La question de l’indépendance de la formation médicale suscite un intérêt grandissant dans les pays européens. En effet, après la France et l’Allemagne (1,2),  c’est au tour de la Belgique de se doter de son premier classement des facultés de médecine en matière d’indépendance. Si l’influence de l’industrie pharmaceutique reste omniprésente (3), une prise de conscience est engagée.

Ce classement est le résultat d’une collaboration entre une équipe de médecins membres de l’association GRAS (Groupe de Recherche et d’Action pour la Santé) et des chercheurs en sciences politiques du centre Spiral de l’Université de Liège. Ils se sont inspirés du premier classement français réalisé par le Formindep dont ils ont repris la méthodologie et adapté les critères au contexte de la formation initiale belge. A l’instar de la première étude du Formindep, leurs résultats ont été publiés dans la revue médicale internationale PLoS ONE (4).Ces résultats démontrent l’absence de politique claire d’encadrement des conflits d’intérêts (CI) au niveau des facultés de médecine belges. Le classement pointe également le manque de préparation des étudiants aux interactions avec l’industrie pharmaceutique.

Le classement (http://gras-asbl.be/classement-des-universites/) concerne les six premières années d’enseignement, jusqu’au concours de spécialisation et porte sur les dix facultés de médecine présentes en Belgique: cinq néerlandophones (UAntwerpen, UGent, UHasselt, KUL et VUB) et cinq francophones (UCL, ULB, ULiège, UMons et UNamur). Sur la base de 15 critères, les chercheurs ont attribué un score et une note à chaque faculté. Ces critères évaluent les dispositifs mis en places par les facultés afin de sensibiliser les étudiants et de limiter leurs contacts avec l’industrie pharmaceutique et ce, pour l’année 2019.

Les résultats de l’étude traduisent une faible prise en compte de la problématique de l’indépendance par les autorités académiques au sein des facultés de médecine de Belgique. En effet, seules 4 facultés sur 10 disposent de politiques d’encadrement des CI mais celles-ci restent très limitées, non restrictives et largement insuffisantes. Les meilleurs élèves sont l’UGent et l’UCL avec un score général de 3 points sur un total de 30. Les suivantes sont la KUL et l’UHasselt avec un score de 1 point. Seule l’UCL remplit partiellement le critère évaluant l’existence d’un élément du curriculum abordant la question des conflits d’intérêts. Pour les 6 autres facultés, les chercheurs n’ont pu obtenir d’information pertinente sur un éventuel encadrement des CI. En outre, le Collège des Doyens de médecine flamands (représentant les cinq facultés flamandes) a notifié aux auteurs son refus de prendre part à la réalisation du classement.

Il faut néanmoins souligner qu’il existe des initiatives isolées, portées par des enseignants ou des membres du personnel sensibilisés à la question de l’indépendance et soucieux d’aiguiser l’esprit critique de leurs étudiants. Cependant, celles-ci ne bénéficient pas d’un réel soutien institutionnel qui leur permettrait de constituer une base de formation solide pour tous les étudiants.

Dans un récent article paru dans l’International Journal of Health Policy and Management, Fabbri et al. (5) ont rassemblé les études existantes sur les politiques de gestion de conflits d’intérêts dans les facultés de médecine et les hôpitaux, ce qui n’avait pas été fait à ce jour. Pour la France, ce sont les deux publications PLoS One du Formindep qui sont citées (1,6). Ils ont également rappelé l’existence de politiques strictes d’encadrement des conflits d’intérêts aux États-Unis. Ceci est en partie dû à l’implication de l’American Medical Student Association (AMSA) qui a multiplié les initiatives en faveur d’une formation médicale plus indépendante. Pendant près de dix ans depuis 2007, l’association a mis à jour annuellement son classement des facultés, l’AMSA scorecard (7), ce qui a eu pour effet d’inciter les facultés de médecine américaines à mettre en place des dispositifs d’encadrement des conflits d’intérêts pour protéger leurs étudiants de l’influence des firmes pharmaceutiques. Les scores obtenus se sont améliorés au fil des classements avec 25,9% des facultés obtenant la meilleure note en 2013 contre seulement 4,7% en 2008.

Cet exemple montre l’importance de maintenir des initiatives comme ces classements en raison de l’impact effectif qu’ils peuvent avoir sur la réalité de la formation des futurs médecins. Ils permettent de faire exister la problématique des CI et de l’influence au sein du débat public et de faire émerger une conscience auprès des praticiens, des décideurs politiques et de la société civile. En Belgique, les étudiants de médecine n’ont d’ailleurs pas attendu la publication de ce classement pour s’emparer de la question de l’influence. Le BeMSA (Belgian Medical Student Association) a publié, en 2019, une prise de position rappelant aux autorités médicales, politiques et académiques l’importance d’œuvrer en faveur d’une formation médicale plus indépendante.

Du chemin reste donc à parcourir pour les facultés belges mais les exemples d’initiatives internationales existent. Ceux-ci peuvent servir de base de travail pour développer une culture durable de l’indépendance et inscrire la Belgique dans ce mouvement général. Les associations étudiantes ont pris conscience de l’importance d’une telle démarche. Elles doivent rester attentives à la mise en œuvre de ce processus afin de constituer le réel moteur de ce changement.

 

  1. Scheffer P, Guy-Coichard C, Outh-Gauer D, Calet-Froissart Z, Boursier M, Mintzes B, et al. (2017) Conflict of Interest Policies at French Medical Schools: Starting from the Bottom. PLoS ONE 12(1): e0168258
  2. Grabitz P, Friedmann Z, Gepp S, Hess L, Specht L, Struck M, et al. Quantity and quality of conflict of interest policies at German medical schools: a cross-sectional study and survey. BMJ Open. sept 2020;10(9):e039782.
  3. Salmane-Kulikovska I, Poplavska E, Mezinska S, Dumpe V, Dauvarte H, Lazdina L, et al. Medical, pharmacy and nursing students in the Baltic countries: interactions with the pharmaceutical and medical device industries. BMC Med Educ. déc 2020;20(1):105.
  4. Bechoux L, De Vleeschouwer O, Vanheuverzwijn C, Verhegghen F, Detiffe A, Colle F, et al. Conflict of interest policies at Belgian medical faculties: Cross-sectional study indicates little oversight. Grundy Q, éditeur. PLOS ONE. 10 févr 2021;16(2):e0245736.
  5. Fabbri A, Hone KR, Hróbjartsson A, Lundh A. Conflict of Interest Policies at Medical Schools and Teaching Hospitals: A Systematic Review of Cross-sectional Studies. Int J Health Policy Manag. 3 mars 2021;1.
  6. Guy-Coichard C, Perraud G, Chailleu A, Gaillac V, Scheffer P, Mintzes B (2019) Inadequate conflict of interest policies at most French teaching hospitals: A survey and website analysis. PLoS ONE 14(11): e0224193
  7. Carlat DJ, Fagrelius T, Ramachandran R, Ross JS, Bergh S. The updated AMSA scorecard of conflict-of-interest policies: a survey of U.S. medical schools. BMC Med Educ. déc 2016;16(1):202.