Mécanismes psychologiques de l’influence

Les services marketing des firmes pharmaceutiques utilisent des stratégies basées sur la psychologie du comportement, discipline ignorée des professionnels de santé. Les mécanismes à l’œuvre conduisent à des comportements conditionnés, c’est-à-dire involontaires et inconscients, de telle sorte que les professionnels restent constamment persuadés qu’ils conservent leur libre arbitre.

La réciprocité. Elle résulte d’une norme sociale universelle dont le moteur est le sentiment inconfortable d’être redevable lorsque nous recevons un cadeau. La tranquillité d’esprit ne revient que lorsque l’équilibre est rétabli. La seule voie possible pour payer en retour ce qu’une firme nous a offert est de favoriser son intérêt dans nos pratiques.

Engagement et cohérence. Après avoir exprimé notre accord à une demande, même si c’est pour mettre fin à un entretien, la probabilité que nous agissions conformément est très grande. C’est une des missions des visiteurs commerciaux qui vont tenter d’obtenir cet engagement par différents moyens. La relation de type amical qu’ils développent avec tous les médecins qu’ils rencontrent va rendre très difficile le refus d’une demande de première prescription. Cela fonctionne de manière remarquable et explique pourquoi les derniers médicaments d’une classe thérapeutique sont les plus prescrits, bien qu’ayant le niveau de preuve le plus faible. Après un engagement, les individus le justifient en restant cohérents avec la nouvelle pratique, c’est-à-dire en la pérennisant.

L’argument d’autorité. Le principe d’autorité est la confiance spontanée donnée à un expert reconnu dans sa discipline. Cela limite tout esprit critique sur l’information fournie. Les firmes pharmaceutiques rémunèrent les leaders d’opinion pour relayer leurs arguments marketing dans cette optique.

Le conformisme. Nous reproduisons préférentiellement les comportements majoritaires du groupe auquel nous appartenons. Se démarquer demande un effort particulier notamment de justification auprès du groupe. Adopter un comportement bienveillant vis-à-vis de l’industrie est la norme. S’en éloigner, par exemple en refusant de rencontrer les visiteurs commerciaux ou en refusant de participer aux staffs sponsorisés, est coûteux. Le professionnel de santé est sommé d’argumenter sa position de manière répétée et doit faire face à l’incompréhension voire à l’hostilité des confrères.

Tous ces mécanismes conduisent à prescrire des médicaments sur des critères autres que le seul intérêt des patients ce qui est contraire à la vision légitime qu’a le médecin de sa mission. Ce paradoxe qu’il faudra bien gérer d’une manière ou d’une autre à cause de l’inconfort qui en résulte, s’appelle la dissonance cognitive.

Comment résoudre ce paradoxe ?

La remise en cause de ses pratiques serait le plus rationnel. Mais la majorité des médecins croit ne pas être influençable tandis qu’ils pensent que leurs collègues le sont. Étonnamment, informer sur les mécanismes de l’influence conduit souvent à renforcer cette croyance.

Le conflit interne est alors résolu :

  • soit en niant ou en minimisant la dissonance (Mon choix thérapeutique n’est pas très différent des recommandations).
  • soit par construction d’un raisonnement a posteriori permettant de concilier les 2 cognitions (Il est nécessaire que j’essaye ce médicament pour me faire ma propre opinion).

Les services marketing de l’industrie pharmaceutique ont pour rôle d’influencer les pratiques médicales. Tous les mécanismes décris ci-dessus sont à la base des stratégies qu’elle met en œuvre et décrites dans le chapitre qui suit.

Pour une description plus détaillée de ces mécanismes :

Sah S, Fugh-Berman A. « Physicians under the influence: social psychology and industry marketing strategies. » J Law Med Ethics. 2013 Fall:41(3):665-72. 

Dana Jason. « How Psychological Research Can lnform Policies for Dealing with Conflicts of lnterest in Medicine » in Conflict of lnterest in Medical Research, Education, and Practice p.358-374, National academic press. (www.nap.edu)