Les malades pourraient donc être coupables: mais de quoi au juste? Avec tout ce qu’on fait pour eux depuis que la sécurité sociale existe!

Avec toutes ces commissions, ces ministères et ces instituts qui veillent ou qui préviennent, avec ces associations et ces administrations qui éduquent et conseillent pour donner de la santé et de l’équité, avec toutes ces aides complémentaires ou universelles à l’accès aux soins! Manquerait plus que ça, tiens, qu’on les y prenne à frauder, paresser ou dépenser à tout-va! Bon, reconnaissons qu’il y a quand même beaucoup d’abus, non? Ou que les gens y mettent de la mauvais foi à être bien malades? On a beau leur expliquer en long, en large et en travers comment travailler, comment manger ou même comment être heureux, il y en a toujours pour croire, vous allez rire, que la maladie, c’est une fatalité! Même qu’ils penseraient qu’on aurait des obligations de résultats chaque fois qu’on les soigne! Qu’ils s’en plaignent en plus? Tiens, si j’osais, je leur balancerais bien, moi, à la Gabin, en plein dans leur conscience éclairée, un « salauds de malades »! Mais je me rends compte qu’il existe déjà sur Google 55 300 occurrences pour cette exclamation contre 81 200 pour l’expression originale de Marcel AYMÉ. Le livre dont je vous parle ici tombe à point.

Des discours consensuels des partis politiques au glissement inéluctable du collectivisme à l’individualisme, du transfert progressif d’un service public égalitaire à une assurance d’insécurité sociale, de la responsabilisation à la culpabilisation du patient/consommateur, deux journalistes, Alix BERANGER est experte pour la fondation de France et Solidarité Sida et ancienne directrice des programmes de SIDACTION et David BELLIARD, journaliste à Alternatives économiques, enseignant à l’IEP de LILLE, ancien directeur général adjoint de SIDACTION, déconstruisent avec logique et pédagogie toute la chaîne du soin de notre système de santé dans un essais solidement argumenté et en phase avec l’esprit d’un Formindep attentif à l’indépendance de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes.

Les auteurs nous expliquent avec plein de bon sens comment soignés et soignants deviennent tous coupables: en classant de bons ou de mauvais comportements, en transformant la maladie/fatalité en prise de risque individuelle, en faisant de la prévention une morale sanitaire, en abreuvant les patients de conseils inadaptés à leurs revenus et de sodas dont on aura discrètement élargi le goulot des bouteilles, on fabrique des malades « in » ou « out » et la culpabilité, nouvelle idéologie moderne, devient insidieusement la réponse politique à tous les problèmes.<

Ils nous rappellent toutes les recettes que le Formindep dénonce déjà depuis longtemps pour démanteler un système de soins dont le budget est plus important que celui de l’Etat qui l’utilise: taxer les malades par des franchises, rentabiliser les actes techniques plutôt que les pathologies lourdes, instrumentaliser les peurs en inventant des maladies (relire dans notre bibliothèque Les inventeurs de maladies de Jörg Blech) ou en imposant des normes, laisser les entreprises du médicament assurer la formation des médecins ou des caisses prendre le parti du retour sur investissement au détriment du bien-être.

Ils nous montrent comment une minorité d’activistes ultra libéraux arrive par des discours technocratiques et gestionnaires à prouver la nécessité d’une rationalisation des soins: les mobilisations fractionnées catégorielles des associations sans lieu de prise de parole politique, la démission des politiques dans les débats parlementaires, la paresse des médias (lire sur le site l’édito du 31 mai 2010 de Philippe Foucras) dans leur approche consensuelle permanente, ou l’opportunisme et le corporatisme des médecins nourrissent l’ «inéluctabilité» de la privatisation des soins.

Ils dénoncent enfin le danger des politiques de réduction des risques de notre santé qui est pourtant à la convergence de multiples facteurs, médicaux sans doute, mais aussi économiques, sociaux, professionnels et culturels: plutôt que d’approcher les nombreuses raisons qui fabriquent des drogués, des fumeurs ou des malades, le discours de culpabilisation évolue vers le tout répressif qui renforce l’idée d’une responsabilité individuelle face à ces profiteurs des deniers publics.

Vous aurez bien compris que ce livre, dans le rejet de cette stigmatisation inquiétante des malades, propose un projet de santé alternatif dont le préalable non négociable est la solidarité. Les auteurs tracent sur les 40 dernières pages cinq pistes pour changer: une démocratie sanitaire élargie à la société civile, une augmentation des ressources financières du système de soins, une réorganisation de toute la chaîne de soin où le médecin ne serait qu’un maillon parmi d’autres, une redéfinition de la notion de santé trop réduite aux seuls soins médicaux qui ne contribuent pourtant, nous dit-on, qu’à 25 % de son amélioration et, enfin, une coopération internationale en réseau pour sortir du cadre étriqué de hauts fonctionnaires soumis aux pressions lobbyistes de laboratoires pharmaceutiques.

Dans cette période de rigueur et de recherche de valeurs, voilà donc un livre-médicament à proposer à tous les patients et à leurs médecins qui recherchent, comme au Formindep, à exercer leur activité dans l’unique intérêt des personnes (extrait de la charte du Formindep) et je ne peux que vous confirmer que nous ne sommes pas coupables d’être malades. Si jamais vous n’êtes pas complètement convaincu, lisez la postface de Martin Winckler qui, dans une interview de 9 pages, s’étend sur la nécessité de changer la formation des médecins: que du Formindep, je vous dis! —–