En plein Octobre Rose, les messages de sensibilisation sont nombreux… et souvent à sens unique. Fidèles à l’esprit du Formindep, nous proposons un regard complémentaire, indépendant et sourcé pour que chacune puisse décider en connaissance de cause.

Nous relayons ici l’analyse de l’association Cancer-Rose sur le surdiagnostic et ses conséquences — sujets encore trop peu évoqués dans les campagnes. L’objectif n’est ni de promouvoir ni de décourager le dépistage, mais de rendre visibles bénéfices, limites et risques (dont le surtraitement), afin que le choix soit personnel, informé et respecté, en accord avec les valeurs et la situation de chaque femme.

Parce que la santé publique mérite mieux que des slogans, place aux faits, aux sources et au débat éclairé.

L’association Cancer-Rose a mis à disposition un outil d’aide à la décision interactif. Il permettra à toutes et tous d’avoir une estimation personnalisée des bénéfices escomptés (les décès évités) et des risques (les surdiagnostics et les fausses alertes) auxquels elles seront exposées en participant au dépistage du cancer du sein.

Pour les professionnel.les de la santé, l’association a créé une formation en ligne interactive et de qualité pour leur permettre d’avoir toutes les clés en main pour informer correctement les femmes concernant le dépistage du cancer du sein. Ce programme est proposé dans le cadre de l’ANDPC.

Nous vous le conseillons fortement !

En 2011, nous publions un article sur le surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein, encore lisible ici.

Depuis la date de parution de cet article, d’autres études sur le surdiagnostic ont été publiées pour chercher à le quantifier, ce qui est difficile de nos jours dans la mesure où nous n’avons plus, dans aucun pays où on dépiste, de cohorte comparative « pure » (au sens épidémiologique du terme), c’est à dire de groupe de femmes sans aucun dépistage pour pouvoir faire des comparaisons par rapport à des groupes dépistés.

Néanmoins une évaluation récente[1], en 2024, a permis de revoir l’estimation du surdiagnostic à la hausse.

Les auteurs apportent les conclusions suivantes:

Environ 18,8 % de tous les cancers diagnostiqués chez les femmes invitées au dépistage, 25,1 % des cancers détectés chez les femmes qui se font dépister et 35,1 % des cancers détectés par le dépistage constitueraient un surdiagnostic.
Ce qui signifie qu’un cancer sur trois détectés serait un cancer de diagnostic inutile.

Cette évaluation des auteurs repose sur le Programme de dépistage du cancer du sein du Service national de santé (NHSBSP) qui a débuté en 1988 en Angleterre, dans lequel les femmes sont invitées tous les trois ans, Il est très probable que le surdiagnostic serait plus élevé si l’invitation au dépistage avait lieu tous les ans ou tous les deux ans.

Le surdiagnostic est donc une réalité comptable dont les femmes doivent être informées, notamment au vu de bénéfices du dépistage actuellement de plus en plus incertains. La baisse de mortalité par cancer du sein que nous connaissons depuis les années 90 est majoritairement imputable aux améliorations thérapeutiques, ce qui amenuise l’intérêt du dépistage par rapport aux risques qu’il fait encourir.[2] [3]

Car en effet, le corollaire du surdiagnostic est le surtraitement qui entraîne des conséquences concrètes et  tangibles pour les femmes.
Ce sont des syndromes anxio-dépressifs. Dans l’année qui suit le diagnostic d’un cancer, une réaction anxio-dépressive et un traitement psychotrope sont au moins 10 fois plus fréquents que dans la population générale. [4] Au cours de la même période, chez les femmes ayant un cancer du sein, les suicides sont multipliés par 3, voire par 4. [5]
Dans une enquête française, plus de la moitié des personnes ont consommé un anxiolytique et/ou un antidépresseur dans l’année suivant un diagnostic de cancer. La seconde année, elles étaient encore 4 sur 10 à consommer ces médications. [6]

La qualité de vie physique est dégradée chez plus de 55% des femmes atteintes de cancer du sein.
Cette dégradation touche en particulier les femmes les plus jeunes, les moins diplômées, sans emploi, aux revenus les plus faibles, et atteintes de comorbidité. Elle est aussi liée aux traitements et à l’évolution péjorative. [7]
Concernant le retentissement au travail, la majorité des femmes atteintes d’un cancer du sein ont au moins un arrêt de travail de longue durée.
Au bout de deux ans, plus de 30/% de celles qui sont âgées de plus de 50 ans n’ont pas repris le travail. En outre, parmi celles qui avaient un travail à temps plein, plus de 20% n’ont repris qu’à temps partiel. [8]
Deux ans après l’annonce du diagnostic, plus de 25% des personnes ayant un cancer du sein diagnostiqué se trouvent en-dessous du seuil de pauvreté, contre 14% en population générale. [9]

Dans une étude française, deux ans après le diagnostic de cancer du sein, plus de la moitié des femmes déclarent une diminution du désir sexuel. Elles signalent aussi une baisse de la fréquence des rapports et de la satisfaction sexuelle. [10]
Ces troubles sont liés à la fatigue générale, et aussi à une diminution de l’image de soi liée à la mastectomie, à la perte des cheveux, aux prises ou pertes de poids et à des difficultés de communication au sein du couple.[11]

Les retentissement sur les pathologies cardiaques ne sont pas négligeables. [12] Dans les trois mois qui suivent le diagnostic d’un cancer du sein, on observe une augmentation :
– des infarctus du myocarde
– des accidents vasculaires cérébraux – des thromboses et embolies

Une étude française met en évidence une augmentation significative des hémopathies chez les femmes traitées. [13]
Les femmes françaises participant à l’étude ayant eu un cancer du sein au cours de la dernière décennie ont 3X plus de probabilité de développer une leucémie myéloïde aiguë et cinq fois plus de développer un syndrome myélodysplasique que les femmes de la population générale.

Concernant les traitements chirurgicaux, dans tous les essais comparatifs randomisés où les mastectomies et tumorectomies ont été étudiées, leur nombre a été augmenté de manière statistiquement significative chez les femmes des groupes dépistage.
Cette augmentation a varié de +28% à +48%, en moyenne +35% . [14]
L’étude française réalisée par le collectif Cancer aboutit à une augmentation de 24% du nombre de tumorectomies, sans diminution du nombre de mastectomies totales.
Aux USA, dans une grande étude épidémiologique, sur plus de 16 millions de femmes, une augmentation de 10% du nombre de femmes se soumettant au dépistage aboutit à une augmentation de 24% du nombre de tumorectomies, sans diminution du nombre de mastectomies totales. [15] On ne peut donc prétendre aux femmes que le dépistage entraîne un « allègement » thérapeutique.

Concernant les radiothérapies , dans les essais comparatifs randomisés, on a observé une augmentation significative de 32% des radiothérapies, ce qui ne peut s’expliquer que par le surdiagnostic. [16]
Dans certains cancers du sein, une radiothérapie permet une diminution de la mortalité, mais dans d’autres situations, elle permet seulement une diminution des récidives locales. [17]

Dans une méta-analyse des essais randomisés des différentes sortes de radiothérapies et de chirurgies des cancers du sein, une augmentation statistiquement significative de mortalité par cancer broncho-pulmonaire (+78%) et par insuffisance cardiaque (+23%) a été observée chez les femmes ayant eu une radiothérapie. [18]

A partir de ces chiffres, un auteur a calculé que pour chaque mort par cancer du sein évitée par le dépistage, il y avait probablement entre une et trois morts imputables aux effets indésirables de la radiothérapie. [19]
De nouvelles techniques permettent de réduire ces risques mais ils ne sont pas nuls et le réel niveau de risque actuel n’est pas connu. [20]

Le surdiagnostic est donc un diagnostic inutile pour la femme, car il s’agit de la détection d’une lésion cancéreuses sous le microscope, qui, non diagnostiquée, n’aurait jamais impacté sa vie. Le surtraitement qui en découle est un traitement tout aussi inutile, dont les conséquences sont la matérialisation pour une femme, dans sa chair, de cet effet indésirable majeur du dépistage mammographique.

Références

[1] Philippe Autier, Romain Ould Ammar, Maria Bota, The influence of breast screening on breast cancer incidence in England: observational study based on cancer registries and bulletins of the NHS Breast Screening Programme, European Journal of Public Health, Volume 34, Issue 4, August 2024, Pages 812–817, https://doi.org/10.1093/eurpub/ckae069

[2] voir : https://cancer-rose.fr/2023/06/14/risque-de-deces-par-cancer-du-sein-en-baisse-depistage-ou-pas/

[3] Bretthauer M, Wieszczy P, Løberg M, et al. Estimated Lifetime Gained With Cancer Screening Tests: A Meta-Analysis of Randomized Clinical Trials. JAMA Intern Med. 2023;183(11):1196–1203. doi:10.1001/jamainternmed.2023.3798

[4] Desplenter F et coll. « Incidence and drug treatment of emotional distress after cancer diagnosis: a matched primary care case-control study » . British Journal of Cancer, 2012 ; 107 (9) : 1644-1651.

[5] Fang F et coll. « Suicide and cardiovascular death after a cancer diagnosis » . N Eng J Med, 2012 ; 366 : 1310-1318.

[6] Cortaredona S et Verger P « La consommation de médicaments psychotropes approchée par les remboursements ». In « La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après cancer », collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014, 454 pages

[7] Bouhnik A-D et Preau M « La qualité de vie ». In « La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après cancer », collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014, 454 pages

[8] 1-Dumas A et coll. “Impact of breast cancer treatment on employment: results of a multicenter prospective cohort studyu (CANTO)” J Clin Oncol 2019 (38) : 734-743. DOI https://doi. org/10.1200/JCO.19. 01726 consulté le 10 mars 2020. 2- Paraponaris A et coll. « Arrêt maladie après le diagnostic de cancer et retour à l’emploi ». In « La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après cancer », collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014, 454 pages. 3- Paraponaris A et coll. « Situation professionnelle deux ans après le diagnostic de cancer ». In « La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après cancer », collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014, 454 pages.

[9] Paraponaris A et coll. « L’impact du cancer sur le revenu du ménage ». In « La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après cancer », collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014, 454 pages.

[10] Bouhnik AD et Mancini J « Sexualité, vie affective et conjugale ». In « La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après cancer », collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014, 454 pages.

[11] 1- Brédart A et coll. “Prevalence and associated factors of sexual problems after early-stage breast cancer treatment: results of a French exploratory survey” Psycho Oncol 2011, 20 (8) : 841-850. DOI https://doi.org/10.1002/pon.1789. 2- Fobairs P et coll. “Body image and sexual problems in young women with breast cancer” Psycho Oncol 2006, 15 : 579-594. DOI https://doi.org/10.1002/pon.991

[12] 1-Fang F et coll. « Suicide and cardiovascular death after a cancer diagnosis » . N Eng J Med, 2012 ; 366 : 1310-1318. 2- https://acsjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/cncr.32648. Causes of death after breast cancer diagnosis: A US population-based analysis Ahmed M. Afifi MBBCh, Anas M. Saad MD, Muneer J. Al-Husseini MD, Ahmed Osama Elmehrath, Donald W. Northfelt MD, Mohamad Bassam Sonbol MD

[13] doi: 10.1001/jamanetworkopen.2018.7147. Evaluation of the Incidence of Hematologic Malignant Neoplasms Among Breast Cancer Survivors in France-
Marie Joelle Jabagi, PharmD, MPH; Norbert Vey, MD, PhD; Anthony Goncalves, MD, PhD; Thien Le Tri, MSc; Mahmoud Zureik, MD, PhD; Rosemary Dray-Spira, MD, PhD

[14] 1-Gøtzsche PC et Jørgensen KJ “Screening for breast cancer with mammography” Cochrane Database of Systematic Reviews 2013, Issue 6. Art. No.: CD001877. DOI: 10.1002/14651858.CD001877.pub5. 2-Robert V et coll. “Le dépistage organisé permet-il réellement d’alléger le traitement chirurgical des cancers du sein ?” Médecine 2017, 13 (8) : 579-594.

[15] Harding C et coll. “Breast caner screening, incidence, and mortality across US counties” JAMA 2015, 175 (9) : 1483-1489 . Doi: 10.1001/jamainternmed.2015.3043, dernier accès le 20 02 2020.

[16] Gøtzsche PC et Jørgensen KJ “Screening for breast cancer with mammography” Cochrane Database of Systematic Reviews 2013, Issue 6. Art. No.: CD001877. DOI: 10.1002/14651858.CD001877.pub5.[17] 1- Prescrire rédaction « Radiothérapie et cancer du sein non métastasé » Rev Prescrire 2013 ; 33 (359) : 531. 2- Prescrire rédaction « Traitement des carcinomes canalaires in situ du sein.  » Rev Prescrire 2013 ; 33 (359) : 675-681

[18] Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTG) “Effects of radiotherapy and of differences in the extent of surgery for early breast cancer on local recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised trials“ Lancet 2005;366:2087-

[19] Baum M “Harms from breast cancer screening outweigh benefits if death caused by treatment is included” Br Med J 2013 ; 346 : f385. Doi: 10.1136/bmj.f385 (23 Janv 2013)

[20] Piroth MD et coll. “Heart toxicity from breast cancer radiotherapy“ Strahlenther Onkol 1-12. Doi: 10.1007/s00066-018-1378-z Dernier accès 05 04 2020.