: la “douloureuse” reconversion des sportifs
Façonnage de maladie, publicité cachée pour un médicament de prescription, collaboration de professionnels de santé à l’intérêt de firmes pharmaceutiques, communication fondée sur l’émotion, la peur et l’exagération des symptômes, utilisation d’anciennes vedettes du sport en mal de reconversion… Tout y est !
La campagne actuelle “Dos au mur” de la firme Pfizer pour promouvoir un de ses produits sous couvert d’information médicale résume et caricature toute la stratégie de communication grand public des firmes pharmaceutiques, à laquelle collaborent hélas médecins, sociétés savantes, associations de patients, par naïveté, complaisance ou intéressement, avec la complicité des autorités sanitaires. Anne Chailleu, membre du Formindep, elle-même atteinte de cette maladie, décortique avec lucidité, humour et colère cette nouvelle action de promotion pharmaceutique déguisée sous de l’information aux patients. A lire et à faire lire !
Un plan com bien rodé
Spondylarthritique, j’ai pu observer combien ma maladie était devenue à la mode au fur et à mesure que des traitements nettement plus onéreux apparaissaient sur le marché : les sites internet consacrés à la spondylarthrite ankylosante (SPA) se faisaient plus nombreux et plus luxueux, les media se mettaient à rapporter les cas de célébrités atteintes qui jusqu’alors souffraient en silence, du hard rockeur à la joueuse de tennis en passant par l’écrivain. A n’en pas douter, la SPA est en vogue.
La firme Pfizer, numéro 1 mondial de l’industrie pharmaceutique, a choisi Franck Lebœuf, footballeur retraité héros de la coupe du monde de football 1998, pour être le héraut de sa nouvelle campagne « d’information » sur la spondylarthrite, baptisée « Dos au mur », lancée opportunément juste avant la coupe du monde de football 2010. A la suite d’un teasing bienvenu grâce à une émission de télé-réalité, et pendant 5 semaines, les chaînes de télévision hertziennes et sportives sont saturées de spots. Les radios diffuseront 4 messages jusqu’au 13 juin 2010, et une seconde vague est prévue fin septembre début octobre. Un « buzz interactif au ton décalé interpellera tous les internautes via notamment le site Lequipe.fr » indique le plan com. Impossible d’y échapper.
1 – Ratisser large : exagérer la prévalence de la maladie
Malheureusement, ni le spot TV ni 3 des 4 messages radio prévus ne font œuvre d’information : ils n’évoquent aucun symptôme spécifique de la SPA, assimilée dès lors à un banal mal de dos un peu tenace… Aucune mention n’est faite de ce qui signe la SPA : l’horaire nocturne et matinal des douleurs, les douleurs fessières (sacro-iliaques), le dérouillage ou les enthésopathies (une douleur au niveau d’un tendon)… N’importe qui peut dès lors se sentir visé par ces messages (selon la brochure de la campagne, 70 % des Français se plaindraient du dos !). « Même au repos, la douleur vous enflamme ! » compatit Lebœuf. Surtout au repos, devrait-il dire si le message ciblait réellement les spondylarthritiques, mais il est destiné à ratisser bien plus large. Jeunes sportifs qui avez mal au dos, vous l’ignoriez, mais cela « cache peut-être une spondylarthrite ankylosante ». « Parlez-en à votre médecin ! » Les spots invitent l’homme jeune à suivre le ninja Leboeuf sur la voie du Wu Tang sur un site dédié : dosaumur.com
2 – Exagérer la gravité de la maladie
Le site vend une classe de médicaments, les anti-TNF alpha, ici désignés sous le terme plus générique et sympathique de “biothérapie”, plus qu’il n’informe sur la maladie. Deux vidéos sont pour cela mises en avant. La première est un témoignage de patient. Tony a une forme de SPA particulièrement grave, peu représentative par sa sévérité, seules 25 à 30 % des SPA sont graves et invalidantes (source EUROAS, consortium européen de recherche génomique sur la spondylarthrite), et sa résistance aux traitements de première ligne (15 % des patients selon l’avis de la Commission de transparence du 25 février 2004. Les anti-inflammatoires (AINS) et traitements dits de fond sont dès lors présentés comme vieux et inefficaces, au contraire des anti-TNF alpha qui ont bouleversé sa vie. Le cas de Tony existe bel et bien, les anti-TNF alpha peuvent avoir des effets spectaculaires sur certaines spondylarthrites sévères résistantes, mais c’est au prix des défenses immunitaires du patient, augmentant le risque d’infections et de cancers. La Haute Autorité de Santé ne les indique d’ailleurs qu’en cas d’échec des autres traitements, uniquement pour les cas les plus sévères, c’est à dire moins de 1 patient sur 6…
3 – Exagérer l’intérêt du traitement à promouvoir
La seconde vidéo montre l’interview d’un médecin, malheureusement représentatif de ce qu’est aujourd’hui un leader d’opinion en médecine.
Peut-être est ce pour continuer à filer la métaphore sportive que, à l’instar des des footballeurs qui s’expriment devant les logos des sponsors pour lesquels ils jouent, le professeur René-Marc Flipo, rhumatologue au CHU de Lille, secrétaire général de la Société Française de Rhumatologie, est pavoisé de logos Pfizer. Le professeur Flipo s’était déjà illustré en 2002 en vantant pour la firme Merck auprès des médecins l’innocuité du Vioxx, retiré du marché en 2004 après avoir provoqué plus de 30 000 décès aux Etats-Unis. Aujourd’hui, il promeut encore son cousin germain Arcoxia, du même Merck. Mais, pour un laboratoire de compléments alimentaires (LABRHA), il tiendra un discours diamétralement opposé sur les anti-inflammatoires qui «tuent plus que le SIDA». Pour dosaumur.com, il fait la promotion de la maladie et « surtout, surtout » des anti-TNF alpha. Avec une carotte inédite et choquante : « Cette maladie peut donner ce que l’on appelle le remboursement à 100 % ». Si en plus l’essai est gratuit… Pour Pfizer, l’intérêt de cette campagne n’est pas tant d’informer objectivement sur cette maladie, que de coller à un maximum de personnes l’étiquette de spondylarthritiques, et de convaincre les spondylarthritiques nouveaux ou anciens que les anti-TNF alpha sont faits pour eux. Le site organise d’ailleurs le rabattage vers le site biothérapie.fr, qui jusqu’à peu faisait moins mystère de ses intentions, puisqu’il se nommait wyethbiotherapie.fr , du nom du laboratoire Wyeth, producteur de l’anti-TNF alpha le plus vendu au monde : Enbrel.
Genèse d’une philanthropie opportune
Pfizer ne se préoccupait pas jusqu’à présent du sort des spondylarthritiques, car la firme n’avait que la Salazopyrine (sulfasalazine) à leur proposer. Un médicament intéressant mais… pas assez cher (14,40 euros la boîte).
Tout a changé mi-octobre 2009, lorsque le laboratoire a finalisé une fusion historique à 68 milliards de dollars avec le laboratoire Wyeth. Car le médicament phare de Wyeth, son “blockbuster”, est l’anti-TNF alpha Enbrel : un marché de 6,45 milliards de dollars pour l’année 2009 ! Pfizer souhaite un retour sur investissement rapide, et a misé pour cela aussitôt sur la promotion d’Enbrel, car c’est un traitement «à-trois-zé-ros !» : 1 117 euros la boîte de 4 seringues en France, soit près de 15 000 euros l’année de traitement !
Une première campagne fin 2009, encore sous le nom de Wyeth, quasi identique à l’actuelle car conçue par la même agence, a ciblé dans un premier temps la polyarthrite rhumatoïde et le segment des femmes seniors, avec Claude Brasseur en tête de gondole, et toujours l’indispensable et désintéressée caution de la Société Française de Rhumatologie. Pfizer s’attaque aujourd’hui à la spondylarthrite et au marché des hommes jeunes. Nul doute que la prochaine campagne ciblera le psoriasis et le rhumatisme psoriasique chez les enfants et adolescents via leurs mamans ménagères de moins de 50 ans, autre indication porteuse, mais qui reste à développer, d’Enbrel.
On peut regretter que la Société française de rhumatologie (SFR) se fourvoie dans ce type de campagnes. Car, officiellement, cette campagne est à son initiative… Mais il est clair que c’est le payeur Pfizer qui a conservé la haute main sur le contenu du message comme la gestion des données. Si dans les mentions légales, la SFR est présentée comme “webmestre” du site, c’est bien à une employée de Pfizer que l’internaute devra s’adresser pour accéder à ses données personnelles collectées via le site…
Tout n’est sans doute pas à jeter dans cette campagne, mais ce qui est mis en avant et retenu (spots TV et radio, vidéos du site) est bien de la promotion, tandis que de vrais morceaux d’information s’invitent en passagers quasi clandestins, au fond d’un texte austère. Au final, la campagne, comme toute bonne entreprise de “disease mongering“, alias “façonnage de maladie”, visant à créer ou à accroître le marché d’un médicament :
- exagère la fréquence de la SPA en entretenant la confusion avec un banal mal de dos tenace,
- exagère la gravité de la maladie : la SPA n’est en réalité sévère que dans 25 à 30% des cas,
- promeut un traitement réservé à 15 % de cas très spécifiques… en faisant l’impasse sur ses effets indésirables qui peuvent être importants (infections opportunistes, risque accru de cancer).
Grâce à cette campagne, les malades spondylarthritiques n’auront peut-être plus à épeler le nom de leur maladie, devenue star, mais ils n’en sortiront pas gagnants… Quand la pathologie sera devenue trop coûteuse du fait de l’abus de traitements ni nécessaires ni adaptés, des patients pourront se voir refuser le traitement le plus adéquat. Et quand le terme de SPA sera galvaudé, quand la moindre dorsalgie sera étiquetée SPA débutante, nous serons renvoyés à ce que beaucoup d’entre nous ont trop connu: le statut de malades imaginaires.
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