Après un premier exercice de lecture critique portant sur l’information du grand public, le Formindep vous propose un nouvel exercice, mais celui-là à propos d’un document de formation médicale continue, dont nous avions parlé dans un précédent article.

Si un jour vous devez expliquer pourquoi on ne doit pas faire de la formation médicale avec un partenaire industriel, montrez cette page, issue du CD-ROM de l’ANCRED : «Itinéraires de soins et d’éducation des patients diabétiques de type 2» financé par Sanofi-Aventis, pour servir de support à des actions de formation médicale continue (FMC) agréée

[[c’est-à-dire permettant aux médecins de valider leur obligation légale de formation médicale continue.]]. -**** Le CD-ROM de l’ANCRED réunit une équipe éditoriale pléthorique où l’on note des noms connus et souvent respectés dans le monde de la FMC : -**** Enfin, ce CD est né avec la bénédiction des dieux : la bonne fée HAS s’est extasiée sur son berceau sous le regard attendri de l’Association Française des Diabétiques, entre autres. -**** Mais intéressons nous maintenant à cette merveille avec un regard un peu moins enamouré, qui nous aide à penser que rien n’est jamais gratuit et qu’une société cotée en bourse est habituellement peu prompte à verser dans la philantropie. Y a-t-il un médicament récent vendu par Sanofi-Aventis et en difficulté commerciale ? Mais oui ! Il s’agit du rimonabant (Acomplia°) destiné à aider les diabétiques en surpoids à maigrir, et dont la commercialisation aux Etats-Unis a été interdite en juillet 2007 par la FDA du fait de ses effets indésirables psychiatriques. Cette fermeture du plus “gros” marché mondial de l’obésité a provoqué, on s’en doute, des déceptions et des remous sur le cours de l’action. Mais le produit reste commercialisé en Europe et notamment en France où depuis 2007 il est même remboursé par la sécu [En Allemagne, il est considéré comme un médicament de confort et son remboursement a été refusé en 2006. “A éviter” dit [la revue Prescrire : n° 283, mai 2007, page 341.]]. Tout espoir de retour sur investissement n’est donc pas perdu, à condition d’y mettre les moyens. C’est donc tout naturellement que notre esprit critique se dirige dans ce CD vers “l’itinéraire de soins” intitulé : Patients ayant un surpoids. Relisez la première image de cet article, qui présente cet itinéraire et qui ne vous a peut-être pas choqué en première lecture : -**** Tout ce qui caractérise une manipulation de l’information y figure de façon discrète mais efficace : Chez un diabétique en surpoids qui ne maigrit pas assez (90 % des diabétiques) que faire ? Moins de 2 lignes sur l’aide, pourtant essentielle, apportée par l’hygiène de vie et le réseau (sport, diététicienne…). 14 lignes sur les médicaments dont 9 sur les bienfaits du seul rimonabant vendu par Sanofi-Aventis. Pas un mot (sauf pour mentionner les effets indésirables) sur les autres médicaments de l’obésité. Le libellé de l’indication du rimonabant y est scrupuleusement reproduit comme la loi l’impose lorsqu’un laboratoire communique sur un de ses produits. L’avis de la Commission de la transparence de la HAS est cité en renfort de l’indication, mais sans l’introduction à cet avis : “Lors de l’examen du dossier du rimonabant, la Commission de la Transparence de la HAS a constaté qu’elle ne disposait : – d’aucune donnée évaluant l’effet du rimonabant sur la morbi-mortalité ; – d’aucune donnée au-delà de 2 ans de traitement ; – d’aucune étude clinique comparative directe entre le rimonabant et un autre médicament.” _ Source : [->www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/acomplia.pdf] Enfin, le bas de la page est intéressant car il montre comment faire passer des messages subliminaux avec ce type de document : Pour les dangers des médicaments, il est signalé “troubles digestifs” pour l’orlistat, “tachycardie et hypertension” pour la sibutramine. Or pour le rimonabant, il est mentionné en tout et pour tout “aggravation de symptômes dépressifs“. Mettre “aggravation” sous-entend que le médicament ne provoque pas de dépression de novo, et n’agit que sur un terrain préexistant. Aucun texte officiel (AMM) ne dit cela. Cette formulation tend à provoquer chez le lecteur une sous-évaluation du risque en minimisant sa portée. Il est écrit “symptômes dépressifs” et non le texte complet de l’AMM “troubles dépressifs“. Cela insinue qu’il ne s’agit pas d’un vrai problème, mais de symptômes allégués par les patients. Une autre façon habile de minimiser le principal effet indésirable du produit. Enfin, deux autres problèmes importants, l’anxiété et l’augmentation du risque d’épilepsie, ne sont pas cités (comparer à la source HAS supra). Alors d’où vient une telle habileté rédactionnelle ? -* D’une “relecture finale” du marketing de Sanofi-Aventis ? -* D’une modification de dernière minute par un des experts de relecture, dont aucun n’a déclaré de lien d’intérêts, contrairement à ce qu’impose l’article L4113-13 du Code de la santé publique ? -* D’une soumission inconsciente des rédacteurs au financeur ? Il serait intéressant de remonter dans le temps à partir de la dernière version pour revoir les versions de travail successives. Le CD que nous nous sommes procuré porte le numéro de version 1.0 du 24/4/2007 et nous l’avons reçu fin 2007. L’usage de ce document en formation, par des médecins rémunérés par Sanofi-Aventis (voir l’article précédent : “Se former au profit de l’industrie pharmaceutique”), n’est pas à l’honneur des acteurs et partenaires de ce qui n’est finalement qu’un outil destiné à faire prescrire du rimonabant. Cette action jette un profond discrédit sur les réseaux diabète impliqués. Elle doit inciter de nouveau les autorités de santé et les soignants à garder les yeux ouverts, pour ne pas imprudemment assimiler un outil marketing à un document de formation, et à le promouvoir sans discernement. Elle doit inciter les patients, et leurs associations, à exiger de leurs soignants qu’ils se forment à des sources dont ils ont préalablement vérifié l’indépendance. Vous êtes diabétique, plutôt gros, et votre médecin vient de vous prescrire du rimonabant (Accomplia°) ? Demandez-lui alors s’il a reçu récemment un CD ROM pendant une soirée de formation de l’ANCRED financée par Sanofi-Aventis. S’il vous répond : «Mais comment le savez-vous ?», alors vous aurez, hélas, un élément pour comprendre ce qui a peut-être déterminé sa prescription…