à hauteur de 40 000 euros soit près de 20 % de son budget annuel, a ainsi été occultée par la HAS.
• Surtout, là où la loi prévoit la déclaration « des aides de toute nature », la Haute Autorité redéfinit un périmètre bien plus restreint. Ainsi, les « aides avec contrepartie économique » ne seraient à déclarer que pour « la partie dont la valeur est sans rapport avec le service rendu ». «Le montant de l’aide à déclarer correspond alors à la différence entre le prix de la prestation tel que figurant au contrat et le coût du service évalué au prix du marché » indique le Guide de déclaration fourni par la HAS. Les motivations de la HAS pour opérer une telle distinction entre dons, à déclarer, et rémunérations de services rendus, exonérées de déclaration, restent obscures et peu justifiables. Les liens commerciaux entre laboratoires et associations, qui placent celles-ci dans la position de prestataires de services, sont sans doute plus délétères encore que des liens de « pur mécénat ».
En interprétant ainsi la loi, la HAS en trahit manifestement l’esprit. Pour quoi ? Pour qui ? Pire, elle la vide de l’essentiel de sa substance : en effet, elle laisse aux firmes le soin d’apprécier le « prix du marché » des prestations rendues. Un véritable boulevard ouvert aux sous-déclarations.
La partie immergée de l’iceberg
Afin d’illustrer l’ampleur des financements non publiés, nous avons analysé (tableau 1.) les dons à l’Association Française des Diabétiques (AFD), l’une des plus importantes fédérations d’associations de patients, une des plus financées par l’industrie, mais l’une des rares à pratiquer la transparence sur ses financements industriels. La comparaison des financements que l’AFD déclare sur son site aux publications de la HAS est révélatrice :
• Les sommes publiées par la Haute Autorité de Santé représentent pour certains laboratoires moins d’un centième des sommes réellement versées à l’AFD ! Ainsi la firme Bayer ne déclare-t-elle que 600 euros sur les 67 300 versés, et Dinno Santé n’en déclare que 300 sur les 22 600 versés. Aucune trace des 53 000 euros de financement par Roche Diagnostics.
• Certaines entreprises vont plus loin et n’ont semble-t-il « rien à déclarer » à la HAS bien qu’elles figurent parmi les principales donatrices de l’AFD. Medtronic (68 800 euros versés), comme un donateur de l’AFD sur trois concerné par la loi, n’a soumis aucune déclaration.
• Le montant total publié représente moins de 30 % des sommes que les associations de l’AFD ont reçues des sociétés concernées. Un écart que l’on retrouverait probablement pour d’autres grandes associations, qui disposent d’une revue ou d’un congrès et facturent à ce titre des prestations commerciales (insertions publicitaires, location de stands…).
Tableau 1
Comparaison des sommes publiées par la HAS et des sommes publiées par l’AFD
Encore une occasion ratée
L’attitude de la HAS est d’autant plus paradoxale qu’elle fait ainsi montre d’une plus grande opacité que certaines firmes elles-mêmes. Ainsi la firme GlaxoSmithKline fait figurer sur son site ses dons aux associations, en mentionnant de plus pour chacune la contribution du laboratoire au budget annuel. Une information intéressante, qui permet de classer les associations, des plus satellites ( telle “1000 femmes pour 1000 vies” qui ne sert qu’à promouvoir le vaccin anti-HPV de la firme) aux moins dépendantes du laboratoire. En matière de transparence, la HAS pourrait recevoir des leçons de certaines firmes !
La transparence du financement des associations de patients avait été inscrite dans la loi dès 2007, mais était restée lettre morte faute de décret d’application. Aujourd’hui, 90 % des entreprises refusent de se conformer à la loi enfin en vigueur. Aucune sanction n’est prévue. Les financements publiés occultent une large part des sommes réellement versées, avec la complicité active de la Haute Autorité de Santé. Une impuissance très bien organisée.
La transparence des financements ?
– Outil d’information claire pour les citoyens sur le niveau de dépendance des associations, afin de permettre d’avancer vers plus d’indépendance ?
– Ou bien outil de propagande des firmes pour communiquer sur leur image de “responsabilité sociale” et accroître leurs profits ?
De nouveau et lamentablement la HAS a choisi : l’intérêt des firmes avant l’intérêt général. Caramba ! Encore raté !
Mise à jour du 3 février 2011
La Haute Autorité de Santé s’explique sur son tri des associations déclarées. Ont été écartées des associations caritatives de type ONG, des sociétés dites savantes, des sociétés professionnelles. La qualité d’association de patients a ainsi été estimée sur les critères nécessaires à l’agrément. Il ne s’agit donc pas d’une stratégie délibérée de sa part.
En revanche, la sous-estimation liée aux relations contractualisées entre l’industrie et des associations ne pourra que croître l’an prochain. Pour ce premier exercice les déclarations concernaient en effet des données antérieures à la loi. Pour les exercices à venir, les entreprises auront eu tout loisir de contractualiser au maximum leurs relations afin de les faire échapper au cadre de la loi tel qu’interprété a minima par la HAS. Toute diminution brutale des dons indiquerait la mise en place de ces stratégies de dissimulation. Il n’appartient qu’à la HAS de prévenir ce contournement de la loi en publiant les relations financières de toute nature, y compris contractuelles. Le Formindep reste vigilant et ne manquera pas de rapporter l’an prochain ses observations.[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]
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