Les pratiques médicales devraient être inspirées par les données de la science médicale, je fais le constat quotidien du contraire. Aujourd’hui exaspéré j’ai pris une heure de mon temps et de celui de ma famille pour écrire ce courrier à un médecin cardiologue…
Cher confrère,
Vous m’adressez un courrier concernant monsieur XX âgé de 50 ans, aide soignant dans votre service de cardiologie, pour m’informer du bilan en cours faisant suite à la découverte d’une extrasystolie.
En fin de lettre vous m’informez lui avoir remis un bilan biologique de dépistage comprenant en particulier un dosage du PSA. Je ne sais si vous avez conscience des conséquences d’une telle prescription dans l’hypothèse d’un résultat positif ?
En effet la valeur prédictive positive du PSA en situation de dépistage est de 30% ce qui veut dire que 70% des résultats anormaux des PSA ne correspondant pas à un cancer 1)HAS – Recommandations pour la pratique clinique – Éléments d’information des hommes envisageant la réalisation d’un dépistage individuel du cancer de la prostate – Document à l’usage des professionnels de santé – Argumentaire – Septembre 2004; p 49., et que 30% d’entre eux correspondent à un cancer histologique dont le profil évolutif est inconnu : beaucoup d’hommes vivent âgés et meurent sans avoir jamais su qu’ils étaient porteurs de ce cancer. Inversement, certains de ces cancers, plus rares, évoluent gravement et rapidement.
Pourtant, ces « faux positifs » peuvent avoir pour conséquences des examens douloureux, parfois dangereux, inquiétants et inutiles. Les urologues préconisent alors une douzaine de biopsies trans-rectales.
De plus, le traitement du cancer de la prostate, comportant chirurgie et/ou radiothérapie, est lourd et fréquemment invalidant (incontinence et impuissance dans 20 à 50% des cas). Un prix lourd à payer pour une affection souvent non évolutive.
Il n’a d’ailleurs jamais été démontré qu’un dépistage de masse du cancer de la prostate apportait un bénéfice aux populations auxquelles il était destiné. Des études pour juger du résultat du dépistage sont en cours, les résultats en seront disponibles d’ici peu.
De très nombreux organismes 2)National Cancer Institute, US Preventive Services Task Force, American College of Physicians, International Union Against Cancer, World Health Organization, Canadian Task force on the Periodic Health Examination, Canadian Cancer Society, Canadian Urological Society, British Columbia Office of Health Technology Assessment, Conférences de Consensus en Suède en France et au Canada. aboutissent à ces conclusions.
Les arguments souvent avancés pour défendre le dépistage ne sont pas toujours suffisants. En effet, l’étude de la distribution des stades de diagnostic, l’étude de la survie, l’étude historique de l’incidence de la maladie ne sont pas des critères suffisants pour évaluer l’effet d’un programme de dépistage : il existe de nombreux biais qui ne permettent pas de conclure à l’efficacité du dépistage sur ces seules données :
- le biais d’avance au diagnostic : le diagnostic est fait plus tôt grâce au dépistage et malgré une survie absolue identique, le temps qui sépare le diagnostic du décès est plus long dans le groupe dépisté.
- le biais de sélection : les cancers à évolution rapide se révèlent dans l’intervalle qui sépare deux vagues de dépistage (cancer d’intervalle). Le dépistage permettrait de diagnostiquer les meilleurs cas.
- le biais de volontarisme : les sujets qui participent au dépistage sont plus soucieux de leur santé que les sujets qui le refusent.
- le biais de surdiagnostic : correspond au diagnostic de cancers qui ne se seraient pas manifestés du vivant du sujet atteint. Cette question est particulièrement posée dans le cancer de la prostate.
Pour ces raisons, l’effet du dépistage ne peut être apprécié que sur la comparaison des taux de mortalité dans des populations testées et témoin dont le mode d’attribution (dépistage ou non) est tiré au hasard. Des études sont en cours. En attendant il n’existe aucune preuve d’un bénéfice pour le patient d’un tel dépistage.
Vous m’indiquez que le résultat du dosage de PSA se situe dans les normes, c’est donc une chance pour Monsieur XX qui n’aura donc pas à vivre une cascade d’explorations et de surveillances qui aurait été lourde de conséquence pour lui et son entourage.
En France une association de professionnels de santé et de patients : le Formindep 3)dossier du Formindep sur le dépistage du cancer de la prostate , l’URMEL de la Réunion 4)site de l’URMEL de la Réunion : DDI: Dé-désinformation avec un dossier sur le dépistage du cancer de la prostate se mobilisent pour promouvoir une information médicale indépendante entre autre au sujet du dépistage de cancer de la prostate dans l’intérêt des patients.
En attente des résultats des études en cours, quoiqu’en dise l’AFU, il n’y a pas de place ni pour un dépistage de masse, ni pour un dépistage individualisé systématique du cancer de la prostate.
Je vous remercie de l’attention que vous aurez porté à mon courrier et vous prie de croire en l’expression des sentiments cordiaux
Docteur Philippe MASQUELIER, médecin généraliste
References
↑1 | HAS – Recommandations pour la pratique clinique – Éléments d’information des hommes envisageant la réalisation d’un dépistage individuel du cancer de la prostate – Document à l’usage des professionnels de santé – Argumentaire – Septembre 2004; p 49. |
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↑2 | National Cancer Institute, US Preventive Services Task Force, American College of Physicians, International Union Against Cancer, World Health Organization, Canadian Task force on the Periodic Health Examination, Canadian Cancer Society, Canadian Urological Society, British Columbia Office of Health Technology Assessment, Conférences de Consensus en Suède en France et au Canada. |
↑3 | dossier du Formindep sur le dépistage du cancer de la prostate |
↑4 | site de l’URMEL de la Réunion : DDI: Dé-désinformation |
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