Le scandale sanitaire de l’année est l’affaire des pilules, qui avait amené le Formindep à se positionner, en demandant une nouvelle fois à ce que les professionnels se coupent de l’influence des firmes pharmaceutiques. A l’occasion de ses 20èmes Journées Nationales d’études, l’ANCIC (Association Nationale des Centres d’Interruption de Grossesse et de Contraception) a invité le Formindep, représenté par Philippe Nicot, à venir exposer et débattre de ce risque sanitaire. Nous présentons ici le texte de sa présentation et son diaporama.

Un fait est : l’industrie pharmaceutique influence la prescription médicale. Elle le fait à tous les étages de l’organisation des soins et dirige ses actions plus spécifiquement vers les pays riches, avec des disparités à l’intérieur de ceux-ci. L’objectif des firmes pharmaceutiques, en quelques décennies, s’est déplacé d’une mission de production de médicaments à la réalisation de profits, de préférence rapides. Citons le directeur général de Sanofi Christopher A. Viehbacher qui, le 06 septembre 2011, déclare: « Notre objectif d’augmenter le taux de distribution du dividende à 50% reflète l’amélioration des perspectives de la société et notre engagement à créer de la valeur pour nos actionnaires ».

Organisation de l’influence

Cette influence s’exerce dès le début des études médicales jusqu’à la fin de la carrière des médecins, et utilise volontiers les leaders d’opinions. L’influence s’exerce sur : les essais cliniques, les recommandations professionnelles, la presse professionnelle et scientifique, les experts (expertise interne et externe des agences, les auteurs scientifiques…), les agences sanitaires françaises et européennes, les universités et la formation initiale, les sociétés savantes, les organismes de formation et la formation continue, les associations d’usagers de soins, le répertoire commercial des médicaments. Les médecins, sous-estiment généralement l’importance de celle-ci. Il y a également à la fois une banalisation de cette stratégie d’influence qui n’est pas spécifique du milieu médical, et une impuissance de diverses institutions elles-mêmes cibles privilégiées des firmes. C’est donc à l’occasion de scandales que cette question ressurgit. En effet, cette influence est que si elle sert les intérêts de ceux qui la mettent en œuvre, elle ne sert pas obligatoirement ceux des patients.

Des effets néfastes

Les effets néfastes de cette influence peuvent se mesurer au travers de l’analyse des prescriptions inadaptées

[[Rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France. Bégaud B, Costagliola D. 16 septembre 2013.]]. Il en existe plusieurs exemples : – Ainsi pour la vaccination Hépatite B, la population définie par le ministère en 1994 était celle des nourrissons et des enfants de 10-11 ans. Or, 89 millions de doses furent administrées, dont 50 millions hors de la zone cible. La déclaration d’un millier de cas d’affections démyélinisantes déclencha la crise sanitaire. Une crise qui altéra profondément la confiance envers les vaccins. Cette crise aurait probablement pu être évitée si la seule population des enfants avait été vaccinée. En effet, les affections démyélinisantes surviennent quasi exclusivement chez les adultes. Dès lors, il était logique de les observer chez des adultes venant d’être vacciné. L’ANSM (ex AFSSAPS) a produit plusieurs rapports de surveillance notamment en 2000, 2004 et 2011. Dans celui de 2012, elle conclut : « Ces données scientifiques, nombreuses et robustes, constantes au cours du temps, confirment l’absence de mise en évidence de lien entre la vaccination contre l’hépatite B et la survenue des effets indésirables mentionnés. » Cette vaccination a donc été décrédibilisée pour rien.[Bilan de pharmacovigilance et profil de sécurité d’emploi des vaccins contre l’hépatite B : [aucune nouvelle donnée ne vient remettre en cause le bénéfice de la vaccination]] – Quant à la contraception oestro-progestative (CO) : -*En France en 2007, les CO de première intention étaient les CO de 2ème génération prescrites dans 58,4% des cas contre 41,6% pour celles de 3ème et 4ème générations. -*En 2009, les 2èmes générations n’étaient plus prescrites que dans 48,5% des cas. -*Aujourd’hui, fin septembre 2013, selon l’ANSM [[http://ansm.sante.fr/S-informer/Actualite/L-ANSM-publie-un-nouveau-point-sur-l-evolution-de-l-utilisation-des-contraceptifs-sur-9-mois-Communique]], le rapport s’est de nouveau inversé, avec 74% de 1ère et 2ème génération versus 26% de 3ème et 4ème génération.

Plan de Publication

Les firmes intègrent dans leurs stratégies d’influences tous les maillons de l’organisation médicale depuis la recherche jusqu’au consommateur. Ainsi que le relate la Revue Prescrire© en octobre 2013 [[Le plan de publication : une stratégie efficace d’influence des firmes sur les soignants. La Rev Prescrire. 2013;33(360) :774-7.]], le procès fait en 2009 aux Etats-Unis d’Amérique par 14 000 femmes atteintes d’un cancer du sein a permis de découvrir un plan de publication spécifique utilisé pour inciter à la consommation des traitements hormonaux substitutifs de la ménopause (THS). A partir de 1996, date de la commercialisation de l’un de ses produits, la firme Wyeth a fait appel aux services d’une agence spécialisée qui a organisée la publication de 50 articles scientifiques. Ceux-ci étaient les résultats d’essais cliniques, de synthèses sur les médicaments, de supports de formation continue, mais également d’articles pour critiquer et contester les résultats de l’étude indépendante HERS, qui en 1998 montrait l’absence de bénéfice cardio-vasculaire en prévention secondaire. En 2002, après les résultats de l’étude indépendante WHI qui montrait un sur-risque cardio-vasculaire, les articles ont alors porté sur d’autres bienfaits supposés en terme par exemple de qualité de vie, ou de « santé sexuelle ». Plus encore, face aux articles montrant les sur-risques de cancer du sein, la contre-attaque consista à minimiser ces risques, véhiculant l’idée que les cancers sous THS étaient moins agressifs. La conclusion de la Revue Prescrire© est qu’il est important devant la diffusion d’informations scientifiques d’ampleur de savoir s’il s’agit de progrès ou de plan de publication.

Que faire ?

Face à cette influence, véritable facteur de risque sanitaire, des lois sont régulièrement mise en œuvre, avec plus ou moins de succès. Citons la loi anti-cadeau de 1993, puis la loi Kouchner sur la déclaration des liens d’intérêts lorsqu’un professionnel s’exprime en public de 2002, et enfin le Sunshine-Act de la loi Bertrand de 2011. La loi Kouchner resta sans décret d’application durant 5 ans, et celui-ci fut publié suite au recours du Formindep en mars 2007 [[http://www.formindep.org/La-loi-sur-la-transparence-de-l.html ]]. Après l’affaire Vioxx ®, l’affaire Médiator® a largement contribué à mettre en lumière la toxicité de cette influence. Des décrets d’applications n’ont rendu totalement opérationnels les textes de lois votés par le Parlement. Ce qui a amené le Formindep à déposer deux nouveaux recours en conseil d’état (sunshine-act et Charte de l’expertise). Si les lois sont nécessaires, une prise de conscience, une meilleure connaissance des déterminants mis en œuvre, et l’interpellation de la société civile sont impératives. C’est une tâche de grande ampleur, à nous de relever le défi. C’est la raison d’être du Formindep. Le diaporama de l’intervention de Philippe NICOT est visible ici :