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Le scandale du Mediator est apparu pour beaucoup comme un accident, conséquence de dysfonctionnements propres au laboratoire Servier, qui ne sauraient concerner une industrie pharmaceutique qui demeurerait dans son ensemble soucieuse de la santé publique.

En outre, la loi Bertrand votée en réaction n’a-t-elle pas institué la transparence des liens d’intérêts et l’objectivité des experts, garantes de décisions conformes à l’intérêt général ?

L’actualité nous rappelle que l’arbre Servier cachait la forêt : discours politiques sur la nécessaire dérégulation du marché du médicament, révélations de Mediapart (1, 2) sur la collusion des membres des agences sanitaires et des firmes pharmaceutiques, milliards engloutis dans la promotion des médicaments auprès des professionnels de santé dont des centaines de millions en avantages directs. Le rapprochement de ces éléments confirme un système organisé et cohérent, prenant en compte toutes les étapes de la vie du médicament et permettant d’assurer avec un risque minimal un profit maximal aux firmes pharmaceutiques.

 

Chapitre 1 – le lobbying du législateur

 

L’industrie pharmaceutique déclare étonnamment peu de lobbyistes dans le registre des représentants d’intérêts auprès de l’Assemblée Nationale. Seul le laboratoire Roche figure à la rubrique des entreprises de santé, pas même les lobbies professionnels que sont le le SNITEM ou la FEFIS n’ont souscrit à cette déclaration, il est vrai basée sur le volontariat et assortie d’obligations déontologiques. Cette tentative de transparence, qui apporte un début de traçabilité aux échanges entre lobbyistes et législateurs, est déjà bien au-delà de ce que peut supporter ce secteur, habitué à plus de discrétion. Ainsi selon le baromètre annuel du cabinet de lobbying Burson Marsteller, la France est parmi les pays européens les plus perméables au lobbying, et la santé serait le secteur où cette influence est la plus fructueuse.

 

Le lobbying s’exerce également hors les murs de l’assemblée. Sous couvert d’informations, de nécessaires débats de société ou de réflexions de stratégie nationale, les industriels essaient d’influencer parlementaires et gouvernements afin d’obtenir des lois et des règlements à leur avantage. Le dispositif principal, si communément accepté qu’il se pratique avec une transparence confondante, est la « rencontre parlementaire ».

Les rencontres parlementaires sont des conférences organisées et financées par les industriels, qui en confient la présidence à un parlementaire, et qui bénéficient souvent du parrainage voire de la présence du ministre concerné. Il en existe sur tous les thèmes : la fiscalité, le transport, l’environnement, les énergies…

Il y en a plusieurs sur le thème de la santé, certaines éphémères sur un thème ciblé en fonction de l’actualité d’une firme, d’autres pérennes sur des thèmes plus vastes, souvent financées par plusieurs laboratoires, permettant de varier les sujets au gré des enjeux stratégiques du moment.

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Quelques exemples parmi d’autres :

rencontres parlementaires sur l’hépatite C

financées par Abbvie (commercialisant un nouveau traitement contre l’hépatite C au coût prohibitif), sous les présidences de Jean-Pierre DOOR, député du Loiret, Jean-Louis TOURAINE député du Rhône et Gérard BAPT député de Haute-Garonne. Marisol TOURAINE a accepté de clore les journées.

rencontres parlementaires sur les vaccins :

Les 3èmes rencontres ont eu lieu le 04 mai 2011. Dans le contexte de la controverse sur l’intérêt des vaccins contre le papillomavirus (Gardasil, Cervarix), le thème fut très explicite : « Vaccins : Gagner la bataille de l’opinion ». Les débats furent menés par Martine Perez, rédactrice santé du Figaro et élue UMP de la ville de Paris, et firent intervenir tour à tour :

– Ministres : Nora BERRA, Secrétaire d’Etat chargée de la Santé et Henri de RAINCOURT, ministre chargé de la Coopération.

-Parlementaires : Jean-Pierre DOOR député du Loiret, Paul BLANC, sénateur des Pyrénées-Orientales, auteur du rapport d’information « Vaccins : convaincre et innover pour mieux protéger » et Yves BUR, député du Bas-Rhin.

– Agences sanitaires : Thanh LE LUONG, directrice générale de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), Jean-François DELFRAISSY, directeur de l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales).

– Firmes pharmaceutiques : Cécile REY-COQUAIS, directrice des affaires publiques de Pfizer et François BOMPART, directeur médical de Sanofi Aventis qui commercialise le Gardasil.

rencontres parlementaires sur notre système de santé,

présidées par Jean-Pierre DOOR une nouvelle fois, avec la participation en 2013 de Marc de GARIDEL, PDG d’IPSEN et de Cyril TITEUX président de Janssen, deux laboratoires qui finançaient la réunion.

rencontres parlementaires sur le cancer,

présidées par le professeur Jean-Louis TOURAINE, député du Rhône. Ces rencontres sont chaque année financées par pléthore de firmes. En 2006 le thème était “cancers: Quels coûts pour la santé”. et elles étaient sponsorisée par Amgen, GSK, Merck, Pfizer, Roche et Sanofi Aventis,  commercialisant tous des thérapies coûteuses.

 

Toutes ces rencontres parlementaires sont organisées pour le compte des industriels par des agences de communication spécialisées, encore appelées sociétés de relations publiques, comme M§M conseil ou AGORA. Il est finalement pour le moins difficile de voir une différence fondamentale avec le système de lobbying institué à Bruxelles où il est devenu une institution.

 

On peut également citer l’existence de réunions moins formelles, qui peuvent entrer dans le cadre d’un « club parlementaire » comme le très célèbre club des parlementaires amateurs de havanes financé par la British American Tobacco. Ils n’ont pas d’existence officielle, leurs réunions ne sont pas publiques et il est difficile d’imaginer que, dans le domaine de la santé, les firmes financent ces réunions dans l’objectif d’aider les parlementaires à améliorer le système de santé à moindre coût. Le club HIPPOCRATE dont l’objectif était de débattre de questions de santé, était financé par GlaxoSmithKline. Avant d’être nommé président de la commission d’enquête parlementaire sur le Mediator début 2011, Gérard BAPT en était le président. Etaient membres également les incontournables Yves BUR, Jean-Pierre DOOR et Jean-Louis TOURAINE.

 

Comment les parlementaires peuvent-ils croire que la participation à des conférences dont les thèmes et orateurs sont choisis par des firmes, et financées par elles, n’a aucune influence sur leur manière d’appréhender les questions de santé ? Alors qu’ils ont voté des lois pour éloigner les experts ayant des conflits d’intérêts des agences sanitaires, ils ne semblent pas encore disposés à appliquer ces dispositions pour eux-mêmes.

Le débat sur l’amendement à l’actuelle loi de santé (loi TOURAINE) élargissant les obligations de transparence nous a livré un moment d’anthologie. Trois députés prirent la parole: Bernard DEBRE, Gérard BAPT, Dominique ORLIAC. Tous trois sont médecins, profession la plus représentée à l’assemblée nationale d’ailleurs. Surtout, tous trois figuraient dans la base transparence www.transparence.sante.gouv.fr pour des avantages reçus de firmes de santé. Gérard BAPT déclara : « Je suis heureux que ce soit M. DEBRE qui cite le montant de certaines conventions, qui n’a en effet rien à voir avec les petits avantages comme les déjeuners-débats, auxquels il peut nous arriver de participer, dans la mesure où il s’agit de débats sur de vrais sujets ».

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Gérard BAPT

Le discours politique a tendance à opposer la santé publique et la santé économique des acteurs industriels. Mettre fin à l’influence des firmes pharmaceutiques sur notre législation mettrait-il en péril l’attractivité de notre pays avec à la clef de nombreux licenciements ? Ce sont du reste les menaces brandies par le lobby du secteur pharmaceutique, le LEEM, dès qu’une mesure susceptible de réduire ses profits est en discussion. Que ces arguments soient relayés sans recul par les élus est pour le moins inquiétant. Une enquête de Cash Investigation a montré que l’excellente santé économique d’un grand groupe pharmaceutique français ne l’empêche pas de licencier ses chercheurs de manière à augmenter inlassablement ses profits.

 

Le rôle du parlement, du gouvernement et des agences sanitaires est de garantir la santé publique dans leur domaine de compétence. Empêcher les firmes pharmaceutiques d’influencer leurs décisions est la condition nécessaire à la réalisation de cet objectif. Plusieurs conséquences pourraient résulter de la suppression des moyens d’influence : au sein des entreprises une diminution des profits, mais aussi un désarmement marketing (plus de 4 milliards d’euros sont dépensés chaque année rien qu’en marketing à destination des médecins) et vraisemblablement la réorientation de la recherche vers de véritables innovations thérapeutiques dont le chiffre d’affaire serait moins dépendant d’un coûteux marketing. Du côté de la nation, cela entraînerait une diminution des coûts de santé en proportion, permettant par exemple d’alléger le plan d’économies de 10 milliards, dont 3 milliards dans les hôpitaux qui va conduire à la réduction des effectifs hospitaliers dans les prochains mois.

 

Notre association, le Formindep, a pu constater l’influence que les firmes pouvaient avoir sur les décisions politiques. La loi Bertrand avait pour ambition « qu’il n’y ait pas de nouveau Mediator ». Nous avions rapporté comment se déroulèrent les négociations sur la rédaction des décrets d’application de cette loi, nous obligeant à quitter la table. Le Dr Foucras, alors président du Formindep, écrivit : « le plus choquant a été d’être le témoin de l’attitude de fonctionnaires de la République française, soumis et écrivant quasi sous la dictée de l’industrie les lois de la République.(…)J’ai vu à l’œuvre, scandalisé, la réalité de ce qu’on appelle la capture de l’Etat par des intérêts privés, comme des maîtres décernant avec condescendance un satisfecit à leur personnel. »

Le résultat fut à la hauteur de notre désespérance. Le décret organisant la transparence des liens d’intérêts des experts choisit d’exclure la déclaration des montants des contrats signés entre les firmes et les médecins qui en assurent la promotion. Pire, le décret instituant la charte de l’expertise permit aux agences sanitaires de définir elles-mêmes ce qui constitue un conflit d’intérêts, méconnaissant les dysfonctionnements passés ayant permis les scandales sanitaires.

 

Mais comment s’en étonner ?