Un produit, la flibanserine, tente pour la 3ème fois d’être approuvé comme traitement de la baisse de libido chez les femmes. Une coalition d’associations féminines, ‘Even the score’   lance une violente campagne contre la FDA, l’agence du médicament américaine, pour qu’elle approuve cette fois ce médicament promu comme le « Viagra féminin ».

Selon ces associations, et leur pétition,  le fait que 26 traitements de l’impuissance aient été approuvés et pas un seul contre la baisse de libido féminine n’a qu’une explication: la FDA est sexiste!

La FDA risque de rejeter le dossier, car elle aurait peur de voir le pays envahi de hordes d’amazones avides de sexe, bouleversant l’ordre établi. Diantre !

Vous voilà tout émoustillé-e-s par cette perspective ? Las, il va falloir briser quelques fantasmes. De torrents de cyprine, il n’y aura point. Nada, que dalle. S’il n’y a pas de traitement du manque de libido féminin approuvé, c’est uniquement parce qu’aucun n’a été jugé convaincant jusqu’ici. Et instrumentaliser la cause féministe n’y changera rien.

D’abord, le «Viagra féminin » n’a rien à voir avec  le Viagra. Le Viagra se contente de gorger de sang des corps caverneux. Pour le désir on repassera. L’ambition des candidats Viagra féminins est autrement plus grande: accroître la libido.

Genèse du Viagra rose

La flibanserine est un médicament psychiatrique. Un vieil antidépresseur dont le concepteur, le laboratoire Boehringer Ingelheim ne savait trop que faire. Des antidépresseurs, il y en a pléthore, et celui-ci ne se distinguait dans les essais sur la dépression sévère ni par son efficacité ni par sa sûreté.

En 1998, Pfizer lance le Viagra avec une efficacité saisissante sur l’érection de son chiffre d’affaires. Dans le but de doubler le gain, le laboratoire présente à la FDA une demande d’extension d’AMM à la « dysfonction sexuelle féminine » (FSD), concept qu’il a  opportunément inventé et promu pour élargir le marché. La baisse de libido chez les femmes devint officiellement une maladie dotée d’un acronyme suffisamment long pour que le trouble paraisse décidément très sérieux, le HSDD (trouble du désir sexuel hypoactif), dans la version IV du fameux DSM. Le très controversé catalogue des maladies psychiatriques, dans lequel on trouve tout, comme à la Samaritaine. Le disease mongering est en marche. Le Pr Leonore Tiefer, psychiatre,  en a fait une remarquable analyse à l’époque.

Boehringer Ingelheim tente de prendre le train en marche. L’antidépresseur est in peto repeint en rose : le Viagra est bleu, le « Viagra féminin » sera évidemment « rose girly ».

Et le laboratoire de se lancer à l’assaut des agences du médicament pour faire approuver son ex-antidépresseur, nouveau traitement de la nouvelle maladie.  Mais la FDA n’en veut pas. Car l’ennui de la flibanserine, c’est surtout…son manque d’efficacité. Lors des essais, la flibanserine aurait permis aux femmes d’avoir en moyenne  0.8 « événement sexuel satisfaisant » de plus par mois par rapport au placebo. 0.8 rapport en plus par mois avec sa moitié, ça ne fait pas la moitié d’une solution. Par rapport au placebo, la flibanserine a fait grimper  les femmes à l’échelle du désir…de 2 échelons (l’échelle du désir contrairement à celle de Richter compte très officiellement… 84 échelons sachez-le). Il cause des vertiges et nausées suffisants pour avoir fait abandonner 15% des femmes au cours de l’essai, a un effet sédatif et accroît le risque de dépression. Enfin, alors qu’il est préconisé en prise quotidienne sur des années, il n’a été évalué que sur de très courtes périodes. Contre un placebo bien sûr, personne n’ayant pensé à le comparer à de aphrodisiaques incontestables comme les chansons de Frankie Vincent, la lecture d’un nanar d’E.L. James , ou un-e partenaire capable de repasser une chemise. Enfin, bon à savoir: avec l’alcool, le désinhibiteur le plus populaire au monde, il peut provoquer des syncopes. Vu comme ça, il tient plutôt du tue-l’amour…

Dépité, Boehringer Ingelheim se défait de son médicament auprès d’une start-up, Sprout Pharmaceuticals (!) qui tente un coup de poker: redéposer le dossier, tout d’abord à l’identique, sans mener de nouvelle étude.  Retoqué.

Quand on n’a pas de nouvelle donnée d’efficacité,  il faut bien trouver un autre argument. Et c’est alors qu’est opportunément apparu l’argument féministe.  Car derrière la coalition féministe, la pétition à la FDA, les communiqués de presse enflammés… on retrouve le laboratoire Sprout.

Astroturfing « féministe » 

C’est une technique qui porte un drôle de nom. En anglais  américain un mouvement citoyen, venu de la base est un ‘grassroot movement’  (littéralement un mouvement enraciné dans l’herbe). Une bonne campagne de lobbying se doit de donner l’apparence de provenir d’une multitude d’acteurs qui ne seraient pas menés par un intérêt financier trop voyant, d’être ‘grassroot’. L’astuce consiste donc à monter de toutes pièces des associations ou des coalitions d’associations bien réelles, instrumentalisées, parfois moyennant paiement. Une pratique baptisée avec humour astroturfing, du nom d’une marque de gazon …synthétique.

Sprout et son concurrent et néanmoins allié dans cette opération, Trimel , ont engagé les services d’une société de lobbying, Blue Engine, très liée au parti démocrate et connue pour avoir monté une campagne d’astroturfing défendant les intérêts du gaz de schiste dénoncée dans un article publié sur le site du Hufftingtonpost, ou une autre tentant d’entraver l’arrivée des médicaments biosimilaires.

Pour ses clients, Blue Engine  a monté la coalition Even the score, comme la campagne Women deserve. C’est d’ailleurs l’agence qui possède leurs sites web respectifs. Blue Engine a ainsi monté un piège redoutable pour la FDA. Des modèles de lettres à adresser aux membres du Congrès sont fournis, puis un modèle de lettre au commissaire de la FDA à faire signer par les membres du Congrès, et enfin des pétitions destinées à la FDA, enjoignant l’agence de « make HERstory » en approuvant le produit.

Les arguments déployés dans les courriers proposés clé en mains aux députés sont clairement conservateurs: il s’agit d’aider des desperate housewives à surmonter leur manque d’entrain pour « faire grandir leurs familles » et « maintenir la stabilité de relations à long terme ».  On est à mille lieues de la revendication égalitaire vendue à la presse et aux féministes.

La FDA a reçu plus de 60 000 pétitions et des dizaines de lettres de membres du Congrès. Les arguments de la FDA, qui reposent sur le manque d’efficacité, la faible valeur des études et la tolérance du produit, deviennent inaudibles dès lors que toutes les décisions de l’agence sont interprétées au prisme d’un sexisme primaire.

Cette pression intense, relatée jusque dans les documents internes du groupe de travail de la FDA, a-t-elle joué un rôle dans la décision du comité, ce 4 juin 2015, de finalement autoriser la flibansérine ? On ne le saura jamais. Marketing 1, science 0.

Il s’avère que ce n’est pas la première fois que le procès d’intention en sexisme de la FDA est agité par des lobbyistes pour faire pression sur l’agence, et la facilité avec laquelle les médias peuvent être manipulés laisse songeur.

Un précédent naufrage journalistique

2013 : Marie-Claire titre « Lybrido, le Viagra féminin un peu trop efficace » ?  L’illustration de l’article montre un pauvre homme-objet terrorisé par une femme qui l’a saisi par la cravate. Marie-Claire n’était pas très claire ce jour là (Imaginez la même scène, inversant les rôles. Apologie du viol ?)

« le Lybrido, médicament enveloppé d’une mince couche de menthe, mélange Viagra et testostérone. »  Enfin un médicament qui rafraîchit l’haleine et échauffe les sens !

L’article reprend les propos de Daniel Bergner, journaliste au New York Times, auteur de ” What Do Women Want? Adventures in the Science of Female Desire”:

« Plusieurs consultants dans le domaine m’ont confié que les laboratoires pharmaceutiques s’inquiétaient de leurs résultats, qui seraient trop bons. Et surtout, que la Food and Drug Administration (FDA) risquait de le rejeter, craignant que les femmes débordent de libido et deviennent des infidèles frénétiques, bouleversant l’ordre de la société. » « De nombreux scientifiques s’inquiètent, craignant donc que la femme devienne sexuellement agressive. » conclut Marie-Claire. Bigre, la perspective fait frémir.

Allodocteurs, sous la plume du Dr Charlotte Tourmente s’emporte:« Le Lybrido… un mélange de libido, liberté et débridée, une promesse de désir sans fin, un Graal pour les laboratoires qui rêvent de trouver la parade à la baisse de désir chez les femmes. Mais le Lybrido serait trop efficace. »

On sent tout de suite la plus-value que confèrent le doctorat en médecine de l’auteur et la labellisation HONCode du site. Puisqu’on vous dit qu’Allodocteurs est un site mé-di-cal, c’est comme le Port Salut c’est écrit dessus.

Libération titre avec un de ces calembours dont le journal s’est fait une spécialité, sur le « développement du râle ».

Le Huffington Post va jusqu’à convier plusieurs experts à un exercice de prospective à la Bogdanov frères: commenter la révolution sociétale de dans 3 ans.

Bref, la presse est unanime. Petit hic: à l’époque, le médicament ne faisait que débuter ses essais de phase 2, autant dire les préliminaires. Les journalistes n’avaient en réalité pas le moindre résultat à se mettre sous la dent. Et malgré ses déclarations tonitruantes renouvelées depuis…le laboratoire n’en a guère produit.

Ce n’est plus du journalisme, c’est de l’éjaculation précoce. Mais  la presse est unanime: heureusement, il y a aussi un traitement miracle contre cela.

PS : On ne va pas vous laisser comme ça. Puisqu’il paraît que la e-médecine est l’avenir du soin, on vous offre une téléconsultation avec une sexologue hors pair. Elle s’appelle Nicole Ferroni.